Chef de l’Opposition : Le deal, entre course aux honneurs et piège à cons

Le projet présidentiel de faire émerger un chef de l’opposition au Sénégal est une démarche curieuse, en flagrante contradiction avec la volonté maladive de conserver le pouvoir qui caractérise la gouvernance de Macky Sall. Pour les opposants, au mieux, ce serait une compétition mortelle avec cependant un accès supplémentaire aux ressources de l’État, au pire un piège à cons.
Revoilà l’arlésienne du «chef de l’opposition» qui surgit en plein «dialogue national». Au gré des résistances, incompréhensions, calculs politiciens, etc., la trouvaille que le Président Abdoulaye Wade voulait dépoussiérer et qui a buté en partie sur les divergences irréconciliables entre le défunt Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse revient en force dans l’actualité des partis politiques sénégalais, du moins chez ceux qui s’y intéressent. À l’époque, deux critères de représentativité avaient été brandis pour désigner le chef de l’opposition sénégalaise : celui de la plus forte représentativité parlementaire, et celui du candidat arrivé deuxième derrière le vainqueur de la dernière élection présidentielle. Le projet a fini par capoter, autant par le jeu des inimitiés fortes existant entre socio-démocrates Ps et Afp que par la méfiance et la prudence que les uns et les autres avaient développées contre le leader du Pds régnant.
La problématique refait surface dans un contexte marqué par la volonté affichée du Président Macky Sall de «moderniser» la démocratie sénégalaise dans son système de fonctionnement. À ce titre, l’idée consiste à faire du plus représentatif des leaders de parti «le» chef de l’opposition, avec un statut bien déterminé que la Constitution a déjà sacralisé. Ce pourrait être en fin de compte une bataille interne aux différents leaders politiques emballés par la perspective de toucher à une sinécure aguichante en termes d’espèces sonnantes et trébuchantes, en plus d’un abonnement à durée déterminée aux ors et honneurs d’une République généreuse à l’endroit de ceux qui cultivent son prestige dans le combat pour sa pérennité.
Interlocuteur privilégié du président de la République
Concrètement, le virtuel chef de l’opposition serait l’interlocuteur privilégié du président de la République non pour gérer de manière collégiale des dossiers jugés importants, mais pour recueillir des avis purement consultatifs. Il serait associé à toutes les cérémonies protocolaires avec place aux premiers rangs aux côtés des dignitaires de la République. Il disposera d’une voiture de fonction avec chauffeur, aura son passeport diplomatique (et sa famille également peut-être). Il accompagnera le chef de l’État dans ses visites officielles, moments dont ce dernier profiterait pour vanter le modèle démocratique consensuel prévalant au Sénégal. Et pour mieux assurer son confort dans ses fonctions, un budget lui serait alloué, sans obligation de justifier ses dépenses, comme cela a cours avec les différentes institutions d’État.
Sous un tel régime de privilèges qui tombent du ciel, les risques d’une déliquescence de la fonction ainsi rétribuée sont réelles. D’une certaine façon, le chef de l’opposition est placé dans une posture compromettante, ou au moins compliquée, qui pourrait déteindre sur son indépendance vis-à-vis du pouvoir, sur la qualité de ses prises de position concernant des affaires sérieuses, sur ses relations avec des responsables de son propre parti, toutes choses étant de nature à affaiblir l’organisation politique qu’il dirige.

Respecter les principes démocratiques à la base

Pour moderniser le fonctionnement démocratique du pays, il y a certainement des voies et moyens pertinents permettant d’y parvenir, à moindre frais en plus. Ces moyens, les régimes qui se succèdent au pouvoir n’ont ni envie ni désir ni volonté de les mettre en œuvre parce que, simplement, la conservation du pouvoir par tous les moyens anti-démocratiques a muté en instinct gouvernant. L’organisation d’élections présidentielles, législatives et locales globalement incontestables est, dans une démocratie crédible, ne peut être que la suite logique d’un processus électoral inclusif, transparent et irréprochable. Or, c’est tout le contraire qui prévaut dans notre pays ces dernières années, jusqu’au pic de la présidentielle de février 2019.
Sans remettre en cause la posture prééminente du président de la République élu au suffrage universel direct, le principe de partage a minima des responsabilités dans les institutions républicaines reste un élément de mesure de la tolérance et du bon sens en démocratie. De manière tout à fait implicite, les grands partis politiques français ont décidé de confier la présidence de la prestigieuse Commission des finances de l’Assemblée nationale à un responsable de l’opposition parlementaire choisi par ses pairs. Présentement, cette commission des finances est dirigée par Eric Woerth, membre du parti Les Républicains et proche de Nicolas Sarkozy. Avant lui, sous la présidence Hollande, c’est Gilles Carrez, du même parti, qui était aux commandes de 2012 à 2017.
La modernisation de la démocratie passe également par la mise à mort des actes d’instrumentalisation de la justice, le respect scrupuleux de la Constitution avec le bannissement de la pratique de «l’interdiction préalable» (selon le mot d’Edwy Plenel) qui s’est substituée au principe de la libre expression des libertés individuelles et collectives de manifestations.
Un chef de l’opposition pour le Sénégal ? On s’interroge sur les dessous d’un tel projet qui pourrait bien être une véritable œuvre de diversion dont on voit à qui elle profiterait et à qui elle nuirait. Et cela, tout le monde le sait par avance…

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