Si vous n’avez jamais entendu parler de Novo Nordisk, le poids lourd danois de l’industrie pharmaceutique, vous connaissez peut-être Ozempic et Wegovy, deux médicaments contre le diabète et faisant perdre du poids. Retour sur la dernière campagne publicitaire de l’entreprise en Espagne, qui a créé la polémique, posant la question de la frontière entre messages de santé publique et publicité illégale.
En juin, le ministère espagnol de la Santé a ouvert une enquête sur la campagne de sensibilisation « Obésité sans filtre », parrainée par le fabricant danois de médicaments Novo Nordisk et diffusée sur les réseaux sociaux, dont les affiches ont été placardées dans tout Madrid.
La campagne n’a pas mentionné les médicaments Ozempic et Wegovy contre le diabète et l’obésité, car la publicité auprès de la population concernant des traitements qui ne peuvent être délivrés que sur prescription médicale est interdite dans l’UE.
La communication de Novo Nordisk mettait en garde contre le surpoids qui « peut tuer », en présentant un jeu télévisé fictif dans lequel une femme en situation d’obésité était avertie sur les risques des maladies cardiovasculaires.
Selon Javier Padilla, secrétaire d’État à la Santé au sein du ministère éponyme, le message de la société pharmaceutique danoise était suffisamment effrayant pour inciter à consulter son médecin, et provoquer une hausse des prescriptions ou une utilisation non conforme des médicaments amaigrissants GLP-1 de Novo Nordisk.
En Espagne, les ventes de ces médicaments ont été multipliées par 25 depuis 2019. Ces traitements simulent une hormone naturelle qui aide à réguler la glycémie et l’appétit.
Novo Nordisk a expliqué à Euractiv que sa campagne de sensibilisation était bel et bien un message de santé publique visant à « éduquer le public ».
La société a tout de même temporairement retiré sa publicité en juin, laissant le soin aux régulateurs et aux observateurs politiques de débattre de la question suivante : où placer le curseur entre la sensibilisation et la publicité ?
Une zone grise juridique
Selon les détracteurs, cette affaire met en évidence les zones grises de la législation européenne en matière de publicité pharmaceutique, qui a déjà causé des problèmes en Irlande à Novo Nordisk.
Un porte-parole de la Commission européenne a fait savoir à Euractiv qu’il n’avait pas été clairement établi que la campagne espagnole de l’entreprise danoise enfreignait les lois de l’UE, les autorités nationales ayant la responsabilité d’éclaircir ce point.
À noter, Novo Nordisk a également mené des campagnes de sensibilisation similaires cette année en Italie, en France, au Danemark et en Grèce.
La polémique en Espagne survient au moment où l’Union européenne procède justement à la plus grande révision de sa législation pharmaceutique depuis vingt ans. Le « paquet pharmaceutique » pourrait encore renforcer les règles relatives aux campagnes de sensibilisation initiées par les fabricants de médicaments.
Les règles actuelles de l’UE interdisent déjà les publicités mentionnant certaines affections, notamment les maladies métaboliques et le diabète, sans « aucune référence, même indirecte, aux médicaments ».
Toutefois, d’après Tilly Metz, eurodéputée du groupe des Verts au sein de la commission de la santé du Parlement européen, ces règles devraient aller plus loin et « couvrir les nouvelles formes de commercialisation des médicaments par le biais des réseaux sociaux ».
Des vues étroites
Au-delà de la légalité, les campagnes de Novo Nordisk promeuvent une vision très individuelle et médicalisée de l’obésité, qui « amplifie les sentiments de culpabilité et s’avèrent du pain béni pour les influenceurs », a déploré Javier Padilla dans un communiqué.
L’entreprise danoise a défendu sa campagne espagnole auprès d’Euractiv, arguant que celle-ci faisait écho à la définition de l’OMS de l’obésité décrite comme une maladie chronique.
Novo Nordisk s’appuie également sur l’indice de masse corporelle (IMC) pour caractériser l’obésité. Or, cet indice, qui réduit notre état de forme à la taille, au sexe, à l’âge et au poids, est généralement considéré comme un mauvais indicateur de la santé globale.
Par exemple, le message véhiculé à travers la campagne « Obésité sans filtre » ne tient pas compte des facteurs « psycho-socio-économiques et médicaux » qui favorisent l’obésité, a détaillé l’eurodéputée Tilly Metz, notamment les systèmes alimentaires malsains ou le coût de la vie. Les experts médicaux ne sont pas non plus d’accord sur la définition de l’obésité clinique.
Jacqueline Bowman, consultante européenne en matière d’obésité et ancienne responsable de la politique de l’Association européenne pour l’étude de l’obésité, a dénoncé le fait que la campagne de Novo Nordisk ne reflétait pas l’ensemble de la science de l’obésité en s’appuyant uniquement sur l’apparence.
Elle a toutefois expliqué que l’utilisation par la société danoise de l’IMC comme critère d’évaluation clinique n’est pas une « préférence de l’industrie », mais un précédent réglementaire établi par la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis et l’Agence européenne des médicaments (EMA).
L’emballement médiatique autour des médicaments amaigrissants GLP-1 et les spots télévisés qui en font indirectement la promotion accompagnent la hausse des ventes, et il n’est pas certain que d’autres pays, à l’image de l’Espagne, considèreront que l’industrie pharmaceutique a franchi une ligne rouge.
Comme le souligne Javier Padilla, le débat témoigne en réalité d’un problème plus profond : « L’obésité n’est pas un concept neutre dans notre société. »