Sémiologie de la violence scolaire et universitaire contre le corps enseignant (Mamadou SY Albert)

La crise de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur a produit une symbolique phénomènale des types de violence physique, morale et intellectuelle. Après la vague destructrice des établissements et des symboles de l’État et celle des guerres fratricides entre élèves, entre étudiant, nous assistons à une nouvelle vague inédite de violence scolaire et universitaire. Le corps enseignant et l’autorité administrative constituent désormais des cibles privilégiées de la violence des apprenants. Une sémiologie du phénomène permet d’en mieux cerner l’ampleur et de mesurer la profondeur de cette terrible violence sévissant dans les espaces des études et en dehors des espaces académiques et socio-culturels.
Il appartient d’abord aux pouvoirs publics, aux syndicats, aux parents des élèves et au mouvement associatif et syndical des élèves et des étudiants d’en être parfaitement conscients pour prendre à bras le corps et en ligne de compte ledit phénomène.
Ensuite, il faut savoir que la crise du système éducatif sénégalais traîne de très mauvais souvenirs dans les milieux de l’éducation, singulièrement dans les universités sénégalaises. La période des années 1988 à 2000 a constitué une période de basculement de l’école et de l’université dans la violence aveugle. Une vague déferlante détruira tout ce qui était sur son passage dans les espaces académiques et dans les espaces publics. Les édifices, les symboles matériels et immatériels de la puissance étatique subiront le diktat d’une jungle humaine déchaînée contre les maux du système éducatif rudement mis à l’épreuve de la crise.
Puis, est apparue une autre vague de violence. Celle-ci surgit des flancs du mouvement des étudiants. Par les armes blanches, par le combat du corps à corps, par la violence verbale et physique, les responsables étudiants se mèneront une guerre fratricide sans merci sur les campus pour accéder aux postes de direction des Amicales, des commissions sociales de résidences universitaires et des structures délibératives des universités. Ces deux vagues de violence contre l’État et entre les étudiants, n’ont guère épargné les autorités administratives et académiques. Des recteurs, des doyens et des chefs de départements seront séquestrés dans les bureaux de l’administration publique. Des enseignants seront agressés par des étudiants. Que faut-il lire dans ces faits signalés ?
On a pensé à tort que cette violence est derrière l’histoire de l’école et de l’université. La crise est malheureusement encore et toujours présente au cœur du système éducatif. Certes, la crise se manifeste de moins en moins sous ses formes traditionnelles. Le système connaît moins de grèves des élèves et des étudiants. On note de moins en moins de casses sauvages et de manifestations violentes contre les symboles de l’État.
La dénonciation des conditions des études et des conditions de vie cède la place à la critique en règle de la gestion des bourses : retards dans le paiement et difficultés d’accès à la bourse sociale et la promiscuité. La crise se manifeste plutôt sous la forme d’une violence sociale lisible dans les rapports sociaux entre les apprenants et entre ces derniers, le corps enseignant et l’autorité administrative. Les sureffectifs des élèves et des étudiants ont fait naître dans la durée un rapport de force épouvantable. La force physique est désormais l’argument massue pour accéder à la salle ou à l’amphithéâtre, aux services publics.
C’est par cette dénaturation du rapport de force passant de la plateforme revendicative à la démonstration de force physique que l’on peut analyser les conduites individelles de ceux qui réussissent à faire des coudes et des mains pour se procurer une place dans des salles pleines à craquer. Et c’est par cette violence physique que l’on se fait respecter par ses collègues. La violence physique entre les élèves et entre les étudiants est visible au quotidien devant tous les services administratifs. Elle est banalisée, entrée dans les moeurs. À un tel point que l’accès aux services des établissements publics dépend uniquement de l’usage de la force (buxante) ou des capacités de l’endurance (muñ). Cette violence physique et morale est ressentie au plus près sous diverses formes par le corps enseignant confronté à la dure réalité du terrain académique.
Prendre, en chargé de cours quatre-vingt  (80) jeunes élèves ou des milliers d’étudiants sous sa tutelle, est un acte de violence en soi que l’enseignant subit au quotidien, la mort dans l’âme. Ce que le corps enseignant ne pouvait probablement imaginer de la crise et ses effets pervers multiples qui impactent les conditions de travail et qui dessinent progressivement les contours de la troisième vague de violences à l’horizon. En effet, la troisième vague de violence de l’école et de l’université pourrait se diriger vers le moteur du système éducatif, notamment l’enseignant, le transmetteur de la connaissance, des valeurs républicaines et de l’autorité. Il ne jouit paradoxalement d’aucune protection et de sécurité de l’administration et de l’État. Il est laissé à lui-même. Face cette violence rampante, le corps enseignant n’opposera que le verbe. Au pire des cas, les enseignants seront contraints à l’autodéfense socio-professionnelle. Ce glissement sémiologique de la déontologie professionnelle vers la violence entre enseignants et apprenants, constitue un véritable danger pour toute la société et pour tout le système éducatif à ses différents échelons. La mort de l’autorité de l’enseignant par la violence des élèves et des étudiants pourrait être fatale à tout le système éducatif fragilisé par une crise durable et phénoménologique.

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