Les travers de la démocratie électoraliste (Mamadou SY Albert)

Les travers de la démocratie électoralisteLe pouvoir gouverne. Les acteurs de l’opposition mènent les batailles démocratiques et politiques pour la conquête du pouvoir. Ce mécanisme dialectique de gouvernance, propre à la démocratie pluraliste sénégalaise, ne semble plus fonctionner. La démocratie a produit une race de politiciens narcissiques. Un nouvel esprit de gouvernance des relations entre les adversaires se met en place progressivement. Le pouvoir et des pans entiers de ses adversaires ont choisi la duperie démocratique sur le dos de la société civile et du peuple en souffrance.
La démocratie pluraliste sénégalaise est devenue, au fil de son histoire, une démocratie électoraliste. C’est du moins la forte impression de sa marque de fabrique depuis l’avènement des alternances politiques. Le contexte actuel marqué par l’absence criarde des candidats-présidents de la dernière élection présidentielle de février 2019 et des adversaires potentiels se réclamant de la mouvance de l’opposition du pouvoir républicain, des premières lignes des batailles démocratiques et de la défense des conditions de vie des populations, témoignent du nouvel esprit de l’opposition au Sénégal.
Les adversaires du pouvoir républicain ont déserté, sous des formes variées, le champ de la lutte sociale et politique. Le renoncement collectif et individuel est lisible sur les fronts de la lutte  politique et de la lutte sociale. Il aurait atteint son paroxysme à la lumière des derniers évènements marquants de l’actualité. Ce sont les acteurs de la société civile et les éléments radicaux issus des flancs des politiciens qui se transforment progressivement en des combattants à la place naturelle de ceux qui gouvernent ou aspirent gouverner demain le Sénégal. La société civile devient de fait, l’actrice principale du jeu démocratique. Elle est l’arbitre de règles démocratiques que les politiciens peinent à respecter.
L’augmentation du prix de l’électricité, le marasme des producteurs de l’arachide, le sort des nouveaux bacheliers parachutés dans le secteur public plombé par la crise du système éducatif, singulièrement les  sureffectifs et les échecs scolaires et universitaires, la mort de dizaines, voire de centaines de Sénégalais en haute mer, la violence sociale à Dakar et à l’intérieur, ne constituent guère des motifs de mobilisation sociale des acteurs politiques. Ils ont choisi de se replier entre quatre murs en attendant la prochaine élection présidentielle ou locale. Une race de narcissiques prête à débourser des centaines de millions, voire des milliards, à l’occasion des élections, particulièrement les Présidentielles. Ils jouissent de leurs images et de la magie du pouvoir du verbe. La marche, c’est pour les pauvres et les mécontents. Ils n’ont pas de temps libres et d’énergie à consacrer à la lutte sociale et politique.
Après la présidentielle, c’est l’ère de la pacification du jeu politique et syndical, après la victoire électorale du président reconduit. Une manière sans aucun doute pour ceux qui gouvernent de berner le peuple incrédule, de préparer les futures échéances électorales et de contenir la révolte sociale ambiante d’une société désabusée par la politique politicienne. Les acteurs de la mouvance de l’opposition électoraliste acceptent de jouer entièrement ou partiellement à cet exercice de duperie de la majorité gouvernante.
La démocratie électoraliste est désormais à la recherche de consensus électoraux qu’elle a sciemment brisés pour préserver l’exercice du pouvoir. Le pouvoir et son opposition ne semblent pas, dès lors, préoccupés par les véritables questions touchant à la protection des libertés démocratiques, à l’amélioration des conditions de vie des Sénégalais et le renforcement de la démocratie pluraliste. Pouvoir et opposition ont en commun le silence de classe et la fuite en avant face aux réalités peu reluisantes et à la souffrance des populations. Ils attendent certainement les résultats du dialogue national et politique. La déception risque d’être grande au terme de cette messe peu attractive.
Il est, en effet, peu probable que la majorité présidentielle accepte ce qu’elle a toujours refusé, en l’occurrence, la séparation effective des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, la suppression du statut de chef de parti du Président de la République en exercice, l’organisation des élections libres, démocratiques et transparentes par une autorité indépendante et une gouvernance ouverte au contre-pouvoir. Le report des élections, le cumul des locales aux législatives semblent être plutôt les réelles priorités absolues de  la démocratie électoraliste rampante.
Ce jeu de dupe finira par détacher davantage les acteurs politiques de la démocratie pluraliste dans laquelle pouvoir et opposition se livrent à des batailles républicaines et des aspirations légitimes au mieux-être social et culturel des citoyens. La crise de la représentativité politique n’est en réalité que le prolongement de cette démocratie électoraliste à l’origine de la crise de confiance massive que vivent les acteurs de la scène politique. Les acteurs de la société civile semblent évidemment comprendre cette duperie démocratique alimentée par le pouvoir et certaines franges de l’opposition.

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