C’est devant un « box » vide que le bureau du procureur devrait requérir la mise en accusation de Joseph Kony, mardi 9 septembre. La Cour pénale internationale (CPI) ouvrira trois jours d’audiences pour examiner les charges portées contre le chef de l’Armée de Résistance du Seigneur (LRA), milice créée en 1986 dans le nord du pays pour contrer le régime ougandais de Yoweri Museveni. En cavale depuis déjà 20 ans, le chef de l’Armée de Résistance du Seigneur doit répondre de 39 chefs d’accusation de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, commis entre le 1er juillet 2002 et le 31 décembre 2005 dans le nord de l’Ouganda.
La milice, formée en grande partie d’enfants enlevés – 60 000 selon l’ONU – aujourd’hui quasiment inactive, signait ses crimes en coupant les lèvres, les oreilles et les membres de ses victimes. Kony doit répondre notamment de meurtres, de viols, et d’esclavage sexuel : les fillettes enlevées sur le chemin de l’école étaient « offertes » à ses commandants. Joseph Kony, qui aurait aujourd’hui autour de 64 ans, menait sa campagne sur la base des Dix commandements de la Bible. À partir de 2005, après l’échec de négociations de paix, la LRA avait quitté le nord de l’Ouganda et s’était déployée en République démocratique du Congo (RDC) puis en Centrafrique. Joseph Kony n’est néanmoins pas accusé des crimes commis dans ces deux pays.
Premières audiences par contumace
C’est la première fois que la Cour mène des audiences en l’absence du suspect. Impossible d’arrêter Joseph Kony, ont estimé les juges. Il avait été inculpé le 8 juillet 2005, alors que des négociations de paix étaient en cours avec le gouvernement ougandais. Via des négociateurs, qui s’étaient déplacé jusqu’à La Haye, il avait alors tenté d’obtenir le retrait des charges portées contre lui. En 2010, sollicité par des ONG californiennes, Barack Obama avait déployé des dizaines de « conseillers » de l’Armée américaine pour soutenir l’armée ougandaise dans sa traque. L’armée américaine pouvait ainsi déployer ses hommes, notamment en Centrafrique. Les États-Unis avaient mis sa tête à prix 5 millions de dollars. Les forces américaines s’étaient retirées en 2017.
Puis plus rien ne s’est passé jusqu’en 2024. La Cour a mené une intense campagne médiatique, pour informer le fugitif des charges et surtout de la procédure. Jointe par téléphone, Maria Kamara, en charge du programme de communication de la Cour en Ouganda, assure que « cette procédure a relancé l’intérêt et l’espoir » des Ougandais, « je dirais un espoir prudent qu’il soit arrêté, ou qu’il se rende lui-même », comme l’ont fait de nombreux combattants de la LRA depuis 2005.
Justice et réconciliation
Même s’il est absent et en fuite, des avocats plaideront à la Cour en faveur de Joseph Kony. Au cours des derniers mois, ils se sont rendus dans le nord de l’Ouganda, pour y rencontrer les dirigeants religieux, politiques et culturels du nord de l’Ouganda. Selon maître Peter Haynes, ils considèrent que « la procédure de confirmation des charges par la CPI […] risque de réduire à néant des années de travail centrées sur un programme multiforme et interétatique de rapatriement de l’Armée de résistance du Seigneur ».
La Centrafrique, la RDC, le Sud-Soudan et l’Ouganda ont établi un plan commun de démobilisation et de rapatriement des combattants de la LRA qui veulent faire défection notamment. Selon une requête de Peter Haynes à La Haye déposée en avril 2024, « ces dirigeants, dont beaucoup sont personnellement impliqués dans les rapatriements, sont unanimes : la tentative de la CPI de tenir des procédures par contumace perturbe ces efforts de réconciliation ». Ils affirment en outre que « Joseph Kony ne se manifestera jamais », explique l’avocat britannique. En février, des membres de la famille du fugitif ont été rapatriés depuis la Centrafrique. Selon la défense de Kony, beaucoup demandent la fermeture des procédures de la CPI.