À Torre-Pacheco, dans la région de Murcie en Espagne, la tension est à son comble depuis vendredi dernier. Une vague de violences anti-immigrés secoue la ville. Elle est déclenchée par l’agression d’un retraité de 68 ans, attribuée à de jeunes d’origine nord-africaine.
Depuis, les discours haineux se multiplient et les expéditions punitives s’enchaînent nuit après nuit contre la communauté immigrée. Mady Bâ et Baye Laye Touré, Sénégalais séjournant à Murcie, décrivent un climat étouffant. Entre stigmatisation et insécurité grandissante, ils ont décidé de ne plus mettre le nez dehors. Récit.
BAYE LAYE TOURÉ : « Chaque matin, je pars avec la boule au ventre, en regardant derrière moi »
« Je vis à Torre-Pacheco depuis 2006, et je n’ai jamais ressenti autant de pression et de peur qu’aujourd’hui, simplement mettre un pied dehors devient un acte risqué. L’incident qui a été le déclencheur est une véritable tragédie. Mais depuis vendredi, les tensions n’ont fait qu’empirer. »
« Même en allant travailler dehors, je regarde constamment autour de moi. Je vis chaque sortie comme une menace. Chaque matin, je pars avec la boule au ventre, en regardant derrière moi. Je prie pour rentrer chez moi indemne. »
« Ce n’est plus juste une rumeur, c’est un danger réel. On sait que des milices de voisins patrouillent, que certains cherchent à en découdre avec tout visage non européen. On nous rend presque insupportables la vie. »
« Les réseaux sociaux, parfois même les journaux locaux, participent de cette ambiance violente. Ils relaient des propos violents qui n’ont d’autre but que d’alimenter la haine. Même les manifestations publiques de soutien sont mal vues. »
« Et pourtant, la plupart d’entre nous ne demandent qu’à vivre et travailler en paix. On vient chercher une vie meilleure, et on est perçus comme des menaces. »
« Défendre nos droits en tant qu’Africains, en tant qu’humains, devient un défi quotidien. Aujourd’hui, j’ai arrêté de sortir. Je reste chez moi, je limite mes déplacements à l’essentiel, car je sais qu’à tout moment, une altercation peut mal tourner. »
MADY BA : « La plupart des Sénégalais ont cessé toute activité non essentielle »
« Je vis à Murcie depuis 1999, avec toute ma famille. Mais ce qu’on vit ces derniers jours est inédit. Torre-Pacheco est méconnaissable. Ce qui était un quartier tranquille est devenu une zone de peur. »
« Après l’agression du retraité, un climat de suspicion généralisée s’est installé. Le mot “noir” apparaît. Les immigrés ont été regroupés mentalement, sans distinction d’origine. Subitement, être noir est devenu une raison d’être pris pour cible. »
« On voit sur les groupes d’entraide communautaire passer des alertes sur les zones à éviter. Même des employeurs demandent à certains Sénégalais de ne pas venir travailler “le temps que ça passe”. »
« Ceux qui ont des enfants les gardent à la maison. Les femmes ne vont plus faire les courses. Même aller à la pharmacie devient une prise de risque. »
« Nous avons contacté l’ambassade et le consulat pour signaler la gravité de la situation. Mais on a parfois l’impression d’être seuls. »
« Cette situation est grave, car elle se nourrit de fausses informations, de généralisations absurdes. Et elle touche tous les immigrés, y compris les Latino-américains, les Africains en général, les Roumains, etc. »
« Aujourd’hui, on a l’impression que tout peut exploser. Il faut que les autorités locales prennent leurs responsabilités. Il en va de la sécurité de centaines de familles. »