El Hadj Malick Youm : « La stabilité de l’école ne sera garantie que si les accords sont respectés »

À quelques semaines de la nouvelle année scolaire, le secrétaire général du Saems fixe des lignes rouges claires. Dans un entretien au « Soleil », El Hadji Malick Youm pense que le respect des accords signés avec le gouvernement est la condition pour la stabilité de l’année scolaire. « La stabilité ne sera garantie que si les accords sont respectés », affirme-t-il. Parmi les urgences : l’éradication des lenteurs administratives, la signature immédiate des décrets pour les décisionnaires, la correction des inégalités salariales, la suppression des abris provisoires, le recrutement massif par concours et la poursuite de la révision des curricula. Et il martèle, avec gravité : « la priorité des priorités au Sénégal doit être l’éducation. Sans une école forte, aucun secteur ne pourra se développer durablement. L’éducation, l’éducation, encore une fois l’éducation ».

Pour le secrétaire général du Saems, l’année scolaire 2024-2025 a été « relativement stable » au regard du déroulement des cours. « Nous pouvons dire que l’année a connu un déroulement régulier des enseignements et apprentissages, sans perturbation majeure », explique-t-il, reconnaissant que ce constat marque une différence avec des années antérieures, secouées par des grèves cycliques. Mais cette stabilité n’est qu’apparente, prévient-il, car des problèmes structurels lourds demeurent.

Le premier d’entre eux est le déficit chronique d’enseignants. « Au début de l’année, il manquait plus de 4.200 enseignants. Le gouvernement a certes recruté 2.000 enseignants, mais encore une fois par la méthode des recrutements spéciaux que nous dénonçons », regrette-t-il. Pour lui, ces recrutements exceptionnels, utilisés depuis l’indépendance, ont introduit dans le système « des enseignants dont le profil ne correspondait pas toujours aux exigences », contribuant à fragiliser l’école. Il appelle donc à « un retour aux concours prévus par la loi, seule garantie de transparence et d’équité ».

À cette pénurie, s’ajoute, selon lui, la question des infrastructures. El hadji Malick Youm soutient que plus de 7.200 classes restent encore de simples abris provisoires. « On ne peut pas faire de performance dans un système éducatif où des milliers d’enfants apprennent sous des paillotes, exposés à la pluie et à la chaleur », fustige le syndicaliste.

Entre revendications syndicales et promesses non tenues

D’après lui, les résultats scolaires envoient un signal rouge. « Les résultats du baccalauréat sont passés de 52 % en 2021 à environ 47 % en 2025. Cinq points perdus en si peu de temps, c’est énorme et inquiétant », constate le syndicaliste. La tendance est la même pour le Bfem, en baisse de trois points sur deux ans. Pour lui, ces chiffres traduisent « un malaise profond, lié à la surcharge des classes, au manque de formation continue et à l’absence d’outils pédagogiques modernes ». Le leader du Saemss appelle à « un sursaut national » pour éviter de replonger dans « les années noires où les taux de réussite plafonnaient à 30 % ».

Si les enseignants ont contribué à préserver la stabilité du système, leur patience est mise à rude épreuve par l’attitude de l’État. « La promesse de zéro lenteur administrative n’a pas été respectée. Les dossiers d’avancement et de reclassement restent bloqués au ministère des Finances. À chaque étape, les dossiers stagnent, retardant les carrières et démotivant les enseignants », dénonce le secrétaire général national du Saemss.

Le problème de la rémunération reste également une plaie béante. « Nous ne demandons pas des privilèges, mais l’équité. Il est inconcevable que des corps ayant le même niveau académique que les enseignants soient payés huit à dix fois plus », fulmine El Hadji Malick Youm. Selon lui, cette inégalité « mine la motivation et fragilise la qualité des enseignements ».

Le cas des « décisionnaires » illustre aussi la lenteur du gouvernement. Ces quelque 10.000 enseignants, recrutés sans statut clair, attendent depuis des années une régularisation. « Nous avons discuté, deux décrets ont été modifiés d’un commun accord, mais neuf mois après, ils ne sont toujours pas signés », s’indigne M. Youm. Et il prévient : « Si rien n’est fait, les syndicats n’auront pas d’autre choix que de porter le combat ».

Sur le plan du dialogue social, le syndicaliste reconnaît une légère amélioration. « Pour la première fois, nous avons été conviés à certaines concertations de haut niveau. C’est un signe positif », note Malick youm. Mais il dénonce la présence récurrente de syndicats non représentatifs à ces réunions. À cela s’ajoute la lenteur dans l’examen des nouvelles revendications. « Depuis une décennie, nous sommes enfermés dans des négociations de restitution, c’est-à-dire la mise en œuvre d’accords déjà signés. Pendant ce temps, les nouvelles questions telles que la retraite, le plan de formation et la digitalisation ne sont pas traitées », déplore-t-il.

Former, réorienter et numériser pour sauver l’école

Pour sortir de l’impasse, Elhadj Malick Youm insiste sur trois leviers : la formation, l’orientation et la digitalisation. D’abord, la formation des enseignants. « Le Sénégal est le seul pays où des enseignants demandent à être formés et on leur répond qu’il n’y a pas de moyens », dénonce-t-il. Il salue néanmoins le lancement d’une formation diplômante universelle en ligne pour 6.400 enseignants, qu’il juge comme « une avancée significative ». Mais il demande sa généralisation : « Il ne doit plus y avoir un seul enseignant en attente de formation ».

Ensuite, il s’est attaqué à l’orientation scolaire. Le syndicaliste alerte sur le déséquilibre entre filières. « Aujourd’hui, 70 % des bacheliers sont littéraires. C’est un handicap majeur. Il faut inverser la tendance et produire au moins 70 % de bacheliers scientifiques et techniques. », recommande El Hadji Malick Youm. Il préconise une orientation précoce dès la classe de troisième, inspirée des modèles allemands ou ghanéens, qui permettent de diriger les élèves vers des filières scientifiques, technologiques ou professionnelles.

La digitalisation du système éducatif constitue, selon lui, un pilier incontournable. « Depuis des décennies, nous demandons la dotation de kits numériques pour les enseignants et les élèves. Or, le monde avance et nous restons à la traîne », insiste-t-il.

Avec Le soleil