Sénégal : boom pétrolier ou bombe à retardement ?

2025 devait être l’année de tous les espoirs pour le Sénégal. Avec l’entrée en production du pétrole et du gaz, le pays s’apprête à connaître une croissance de 12 %, un chiffre vertigineux dans un continent souvent assoiffé de développement. Mais derrière les chiffres triomphants, une autre réalité émerge : celle d’un pays qui risque de transformer un moment historique en mirage économique. Car le pétrole ne fait pas oublier les fissures profondes d’un édifice financier fragilisé par des années de gestion contestée et par une communication politique qui frôle parfois l’irresponsabilité.

Pétrole : une richesse à double tranchant

Le Sénégal entre dans le club restreint des producteurs d’hydrocarbures. L’euphorie est palpable, les discours sont enflammés, les projections optimistes. Mais cette croissance spectaculaire est bâtie sur un seul pilier : l’or noir. Le risque est connu, documenté, et même théorisé : c’est le fameux syndrome hollandais, cette malédiction qui frappe les économies trop dépendantes des ressources naturelles. Une rente qui grise les gouvernants, tue l’industrie locale et anesthésie toute velléité de diversification.

Or, c’est précisément cette diversification qui pourrait faire du pétrole un tremplin plutôt qu’un piège. Sans elle, l’économie sénégalaise pourrait bien afficher des taux de croissance artificiels, masquant une récession silencieuse dans les secteurs non pétroliers.

Dette cachée : vérité comptable ou théâtre politique ?

À cela s’ajoute une autre tempête, plus insidieuse : la bombe de la « dette cachée ». Le premier ministre, a levé le voile sur des milliards de FCFA non déclarés, haussant l’endettement réel. Des chiffres vertigineux, qui ont aussitôt déclenché l’alarme du FMI et des agences de notation. Résultat : décaissements suspendus, emprunts plus coûteux, investisseurs méfiants.

Mais au lieu de gérer cette crise avec discrétion et rigueur, le nouveau pouvoir a préféré l’option du grand déballage. En dénonçant bruyamment la gestion passée, il a peut-être gagné quelques points politiques… mais perdu beaucoup de crédibilité sur la scène internationale.

Car cette « dette cachée » est-elle vraiment une découverte ? De nombreux économistes rappellent qu’il ne s’agit pas nécessairement d’un scandale budgétaire, mais de pratiques connues, même si discutables. En réalité, la question n’est pas comptable, elle est politique : faut-il tout dire, à n’importe quel prix ? Dans un monde où la parole gouvernementale est scrutée à la loupe, l’excès de transparence mal maîtrisé peut faire plus de dégâts qu’un silence stratégique.

Communication ou autodestruction ?

En criant au loup, le nouveau régime a peut-être tiré une balle dans le pied du pays. Car un État ne peut pas se permettre l’improvisation communicationnelle. Les marchés n’ont pas de patience pour le spectacle politique. Les bailleurs n’accordent pas leur confiance à ceux qui s’exhibent en train de laver leur linge sale en public.

Ce qui devait être un acte de « vérité » s’est transformé en une crise de confiance. Et dans l’univers impitoyable de la finance internationale, la confiance est plus précieuse que le pétrole.

Le vrai défi : lucidité et responsabilité

Aujourd’hui, deux chemins se dessinent pour le Sénégal :

● L’optimisme volontariste : la manne pétrolière est utilisée à bon escient, la dette est restructurée intelligemment, et le pays devient un exemple de transition économique maîtrisée.

● Le scénario du déclin : les investissements publics chutent, les financements se tarissent, et la croissance ne profite qu’à un secteur hypertrophié, pendant que le reste de l’économie s’essouffle.

La clé ? Une gouvernance lucide, un cap économique clair, et surtout la fin du théâtre politique. Le Sénégal n’a pas seulement besoin d’assainir ses finances. Il doit se réconcilier avec lui-même, éviter les règlements de comptes inutiles et ne jamais perdre de vue l’intérêt supérieur de la nation.

Pétrole ou poudre aux yeux ?

Le boom pétrolier ne garantit rien. Il n’est qu’une opportunité — pas une solution miracle. La vraie richesse du Sénégal ne coule pas sous terre, elle réside dans sa capacité à faire les bons choix. Et cela commence par un principe simple mais exigeant : ne pas sacrifier l’avenir sur l’autel de la communication politique.

Par Amadou Baba Ndiaye