Scandales financiers : Après la banalisation, la validation ?

Jamais, de mémoire de Sénégalais, les scandales financiers n’ont été aussi banalisés que sous le régime de la gouvernance sobre et vertueuse. La banalisation est devenue telle que l’on ne peut s’empêcher de se demander si on ne s’achemine pas simplement vers la validation de ce qui s’apparente à des crimes économiques, si elle ne l’est déjà. Tout simplement parce que les criminels économiques qui, pour la majeure partie,  sont des politiciens, semblent bénéficier d’une tolérance sociale et d’une protection institutionnelle surprenantes. Sinon comment comprendre le fait que malgré tous les scandales qui jalonnent le régime du Président Sall aucun acte tendant à mettre un terme à la saignée financière n’a, à ce jour, été posé ? Même si ses prédécesseurs n’ont pas été des modèles quant à la gestion des deniers publics, il semble que le régime actuel est en passe de remporter la palme.

D’ailleurs, à l’issue de la visite rendue à Khalifa Sall alors en détention à Rebeuss, le 13 juin 2018, Idrissa Seck affirmait que ce régime et son président «ont battu tous les records de la mal gouvernance et des scandales financiers impliquant directement le couple Faye-Sall… Contrats scandaleusement surfacturés, comme l’autoroute, le Ter, le building administratif, Bictogo». À part une traque qui s’est détraquée avant même qu’elle n’ait pu donner les résultats escomptés et un Ofnac mis en off depuis que sa première présidente avait été exclue du terrain pour jeu dangereux contre son camp,  le peuple assiste impuissant au pillage impuni de ses deniers.

Pourtant, les crimes économiques doivent avoir le même traitement que les crimes de sang parce qu’ils sont souvent la cause de nombreux préjudices dommageables à la bonne marche de la société. Pire, ils hypothèquent la paix et la stabilité de la communauté, voire même sa survie. Il serait vraiment fastidieux de lister tous les scandales à milliards dénoncés à longueur de colonnes dans la presse sans que le pouvoir ne daigne sévir. Nous en citerons néanmoins quelques-uns qui ont défrayé la chronique : La Poste, le Coud, les 29 milliards du Prodac, l’affaire Bictogo, les 94 milliards dont Mamour Diallo est cité, les 52 milliards des cartes d’identité biométrique, les 75 milliards de Mittal, les 6000 milliards de Petrotim… Autant de dossiers qui, à ce jour, n’ont eu aucune suite judiciaire.

Pourtant, madame Seynabou Ndiaye Diakhaté, présidente de l’Ofnac, très réservée d’habitude, était sortie de sa réserve pour interpeller le procureur de la République sur la non exploitation des dossiers à lui transmis : «Le dossier du Coud a été transmis au procureur depuis 4 ans. Lui-même il dit avoir reçu 19 rapports de l’Ofnac. Et aucun dossier n’a été exploité. Je l’invite plutôt à exploiter les dossiers reçus de l’Ofnac pour prendre une décision», avait déclaré la présidente. Les corps de contrôle qui devaient traquer les délinquants à col blanc sont aujourd’hui tenus en laisse. Comme des lions sans crocs, ils assistent à un festin qui s’apparente à celui de bouki l’hyène. Le laisser aller est tel qu’un ministre s’est même permis de chasser des vérificateurs  de la Cour des comptes venus pour une mission d’audit dans son département, les taxant de «magistrats de Cour de règlement de comptes» et d’autres joyeusetés. Une attitude qui avait fort déplu à l’Ums qui, à travers un communiqué, avait condamné  fermement ces propos «outrageants, graves et profondément irresponsables d’un ministre de la République qui, vraisemblablement, ignore les règles les plus élémentaires de l’Administration et de la courtoisie.»

Pour dire que le mal est tel qu’aujourd’hui il est devenu banal. Les politiciens semblent être au-dessus des lois et jouissent d’un traitement de faveur, contrairement aux paumés et autres voleurs de poules qui infestent les prisons. D’ailleurs, en ces périodes de décrispation, les propositions se succèdent pour faire passer par perte et profit l’argent du contribuable supposé avoir été distrait par certains politiciens. Selon l’avocat, Me Abdoulaye Babou, qui multiplie ses sorties dans la presse en ces périodes de réconciliation, «la décrispation ne peut passer que par une amnistie parce que l’amnistie efface tout (…). Je recommande une amnistie générale, un peu comme une loi Ezzan bis. Une amnistie qui va permettre à Khalifa d’être complètement propre, idem pour Karim Wade, mais aussi, permettre au Président Macky Sall d’assurer ses arrières, parce que si on veut une entente totale, il ne faudrait pas que cela se retourne sur le frère du Président Macky Sall. Une amnistie générale viserait tous ces faits (…)».

Comme pour lui donner de la voix, Moustapha Diagne, de Synergie républicaine, proche du pouvoir, propose une loi qui prive de leurs droits civiques, les agents de l’État radiés, destitués ou révoqués pour faute lourde ou faute grave. Une loi taillée sur mesure pour Ousmane Sonko dont le seul tort a été de dénoncer des pratiques de mal gouvernance. Ce qui laisse penser que cela serait un avertissement pour tous ceux qui seraient tentés de dénoncer les malversations financières. Maintenant, vouloir sanctionner des lanceurs d’alerte qui se battent pour la préservation de l’argent public et promouvoir des politiciens qui utilisent impunément les milliards du contribuable pour se faire élire, heurte vraiment la morale. Et dans l’un comme dans l’autre cas, si cela n’est pas une invitation à la validation des scandales financiers, ça y ressemble fort.

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