Le 22 février 2012, à Homs en Syrie, lorsque le bâtiment abritant un centre de presse avait essuyé de premiers tirs, les journalistes qui s’y trouvaient avaient décidé de sortir. Les deux premiers à franchir la porte, la reporter américaine du Sunday Times Marie Colvin, 56 ans, et le photographe free-lance français Rémi Ochlik, 28 ans, avaient été tués par un obus de mortier, tandis qu’à l’intérieur, la journaliste française Edith Bouvier, le photographe britannique Paul Conroy et leur traducteur syrien Wael al-Omar avaient été blessés.
« Après 13 ans d’enquête, les juges d’instruction du pôle crimes contre l’humanité du tribunal judiciaire de Paris ont délivré des mandats d’arrêt à l’encontre de sept anciens hauts gradés syriens pour complicité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité », ont expliqué des avocats dans un communiqué transmis par la Fédération internationale des droits humains (FIDH).
Outre Bachar al-Assad, exilé en Russie, ces mandats signés par les juges le 19 août visent notamment Maher al-Assad, frère du président déchu et chef de facto de la 4ᵉ division blindée syrienne au moment des faits. Mais aussi Ali Mamlouk, alors directeur des renseignements généraux syriens. Également Ali Ayoub, chef d’état-major de l’armée syrienne au moment des faits, et Rafik Shahada, alors chef du comité militaire et sécuritaire de Homs.
Ces mandats « constituent une étape décisive qui ouvre la voie à un procès en France », a souligné Clémence Bectarte, avocate de la FIDH et du Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression (SCM). Edith Bouvier, qui avait été grièvement blessée à la jambe, a exprimé son bonheur. « C’était long, mais on y arrive enfin, c’est génial ». « C’est le premier pas vers la fin d’une ignoble impunité », a réagi de son côté son avocate Me Marie Dosé. Edith Bouvier souligne auprès de Laura Martel de RFI l’importance de cette décision de la justice française.
Même s’il sera difficile d’obtenir l’arrestation de Bachar al-Assad, « le nom est posé », s’est félicitée Edith Bouvier. « Je ne voulais pas qu’on aille uniquement à la recherche des seconds couteaux. Ces bombardements n’étaient pas des décisions prises ville par ville, c’était vraiment une volonté de l’État de réduire les journalistes et les civils au silence », a ajouté la reporter. Elle a tenu à saluer « le boulot incroyable, pour en arriver là », de documentation et d’enquête réalisé par le reporter syrien Samer Al Deyaei.
Reporters sans frontières s’est félicité de « cette avancée majeure (…) dans un dossier central pour la lutte contre l’impunité des crimes internationaux commis à l’encontre des journalistes ». « L’étau se resserre jusque dans les plus hauts cercles du régime déchu de Bachar al-Assad, lequel avait érigé les journalistes indépendants et la presse libre en ennemis du pouvoir », a ajouté l’ONG. Le centre de presse informel était abrité dans une maison du quartier de Bab Amr, un bastion de la rébellion de l’Armée syrienne libre (ASL).
À Paris, le parquet avait ouvert dès mars 2012 une enquête pour les victimes françaises pour meurtre et tentative de meurtre. En octobre 2014, l’enquête a été élargie à des faits de crimes de guerre, et en décembre 2024, à des faits de crimes contre l’humanité, un développement inédit en ce qui concerne des victimes journalistes.
Dans un réquisitoire supplétif du 7 juillet, le parquet national antiterroriste, compétent en matière de crimes contre l’humanité, avait demandé aux juges d’instruction de localiser une vingtaine “d’agents du régime” syrien, ainsi que Bachar al-Assad, 59 ans.
À lire aussi