Bâtir l’école de la société sénégalaise contemporaine (Mamadou SY Albert)

L’école coloniale constitue une première étape historique du système éducatif au Sénégal. Elle a servi naturellement les intérêts de l’ancienne puissance colonisatrice française et ceux de l’Occident. L’école post-coloniale a prolongé et renforcé le projet culturel et civilisationnel francophone sous la forme d’une continuité du modèle hérité de l’époque coloniale, relativement plus adapté aux valeurs culturelles sénégalaises et africaines. Moins de six décennies après l’accession à la souveraineté internationale du Sénégal, les héritages éducatifs et culturels sont remis en cause par la nécessité de repenser les fondements, les missions et la finalité de l’école. Bâtir une école de la société sénégalaise contemporaine devrait être l’enjeu majeur de l’État post-colonial et des partenaires du système éducatif.

L’école coloniale fut une invention de la France. Elle a été inscrite dès son irruption au Sénégal en 1816 et dans le continent dans la perspective de former, d’éduquer les jeunes suivant le modèle éducatif français et les intérêts de la puissance colonisatrice. La mission de cette école sera d’apprendre aux enfants autochtones à lire, à écrire et former des relais de l’administration coloniale. Cette mission fondatrice de l’école coloniale aura prévalu durant des décennies et des décennies de domination politique, culturelle et éducative.

Le Sénégal fait certainement partie des pays africains où ce modèle éducatif français aura réussi pleinement sa vocation civilisatrice et d’intégration dans le système éducatif de l’Hexagone. Le Sénégal, indépendant en avril 1960, va ainsi préserver l’esprit de ce système éducatif à travers son organisation, son fonctionnement et sa pérennisation. Le français sera définitivement déclaré la langue officielle de l’État sénégalais indépendant. Le système éducatif fonctionnera pendant deux à trois décennies avec des programmes d’enseignement d’inspiration française.

En dépit des réformes pédagogiques et des curricula introduites dans le système éducatif, et la volonté politique d’adapter l’école aux réalités culturelles sénégalaises et africaines, l’école publique francophone restera sous l’influence culturelle de la langue française, les programmes et les diplômes français. L’école post-coloniale ne parvient pas, en réalité, à rompre avec les héritages culturels et scolaires du système éducatif français et occidental. Ces héritages sont pourtant fortement remis en cause au cours de ces dernières décennies. Jamais la pression des langues nationales, l’impératif d’introduire des enseignements adaptés aux réalités propres au Sénégal et à l’Afrique, la nécessité d’introduire les enseignements religieux musulmans, n’a été aussi grande sur le système éducatif sénégalais et les gouvernants. Le modèle éducatif exclusivement francophone est fortement secoué par la conjugaison de cette pesanteur culturelle et éducative endogène des besoins de la société sénégalaise.

Le sens de l’école publique francophone se perd d’ailleurs au fil de la crise du système éducatif et de la pression de franges importantes de la société réclamant le changement de cap et d’orientation de l’école sénégalaise devenant une réplique de la France. L’école publique francophone ne mène plus à la fonction publique. Bien au contraire. Elle est plombée par une crise profonde qui affecte gravement ses fondements, ses missions et sa finalité. L’école post-coloniale ne répond pas, à la forte demande récurrente des élèves, des enseignants et des parents et aux besoins éducatifs, culturels et sociaux réels de sa société. La séparation entre l’école et sa société se creuse d’une décennie à l’autre. Dans ce contexte d’une cassure sociale et culturelle entre le système éducatif d’inspiration française et occidentale et sa société en pleines mutations sociales, culturelles et éducatives, il est peut-être temps de bâtir une école plus en phase avec la société sénégalaise contemporaine.

L’introduction des langues nationales, de l’enseignement religieux et la prise en charge des réalités culturelles, sociales, religieuses et politiques du Sénégal et de l’Afrique constituent désormais des impératifs éducatifs et culturels de l’école. Ils sont devenus des exigences incontournables. Notre relation avec la langue française mérite également une réflexion sérieuse. Il ne s’agit de la langue coloniale et des intérêts de la France en soi. Il s’agit plutôt de la relation à établir entre l’école sénégalaise et les langues nationales. Ces dernières ne peuvent plus être des langues marginales ou exclues de l’enseignement. Elles doivent être les principaux supports de l’enseignement et de la communication.

La France a ses intérêts. Le Sénégal a ses intérêts. C’est un choix éducatif, culturel et politique qui a évidemment des exigences insoupçonnées par les pouvoirs publics. Il est question de rupture avec un modèle éducatif qui a atteint ses limites historiques. Rebâtir l’école de la société, c’est ouvrir des perspectives innovantes à des nouvelles missions éducatives et culturelles plus en adéquation avec les aspirations de changement des élèves, de la société et envisager un avenir pour les générations actuelles et à venir. L’école ne devra plus jamais être une fabrique de diplômés chômeurs et de marginaux de la société ou un appendice des systèmes français et occidentaux. Elle doit être le socle éducatif, culturel et économique de sa société.

 

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