Les non-dits de la grâce présidentielle

Me Ousmane Sèye affirme qu’il y a une «mafia» dans l’octroi des grâces présidentielles. Vrai ou faux ?

Enquête express. Amadou Woury Diallo est vite rentré dans sa Guinée natale, mais il continue de faire l’actualité au Sénégal. Cet homme de 70 ans est condamné à 5 ans de prison ferme par le tribunal correctionnel de Diourbel pour son rôle dans l’affaire des faux médicaments saisis à Touba Belel. Il avait introduit un recours, mais avant que la Cour d’appel de Thiès, qui a renvoyé le dossier au 27 mai, se prononce, il recouvre la liberté. Il figure parmi les 1600 bénéficiaires de la grâce présidentielle le 3 avril dernier, veille de la fête d’Indépendance.

L’Ordre des avocats crie au scandale. La Société civile demande des comptes. A la veille de chaque grande fête nationale, le chef de l’Etat, seul détenteur du pouvoir de prendre cette mesure de clémence, gracie un certain nombre de détenus. Cette faveur obéit à des règles strictes dont le critère d’éligibilité de base : la condamnation définitive. Elle s’applique à toutes les peines principales, qu’elles soient politiques ou de droit commun, graves ou bénignes. Ce qui veut dire que la grâce peut donc s’appliquer à une amende. En revanche, elle ne s’étend pas aux mesures de sûreté, aux amendes fiscales, aux frais de justice et aux dommages-intérêts.

«Humanisation de la répression»

Dans un Etat de droit, le droit la mesure permet de corriger la rigidité des institutions pénales. Au grand bonheur des juristes-humanistes. «La grâce est une mesure utile, car étant un moyen d’individualisation et d’humanisation de la répression, résume El Hadji Amath Thiam, juriste-consultant. Elle peut bénéficier à tous les délinquants majeurs ou mineurs. Elle s’applique également aux délinquants primaires et aux récidivistes.

Elle s’applique aux délinquants Sénégalais et aux étrangers.» Le circuit de traitement d’une demande de grâce part de la Maison d’arrêt, d’où sortent les requêtes, au secrétariat général du gouvernement en passant par la Direction des affaires criminelles et des grâces (Dacg) puis au ministère de la Justice. Mais en réalité, ces conditions relatives aux peines ne sont que théoriques. La pratique est tout autre. En effet, d’après une source pénitentiaire, à l’approche de chaque grande fête, le ministère de la Justice définit un certain nombre de critères.

Ce qui n’est pas vu d’un bon œil. «Nous estimons que c’est abusif de sa part d’autant que c’est le président de la République qui l’accorde quelle que soit l’infraction», dénonce ce haut gradé de l’administration pénitentiaire. C’est sur la base de cet arrêté du ministère de la Justice que la direction de l’administration pénitentiaire (Dap) saisit ses services (les responsables des prisons).

«Vous le savez, les directeurs (de prison) sont tenus de respecter ces critères définis même s’ils sont souvent exclusifs. Par exemple, la note peut dire sont exclus les condamnés pour crimes de sang ou de drogue.» D’ailleurs, apprend-t-on, pour les grâces du 3 avril dernier, il était clairement signifié que les détenus pour vol de bétail sont exclus.

«Des grâces sont vendues »

La direction de l’administration pénitentiaire, qui reçoit les dossiers des prisons, procède au tri avant de les transmettre à la tutelle qui, à son tour, fait un autre tri. Les services du ministère de la Justice vont ensuite présenter le dossier au secrétariat général du gouvernement qui le transmet au Président pour signature. À en croire Me Ousmane Sèye, cette procédure n’est pas rigoureusement respectée. Il affirme qu’il y a une mafia autour de l’octroi des grâces présidentielles.

Une autre source de SeneWeb, acquiesce : «Des grâces sont vendues, tout comme les passeports diplomatiques. C’est dommage, mais c’est la réalité. La chaîne est longue, très longue même. Et le Président n’a pas le temps de procéder à des vérifications, voire des enquêtes. Il n’y a pas assez de contrôle. Il ne fait que signer ce qu’on lui présente. C’est une obscurité totale.» Notre interlocuteur croit savoir que cette situation est facilitée par le fait que «les décrets de grâce ne sont pas publiés au Journal officiel. Ils sont notifiés directement aux condamnés».

Revenant sur l’affaire Woury Diallo, ce garde pénitentiaire n’a pas manqué d’exprimer ses inquiétudes. «La grâce ne peut pas être accordée à un détenu qui a interjeté appel parce que dans ce cas de figure, l’affaire est toujours pendante devant la justice», indique notre source, qui souligne que cette anomalie peut résulter d’une omission ou d’une volonté délibérée. «Le problème peut se situer au niveau du lieu où l’appel a été fait, pronostique la même source. Si c’est au niveau du tribunal, ce n’est pas sûr que la notification soit faite à la prison.

Si tel était le cas, son dossier n’allait pas être mis dans le lot des personnes à gracier. Ce n’est pas la faute aux directeurs de prison.» Notre interlocuteur se dit certain que le cas Woury Diallo n’est que la partie visible de l’iceberg. Il dit : «Ce n’est pas la première fois qu’une affaire pareille se présente.

Malheureusement, on essaie toujours de jeter le tort sur l’administration pénitentiaire ou bien sur les directeurs de prison. Mais, ce sont des choses qu’on ne parvient pas à maitriser.» Pour éviter ces impairs, recommande le garde pénitentiaire, par exemple, «il faut une interconnexion entre le judiciaire, le pénitentiaire et le greffe pour plus de transparence. Le Sénégal est trop en retard dans ce domaine».

Effets de la grâce

Quoi qu’il en soit, la grâce dispense de l’exécution de la peine principale soit en totale, soit en partie. Elle peut aussi remplacer la peine principale par une autre peine plus douce ; on parle dans ce cas de commutation de peine. «Les peines accessoires ou complémentaires sont exécutoires, sauf si elles sont mentionnées expressément dans le décret de grâce», précise le juriste-consultant El Hadj Amath Thiam. Contrairement à l’amnistie, la grâce laisse subsister la condamnation, qui va continuer à figurer au casier judiciaire. Elle va compter pour la récidive et fait obstacle à l’octroi du sursis.

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