Médecine traditionnelle : entre héritage ancestral et quête de reconnaissance

Au pied du stade Iba Mar Diop en reconstruction et jusque dans les allées du marché Tilène à Dakar, les guérisseurs s’activent. Face aux limites de l’hôpital, ils continuent d’attirer une clientèle fidèle. Entre traditions populaires, absence de cadre officiel et besoin pressant de soins, la médecine traditionnelle s’impose toujours dans le quotidien des Sénégalais.

Il est 16 h 30, ce samedi 13 septembre 2025, à la rue 11 de la Médina de Dakar. Le soleil cogne encore sur les toitures et les murs décrépis, mais l’animation ne faiblit pas dans ce quartier populaire de la capitale. Les ruelles grouillent de monde : enfants courant derrière un ballon, marchands ambulants criant en haute voix pour faire appel aux clients, taxis klaxonnant pour se frayer un passage.

Au loin, le bruit métallique des marteaux et des bétonnières couvre un instant le brouhaha ambiant. Le chantier de reconstruction du stade Iba Mar Diop bat son plein. Les ouvriers, casques vissés sur la tête, s’affairent, le torse luisant de sueur. Juste à côté, contre le mur du stade, un autre spectacle attire l’œil.

Dans un espace réduit, aménagé à la hâte avec des bancs de fortune et des bâches, plusieurs guérisseurs se sont installés. Ici, tout respire la médecine traditionnelle : bouteilles en verre alignées, sachets de racines suspendus, calebasses remplies de poudres mystérieuses. Les uns disent traiter l’estomac, d’autres les hémorroïdes ou le diabète.

Tous revendiquent un savoir hérité, transmis de génération en génération. Parmi eux, un homme attire particulièrement l’attention. En boubou clair, barbe poivre et sel soigneusement taillée, Ismaïla Cissé accueille les patients avec un sourire calme. Sur la table devant lui, s’entassent fioles et bocaux.

Originaire du Niger, il vit à Dakar depuis plus de trente ans. « C’est un héritage familial, j’ai appris ce métier auprès de mon père et de mon grand-père », explique-t-il, en caressant machinalement une racine séchée. Spécialisé dans le traitement des maux d’estomac, de la faiblesse sexuelle, des hémorroïdes ou encore du diabète, il affirme que tout part des plantes.

Les deux médecines peuvent cohabiter

« La médecine moderne ne nous empêche pas d’avoir une clientèle », dit-il d’un ton posé. « Au contraire, on collabore parfois avec des médecins. Quand ils ont un malade qu’ils n’arrivent pas à soigner, il arrive qu’ils l’orientent ici ».

À quelques pas de la table d’Ismaïla Cissé, une femme patiente sur une chaise basse, sac en plastique serré entre les mains. Elle observe en silence les bocaux alignés, avant de prendre la parole, presque comme pour se justifier. « Quand je tombe malade, mon premier réflexe, c’est d’aller voir le médecin », confie-t-elle.

Mais son regard se voile au souvenir d’une expérience marquante. « Une fois, après plusieurs examens et traitements, on n’avait rien trouvé. Rien n’expliquait mes douleurs. C’est ce qui m’a poussée à venir voir les tradipraticiens ».

Elle esquisse un sourire discret, comme pour se rappeler son propre scepticisme d’antan. « Quand j’étais adolescente, je n’y croyais pas du tout. Mais au fur et à mesure qu’on grandit, on voit la réalité ».

Puis, plus assurée, elle ajoute « Je pense que les deux médecines peuvent cohabiter. Après tout, les médicaments vendus en pharmacie viennent des plantes. C’est du pareil au même. Le seul problème, c’est le dosage. Eux, ils ne le maîtrisent pas toujours ».

Ses mots résonnent comme un écho à ce que de nombreux patients murmurent. L’hôpital reste la première porte, mais quand la science se heurte à ses limites, le recours à la médecine traditionnelle s’impose, presque naturellement. Un peu plus loin, à une centaine de mètres de là, l’ambiance change.

Au marché Tilène, cœur battant de la Médina, les étals de légumes, de poissons et d’épices dégagent mille parfums mêlés. Les cris des vendeurs se disputent aux klaxons, tandis que les allées étroites s’emplissent d’une foule bigarrée. Entre deux ruelles qui mènent à l’intérieur du marché, un espace attire l’attention.

Quelques bancs de fortune et des sachets accrochés aux murs. Ici aussi, les guérisseurs ont trouvé leur place. C’est là que s’est installé Makhtar Bousso, boubou sobre et voix posée. Depuis plus de vingt ans, il perpétue l’héritage reçu de son père. « Il y a certaines plantes dont on utilise les feuilles, d’autres les racines », explique-t-il en montrant un petit tas de racines séchées posées devant lui.

Mais très vite, son discours prend une tournure plus critique. « Le seul problème de la médecine traditionnelle découle de sa non-reconnaissance par l’État », déplore-t-il. Pour lui, ce manque de statut officiel alimente la confusion et fragilise la pratique. « Si elle était reconnue, cela permettrait de mieux l’organiser. En médecine moderne, il n’est pas permis à n’importe qui d’ouvrir une clinique. Pourquoi en serait-il autrement pour nous ? ».

Derrière ces mots, une revendication claire. Donner à la médecine traditionnelle une légitimité institutionnelle, afin d’écarter les charlatans et de protéger les patients.

Selon l’Organisation mondiale de la santé, près de 80 % des populations africaines ont recours à la médecine traditionnelle pour leurs soins primaires. Au Sénégal, malgré l’absence de cadre légal clair, les tradipraticiens continuent d’accueillir chaque jour des patients. Preuve que, loin des débats, la cohabitation des deux médecines est déjà une réalité bien ancrée.

avec le soleil