Moustapha Diakhaté : «Il est urgent de trouver une alternative à Macky Sall»

Présentant le dialogue politique comme une occasion rêvée d’aplanir les différends qui essaiment le champ politique, Moustapha Diakhaté est d’avis que cette concertation devrait être mise à profit pour dresser un diagnostic sans complaisance de la politique de décentralisation du Sénégal de 1972 à nos jours. Préconisant la suppression du pouvoir de grâce présidentielle et d’amnistie parlementaire, il envisage par ailleurs l’après Macky Sall et invite, à ce propos, la coalition Bby à tenir des Assises pour définir une feuille de route en vue de se maintenir au pouvoir au moins jusqu’en 2035.

Par Mohamed NDJIM

L’entame du second mandat du Président Macky Sall est marquée par un appel au dialogue qui suscite moult interrogations. Cette initiative se justifie-t-elle selon vous ?

J’appuie le dialogue mais je souhaite que cela soit la dernière fois. Le Sénégal doit dépasser l’ère où il faut lancer des appels au dialogue. Le dialogue entre acteurs politiques doit être permanent. Le dialogue, comme je dis, c’est le mur qui supporte la démocratie. Tous les acteurs doivent être à tout moment en mesure de se parler, de se concerter. Vous n’avez pas besoin d’être en accord avec quelqu’un pour l’écouter et l’entendre. Dans certaines démocraties le président de la République consulte à chaque fois que de besoin les acteurs politiques, maintenant les avis qu’ils lui donnent ne le lient pas, mais au moins ça permet d’apaiser le climat démocratique. Maintenant nous sortons d’une élection présidentielle que nous avons gagnée et il y a eu des griefs qui ont été formulés par l’opposition. Je crois que ce n’est pas une mauvaise chose que de nous mettre autour d’une table pour étudier ces griefs et à partir de là continuer à consolider notre démocratie. Je crois que le Sénégal est habitué à ce genre de situations. Au sortir de chaque élection nous  avons connu des crises, mais ces crises ont débouché sur de la concertation, sur de la consultation, et cela a permis à notre pays de continuer ses avancées pour ce qui concerne la démocratie. J’approuve et je soutiens ce dialogue, et je crois qu’il en sortira quelque chose qui va permettre de cimenter davantage la démocratie sénégalaise.

Ce dialogue intervient dans un contexte de contestations post électorales. Comment appréciez-vous la remise en cause de la sincérité du régime en place ?

Ce n’est pas la première fois que l’opposition conteste une élection. Depuis 1978 j’assiste à des élections au Sénégal, et les seules élections que l’opposition n’a pas contestées ce sont les élections qu’elle a gagnées. En 2000, l’opposition n’a pas contesté les résultats alors qu’il y avait des tensions avant le scrutin. En 2012 aussi, l’opposition a accepté les résultats parce qu’elle a gagné. De mon point de vue c’est une vieille rengaine. Toujours est-il que l’essentiel est qu’après l’élection les gens puissent se retrouver autour d’une table pour regarder les insuffisances et les améliorer. Évidemment, le Sénégal a quand même acquis des niveaux démocratiques assez élevés, mais cela n’empêche qu’il peut y avoir des insuffisances dans l’organisation du processus électoral. Et ces insuffisances méritent d’être corrigées avant qu’on aille encore à un autre scrutin.

Justement, les insuffisances liées au parrainage font craindre une organisation cacophonique des élections locales à venir. Comment circonscrire ces manquements ?

Au niveau du parrainage je pense qu’il y a une insuffisance, notamment en ce qui concerne le contrôle des signatures. Il était demandé aux partis politiques de présenter un fichier électronique et un fichier physique. Il se trouve que le Conseil n’a fait ses vérifications qu’à partir du fichier électronique. Ça pose quelque part problème. Des erreurs matérielles ont été constatées et finalement un certain nombre de candidats n’ont pas pu se présenter. Je crois qu’il y a des correctifs à apporter avec des règles connues de tous. De mon point de vue je crois que ce serait une bonne chose que le Conseil constitutionnel ne gère pas la vérification du parrainage. Cela devrait être confié à une autre structure, de sorte que le Conseil constitutionnel statue uniquement sur les éléments qui constituent une candidature. Une décision du Conseil constitutionnel est sans appel, or quand quelqu’un est face à une juridiction sans appel il est difficile pour lui d’obtenir gain de cause. S’il y a une structure autre chargée de vérifier le parrainage, s’il y a des contestations, les victimes pourront saisir le Conseil constitutionnel ou la Cour suprême. Tout est discutable. L’essentiel est que les acteurs se parlent honnêtement et sincèrement et que les uns et les autres ne cherchent pas à ruser et à manœuvrer.

Que pensez-vous de l’idée de reporter les élections locales ?

Le respect du calendrier républicain fait partie des standards de la démocratie. On ne peut pas changer le jour du scrutin selon les humeurs ou selon le bon  vouloir des hommes politiques…

Mais le Président Macky Sall est le premier à avoir réaménagé le calendrier républicain en reportant ces locales qui devaient se tenir en juin 2019…

Le report des municipales en décembre est lié à la présidentielle. C’était quand même un peu compliqué de la tenir en juin. Ce report là on peut le comprendre. Ceci dit, je considère que le principe doit être le respect scrupuleux du calendrier républicain ; mais si le report peut permettre à la classe politique, aux Sénégalais d’analyser, d’évaluer la politique de décentralisation du Sénégal depuis 1972, je crois que ce serait une très bonne chose. Il va de soi que nous avons énormément de collectivités territoriales. Je crois que le Sénégal n’a pas besoin de 557 communes. Il faudrait, de mon point de vue, réduire çà au nombre d’arrondissements qui existent au Sénégal. Dans ce cas on aura 133 communes de grande envergure au Sénégal. Tout cela mérite une bonne réflexion pour réduire le nombre de collectivités territoriales, mettre à la disposition de ces collectivités territoriales suffisamment de ressources humaines de qualité et de moyens. En somme, de mon point de vue, tous les domaines de compétence transférés au niveau des collectivités locales doivent être accompagnés d’une allocation des ressources nécessaires pour que les collectivités locales puissent les prendre en charge. Si le report des Locales peut permettre de faire le diagnostic de la politique de décentralisation du Sénégal pour apporter les correctifs permettant à la démocratie locale de remplir pleinement sa vocation, je n’y trouve pas d’inconvénients. Mais par principe, je suis attaché au respect du calendrier républicain.

D’aucuns estiment que la majorité manœuvre pour le report des Locales car elle contrôle 530 des 557 communes à l’heure actuelle. Quelle appréciation faite vous de ce constat ?

Moi je n’ai aucune crainte. Je crois que si on organise les Locales en décembre on les gagnera comme nous avons gagné l’essentiel des élections auxquelles nous avons participées. Comme je vous l’ai dit je ne suis pas attaché au report, par contre s’il doit y avoir un report, çà doit être l’occasion de faire le diagnostic de la décentralisation. Dans ce cas de figure c’est le Sénégal qui en sortira gagnant, parce qu’au sortir de ce diagnostic, au sortir de ces réflexions, nous aurons une meilleure feuille de route pour permettre d’accélérer notre politique de décentralisation. De mon point de vue, la majorité ne gagne absolument rien à reporter les élections, parce que si nous les organisions demain nous gagnerions certainement, comme nous avons remporté la présidentielle au premier tour. Je crois qu’il est plus difficile de gagner la présidentielle dès le premier tour que de remporter les collectivités territoriales. Par contre, cela peut  être l’occasion d’améliorer notre politique de décentralisation. Une autre chose qui me semble aussi très importante : c’est que les collectivités locales sont l’épicentre de la gouvernance locale, c’est l’autogouvernement, la prise en charge des préoccupations au plus près. Or, si nous regardons bien les choses on constate que les populations sénégalaises ne se soucient absolument pas de leurs collectivités territoriales. Cette réflexion doit nous amener à permettre aux populations de se réapproprier leurs collectivités territoriales, que cela soit davantage une affaire citoyenne que de la politique politicienne. Les impératifs politiques et politiciens doivent être réduits au maximum possible.

N’est-ce pas là une manière de désavouer l’acte III de la décentralisation ?

Accuser l’acte III c’est faire fausse route. Depuis l’instauration de domaines de compétences transférées (en 1996, Ndlr) l’État central n’a jamais mis de moyens conséquents au niveau des collectivités, et de mon point de vue c’est une faute. Si on mène une bonne politique de décentralisation, on pourrait supprimer les ministères qui correspondent à tous les domaines de compétence qui sont transférés. Nous allons aujourd’hui vers une quinzaine de compétences transférées, il faut que l’État, en transférant ces domaines de compétence, y mette les moyens financiers et les moyens humains pour permettre aux collectivités territoriales de remplir correctement leur mission. Le report peut être une occasion aussi de réfléchir sur toutes ces questions pour croiser les regards, afin que la politique de décentralisation puisse permettre d’avoir le mieux État. Le mieux-État pour moi c’est l’État le plus proche des populations, mais le jacobinisme que nous avons hérité de la France a, de mon point de vue, atteint ses limites. Aujourd’hui, il nous faut aller vers plus d’implication des populations dans les collectivités territoriales, plus de démocratie participative, plus de libertés locales. Si  la volonté politique y est, des solutions peuvent être trouvées.

L’ombre de Khalifa Sall et Karim Wade plane sur le dialogue…

Leur ombre ne doit pas planer sur le dialogue. Ils ont été condamnés par la justice, et vouloir faire du dialogue politique une occasion de les libérer c’est faire un pied de nez à l’indépendance et à la dignité des magistrats. C’est un jeu extrêmement dangereux auquel il ne faut pas donner libre cours. Il y a des centaines de prisonniers au Sénégal, ces gens-là sont-ils moins Sénégalais que messieurs Karim Wade et Khalifa Sall ? Il faut que les politiciens arrêtent. On ne doit pas effacer la parole de la justice par des préoccupations politiciennes.

La grâce du trafiquant de médicaments Woury Diallo a suscité un tollé, à tel point que les pharmaciens ont déposé un mot d’ordre de grève pour ce mercredi. Sa libération se justifie-t-elle selon vous ?

Moi je l’ai appris avec beaucoup de déception. Et cela renforce ma conviction de toujours : le pouvoir de grâce que la Constitution a accordé au président de la République doit être supprimé, tout comme le pouvoir d’amnistie dont dispose l’Assemblée nationale. En les supprimant, je crois qu’on rendra la justice davantage indépendante, et du législatif et de l’exécutif. Je crois qu’il doit y avoir une enquête au niveau de l’administration pénitentiaire, au niveau du service qui gère les grâces pour savoir ce qui s’est réellement passé. S’il y a une faute que les fautifs soient sanctionnés de la manière la plus sévère parce que c’est inacceptable qu’un vendeur de mort au Sénégal puisse bénéficier d’une grâce du président de la République. C’est antinomique. Donc je condamne sa libération et je crois que ce qu’il urge de faire c’est de mener les enquêtes nécessaires pour apporter les correctifs, identifier les responsables de cette forfaiture et les sanctionner pour que pareil cas de figure ne se pose plus.

Nous sommes actuellement au siège de Benno bokk yakaar. Comment appréciez-vous l’avenir de cette coalition ?

J’estime que nous avons intérêt à maintenir la longévité de la coalition. Elle a battu tous les records de longévité au Sénégal depuis 1960 et ça a donné des résultats probants, ça a favorisé la stabilité du pays, ça a aussi permis au président de la République de bons résultats plébiscités par sa réélection au premier tour. Puisqu’on ne change pas un cheval qui gagne, je souhaite que Benno puisse vivre jusqu’en 2035, année butoir du Pse qui est la charpente économique, programmatique de Bby.

Quid de la transition vers l’après Macky ?

Je ne sais. En tout cas ce que nous devons faire c’est de travailler de façon à ce que nos partis soient mieux organisés. Je parle d’abord pour l’Alliance pour la République. Un parti ce n’est pas une masse informe, un parti doit être organisé aussi bien au niveau horizontal qu’au niveau vertical, ce qui n’est pas encore le cas de l’Apr. Et c’est peut-être cela la caractéristique de l’essentiel des partis politiques sénégalais. Le défi que nous devons relever c’est de maintenir l’unité, mais aussi d’organiser les choix futurs, de telle sorte que tous les partis de la coalition puissent s’y retrouver. En somme, nous devons avoir une organisation territoriale, une organisation verticale qui puisse nous permettre, le moment venu, de choisir le meilleur d’entre nous pour  qu’il représente nos couleurs pour les prochaines présidentielles. Cela demande, de mon point de vue, de la réflexion ; c’est pourquoi je considère qu’il est urgent qu’il y ait des assises de la coalition Bby pour que nous puissions ensemble élaborer une nouvelle feuille de route qui puisse nous conduire à l’après Macky Sall. Tôt ou tard il partira. Et puisque pour le moment c’est lui la colonne vertébrale de la coalition, il faut qu’on en arrive à trouver une alternative à Macky Sall, et cette alternative passe, de mon point de vue, par deux choses : l’organisation de nos différents partis et de la coalition sur l’ensemble du territoire, mais aussi, faire du Pse la charpente principale de la coalition Bby. Si ces deux éléments sont réunis, avec le soutien et le leadership du président de la République, la coalition peut survivre longtemps et remporter des batailles électorales dans les années à venir.

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