Réconciliation oui, mais abrogez la loi d’amnistie en attendant « la sweet ».

Et si le Sénégal ne s’était jamais remis de l’affaire Sweet Beauty ? Dans cette tribune incisive, Thierno Diop démonte le mythe d’une réconciliation nationale possible sans vérité, et appelle à rouvrir le dossier le plus explosif de notre jeune République. Sans lumière, pas de paix. Sans justice, pas de pardon.

Ne pas classer l’affaire sans… SWEET !
Réconcilier sans juger ? Impossible.
Je fais partie de ceux qui ont salué, sans prudence calculée ni arrière-pensée partisane, l’appel du Président Bassirou Diomaye Faye à une réconciliation nationale. Dans un pays où les familles ne dînent plus à la même table depuis les événements de 2021, où l’économie tangue au gré des incertitudes, où les jeunes préfèrent la mer à la parole, l’exil au débat, nous n’avons plus le luxe d’ajourner la paix. Mais une réconciliation sans vérité, sans parole levée, sans justice rendue, n’est qu’un armistice fragile et mensonger.

Et si nous voulons véritablement faire jaillir la vérité, alors il faut cesser d’en contourner le noyau dur. Le point de rupture national, celui qui a fracturé le récit collectif, c’est bien Sweet Beauty. Tous les chemins politiques y mènent, toutes les lignes de fracture y prennent racine. On peut empiler les procédures secondaires, alimenter des clashs TikTok, orchestrer des convocations ciblées ou des garde-à-vue théâtrales… rien n’efface l’origine du feu : l’affaire Adji Sarr.

On a parlé de complot d’État. Très bien. Mais où sont les preuves ? Qui a planifié quoi ? Qui a ordonné quoi ? Qui savait quoi ? Ousmane Sonko a d’abord pointé Macky Sall du doigt, pour ensuite rétropédaler et accuser Amadou Ba. Entre-temps, le peuple a été saturé d’opinions, mais laissé orphelin de faits. La vérité a été ensevelie sous les narratifs.

Outre Macky, toutes les figures mentionnées dans ce présumé « complot » par le « malade imaginaire » – pour reprendre une formule qui a circulé – sont toujours bien vivantes, disponibles pour être entendues, si on leur en donne l’occasion. C’est ici et maintenant, hic et nunc, que le peuple doit exercer une pression légitime sur la justice, non pas pour l’influencer, mais pour qu’elle s’exerce pleinement, sans entrave, ni calcul.

Ma position est simple, et constante : refaisons ce procès, non pas dans le secret des chambres, mais à ciel ouvert, et surtout à cœur découvert. On ne peut pas faire la paix sur des silences superposés. On ne peut pas bâtir la République sur des contre-feux médiatiques, aussi habiles soient-ils. Il faut faire justice à toutes les victimes, y compris celles qu’on a volontairement muselées parce qu’elles dérangeaient la version officielle.

Ensuite, on pourra ouvrir le dossier brûlant de la loi d’amnistie. Et, si nécessaire, demander à ceux qui l’ont défendue : au nom de quelle justice indemnise-t-on des “victimes” avant que la justice elle-même n’ait établi les responsabilités ?Pourquoi a-t-on agité l’amnistie comme un préalable incontournable (à en croire les mots de Pierre Goudiaby Atepa, envoyé spécial de Sonko), sans jamais exiger, en amont, toute la lumière sur le dossier Sweet ? Pourquoi ce double langage, entre grandeur publique et tractations en coulisse avec Macky Sall ?

On a aussi entendu que l’actuel Premier ministre, reclus dans son fief de Ziguinchor, a délibérément refusé de répondre à la convocation de la justice, affirmant plus tard qu’il s’agissait d’une stratégie de report du procès. C’est donc qu’il y a eu volonté d’esquiver. On ne peut à la fois se dire victime et saboter les conditions d’une instruction complète.

Il est certain – plusieurs cadres de Pastef le reconnaissent à demi-mot – que Bassirou Diomaye Faye ne serait peut-être jamais devenu Président de la République si Sonko n’avait pas été écarté. Ce fait n’est pas neutre. Toute la question est désormais de savoir ce que deviendra le destin politique de Sonko si cette affaire venait à être vidée. C’est peut-être la seule affaire qu’il veut éviter de voir ressurgir. D’où, sans doute, cette injonction récurrente au président de la République de « le laisser gouverner » : car c’est Sweet Beauty qui l’a empêché d’être président.

Alors que chacun prenne enfin ses responsabilités. La République ne peut être le refuge des vérités partielles. On ne construit pas l’avenir d’un peuple sur une affaire mal refermée. Tant que cette première étincelle ne sera pas clarifiée, tous les autres incendies politiques continueront à prendre feu sur les braises de la suspicion.

En vérité, l’affaire Adji Sarr a engendré un cercle vicieux de mensonges, de procès d’intention et de manipulation, que seule la justice, dans sa forme la plus rigoureuse et transparente, peut transformer en cercle vertueux de vérité et de réconciliation.

Dans son adresse à la Nation, lors de la restitution du dialogue national, le Président Diomaye Faye réaffirmé sa volonté de laisser la justice faire son travail, sans interférence. C’est une ligne claire, républicaine. Alors, si l’on veut vraiment solder ce passé, commençons par le commencement. Que lumière soit faite sur l’affaire Sweet Beauty, et seulement ensuite, discutons de l’amnistie. Dans cet ordre-là. Pas dans l’autre.

La République ne se construit pas sur des silences empilés. Elle se construit sur la vérité. Rien que la vérité. Toute la vérité.

Sweet… et pas fin!

Thierno Diop