Cher Monsieur Moubarack Lo,
Vous avez de fort belle manière argumentée les raisons pour lesquelles, l’Etat du Sénégal doit signer le contrat de concession avec la multinationale Tosyali Holdings, pour l’exploitation des mines de fer de la Falémé. Certes un novice en la matière peut succomber sous le charme des milliards, 1200 à 1800 milliards de francs CFA soit ¼ du budget national pour 2018, et se réjouirait de voir qu’enfin notre fer sortira sous terre pour contribuer au développement socio-économique du pays.
Vous le savez mieux que moi M. Lô, Les ressources minérales constituent des enjeux géopolitiques et géostratégiques pour la plupart des pays développés dont la Turquie qui aujourd’hui, à l’image de la Chine et de l’Inde, cherche à se positionner en Afrique et à disposer des matières premières à des prix très compétitifs. Loin de moi l’idée de dénigrer ou de ternir l’image d’une compagnie dont j’ai peu de connaissance, par contre, un récent séjour au Canada et plus particulièrement dans la ville de Sudbury, dans l’Ontario m’a permis de voir et d’apprécier le vrai sens d’un hub minier, non pas en termes de milliards investis ou extraits de la terre mais plutôt en termes de développement socio-économique inclusif avec un investissement structuré incorporant toute une chaîne de valeurs allant de l’exploitation minière vers la transition agricole et prenant en compte non seulement le respect de l’environnement mais la recherche universitaire ainsi que la formation professionnelle en continu.
S’il y a un modèle de développement durable à étudier de prêt et à reproduire pour l’exploitation des mines de fer du Falémé, je vous inviterai M. Lô à vous inspirer de celui de la ville de Sudbury. Mais au-delà de la question de l’exploitation, il se pose d’abord une question d’opportunité.
Le Sénégal depuis 2012 est devenu un pays pétrolier et gazier avec des découvertes importantes en offshore, allant de Saint-Louis jusqu’en Casamance en passant par Kayar et Joal sans compter les blocs de Rufisque Offshore. Les compagnies pétrolières prévoient que le premier baril de pétrole du Sénégal serait sur le marché entre 2022 et 2024. Ainsi ne devrions-nous pas, dans une logique économique et structurelle concentrer nos efforts à mettre en place les infrastructures pour accompagner l’exploitation de ces ressources afin d’en capter les dividendes et de les investir plus tard dans l’exploitation et la transformation locale de nos matières premières. Une partie des recettes tirées des hydrocarbures pourrait servir dans la construction des chemins de fer et du port minéralier pour accroître notre compétitive et attirer des investisseurs plus importants pour les mines du Falémé.
Lors de la concertation nationale sur la gestion des recettes issues de l’exploitation du pétrole et du gaz qui s’est tenue le 12 Juin 2018 au CICAD, son Excellence M. le Président Macky Sall avait que les retombées attendues de ces ressources sont de 16.800 milliards, soit 30 milliards de dollars juste pour les blocs qui se trouvent entre le Sénégal et la Mauritanie et qui seront exploités par BP et Cosmos Energy. Une bonne partie de ces recettes pourront être utilisées pour l’exploitation des fers du Falémé dans le cadre d’un partenariat public-privé judicieux où l’Etat du Sénégal détiendra au moins 50% du capital et ainsi nous pourrons nous-mêmes commencer à développer notre « bolide » économique.
J’attire votre attention, M. Lô, que les mêmes arguments ont été avancés lors de l’ouverture du capital des ICS à la multinationale indienne Indorama et qui se révélé à tout point de vue un manque énorme à gagner pour l’économie du Sénégal qui est obligé d’importer du phosphate et de fermer son usine de pétrochimie SENCHIM sans compter les catastrophes écologiques qui ont fini par hanter la vie des populations de Mboro. C’est dans cette même lancée que NECOTRANS avait promis d’investir 54 milliards au PAD lors de la signature de la concession. Deux ans plus tard la société se retire en mettant à genou un fleuron économique stratégique de notre pays. Quid de l’Or de Sabodola et du Zircon ? Entre les exonérations exorbitantes concédées à ces multinationales et les faibles retombées tirées de ces ressources, les collectivités locales impactées n’ont que leurs yeux pour pleurer.
Un Etat ne se construit pas en un seul jour. Si son excellence M. Macky Sall a eu la chance d’être le premier Président de la République du Sénégal à « enfourcher la bicyclette du pétrole et du Gaz », prenons le temps de « construire le bolide » qui portera notre économie. Et pour cela nous ne devons pas nous précipiter et signer un contrat qui engagerait le devenir du pays pour les générations à venir. Pour rappel, la nouvelle Constitution du Sénégal issue du référendum de 2016 stipule dans son article 25.1 : « Les ressources naturelles appartiennent au peuple. Elles sont utilisées pour l’amélioration de ses conditions de vie. L’exploitation et la gestion des ressources naturelles doivent se faire dans la transparence et de façon à générer une croissance économique, à promouvoir le bien-être de la population en général et à être écologiquement durables ».
Etant donné que les ressources appartiennent au Peuple et que celui-ci est représenté par l’Assemblée Nationale, cette dernière devrait édifier les sénégalais sur le pourquoi de cette concession à la multinationale Tosyali Holding, ainsi que les retombés économiques que notre pays pourrait en tirer. Tout en vous félicitant pour votre contribution, je tiens à vous rappeler M. Lô que la notion « d’écologiquement durable » dans notre Constitution ne renvoie pas seulement aux milliards que nous pourrions obtenir dans l’immédiat mais plutôt aux legs pour la future génération qui conduirait ce super bolide (qui bénéficiera d’un moteur d’injection HDMI V16.800 milliards de francs CFA) que deviendrait le Sénégal.
Respectueusement Vôtre,
Cheikhou Oumar Sy
Ancien Parlementaire
Secrétaire Permanent du Réseau des Parlementaires pour la Bonne Gouvernances des Ressources Minérales (RGM) et Président de l’OSIDEA