Voix autorisée au sein de la galaxie présidentielle où il conserve son statut de porte-parole de l’Apr, Seydou Guèye s’est prêté au jeu des questions-réponses avec Tribune, dans un contexte marqué par les allégations de corruption à grande échelle dans la gestion des hydrocarbures du Sénégal, et par un dialogue politique boycotté par une frange significative de l’opposition. Décryptage.
Par Mohamed NDJIM
Monsieur le ministre, on ne vous a beaucoup entendu depuis le dernier remaniement ministériel. À quoi est dû ce mutisme ?
Rien de particulier. Peut-être que ma voix s’est faite un peu rare, mais on m’a souvent lu comme porte parole de l’Apr, notamment à travers une interview lors de la révision constitutionnelle supprimant le poste de Premier ministre. Récemment encore sur l’affaire Petro Tim-Bbc, j’ai signé un communiqué du Parti. Rassurez-vous, ma détermination à défendre le Sénégal, notre régime et à soutenir les actions du Gouvernement du Sénégal reste intacte dans le cadre de ma responsabilité de porte-parole de l’Alliance pour la République et de militant du Sénégal. Il est vrai que j’étais hors du pays pendant une quinzaine de jours. Aujourd’hui je suis avec vous pour répondre à vos questions.
Une bonne partie de l’opinion n’est pas convaincue par la communication du Gouvernement dans l’affaire Petro-Tim. Qu’en pensez-vous ?
Vous savez, en matière de communication, la perception l’emporte souvent sur la réalité. Ce qui importe, c’est la portée du message et le ressenti du récepteur. Il ne me revient pas de commenter la communication du Gouvernement ; je suis un acteur de la majorité présidentielle, et à ce titre, mon rôle aujourd’hui, comme hier, est de défendre notre régime, en prenant le sillage des lignes dégagées par le Gouvernement pour les amplifier et les expliquer. Vous pouvez me concéder que ce n’est pas la première fois que l’on critique la communication du Gouvernement, qui repose moins sur les performances d’un homme ou d’une femme, mais plutôt sur la cohérence d’un système avec une pluralité d’acteurs, et plusieurs niveaux et échelles de communication. En définitive, ce qui importe, c’est que les Sénégalais puissent comprendre le message en provenance du Gouvernement, pour se faire leur propre opinion. Et dans le cas d’espèce, on peut retenir comme message essentiel, la détermination du Président Sall à garantir la transparence, les mécanismes et dispositions mis en place pour la sauvegarde des intérêts du Sénégal, depuis son arrivée à la tête du pays, et la décision du Gouvernement de laisser la Justice tirer au clair les accusations récurrentes sur ladite affaire.
Justement, le reportage de la Bbc sur le pétrole et le gaz met en avant de graves accusations sur Aliou Sall, le frère du Président…, cela ne pose-t-il pas la problématique d’une meilleure transparence dans la gestion de ces ressources ?
Sans conteste, le Président Macky Sall a fait de la transparence dans les industries extractives un cheval de bataille et une question centrale de sa politique en la matière. Malheureusement, une partie de l’opposition, pour ne pas dire les recalés du parrainage qui se sont décalés dans les coalitions perdantes, fait de l’affaire dite Petro Tim un vieux serpent de mer qu’elle ressort chaque fois qu’elle veut rebondir : gêner le pouvoir sans réussir à convaincre. Aujourd’hui comme hier, c’est une affaire qui suscite beaucoup d’émotions, et malheureusement, beaucoup d’amalgames. À mon sens, il faut dépassionner le débat et analyser les faits. Dans cette affaire, il est principalement question d’un contrat attribué à Petro-Tim Limited par l’État du Sénégal, toujours soupçonné d’irrégularité malgré toutes les réponses données par l’État du Sénégal. Le Président Macky Sall, pour sa part, a opté pour une politique de transparence et d’inclusion, qui sauvegarde les intérêts des Sénégalais et vise la valorisation du potentiel, qui est plus gazier que pétrolier. C’est ainsi que le Sénégal a volontairement adhéré, dès 2013, à l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Itie). D’autres initiatives suivront, comme la constitutionnalisation du droit de propriété du peuple sur les ressources naturelles et la publication systématique de tous les contrats miniers et pétroliers depuis septembre 2016. Et plus récemment, la mise en œuvre de l’ouverture du Comité d’orientation stratégique du Pétrole et du Gaz à la société civile et à l’opposition, décidée à l’issue des concertations de Diamniadio. Je pense que ce serait faire preuve de mauvaise foi de prétendre que la gestion de nos ressources n’est pas transparente. Maintenant, le reportage de la Bbc indexe des faits contre le citoyen Aliou Sall. Ce dernier a donné sa version des faits. La justice a été saisie ; elle a la responsabilité de tirer tout cela au clair. Il lui revient, quant à lui, de se défendre ; mais ce serait incohérent de vouloir faire d’une affaire privée, une affaire d’État. L’un dans l’autre, l’État prendra toutes ses responsabilités en ce qui le concerne.
Aliou Sall est soupçonné de corruption à hauteur de 245.000 dollars. Ne devrait-il pas démissionner de son poste de Directeur de la Caisse de dépôts et de consignation pour que la lumière soit faite ?
Je pense qu’en matière de droit, c’est la justice qui prononce la culpabilité ou l’innocence des citoyens. Il ne nous appartient pas d’instruire à charge ou à décharge l’une ou l’autre des parties concernées. Néanmoins, il est regrettable que pour une affaire aussi sérieuse, la Bbc n’ait pris le soin de recueillir sa version. Au demeurant, je ne pense pas que son statut de Directeur puisse avoir un impact sur la bonne marche d’une enquête pour que la lumière soit faite. La Justice du Sénégal est animée par des hommes et femmes qui ont le sens de l’honneur et de la responsabilité. Laissons-les faire leur travail.
Ce reportage vient confirmer des accusations de certains membres de l’opposition et de la société civile. Le temps ne leur a-t-il pas finalement donné raison ?
Vous avez raison de rappeler que cette question est agitée par certains membres de l’opposition depuis quelques années, sans convaincre par des preuves irréfutables. Nous pouvons considérer cette attitude comme une obsession maladive, une vaine tentative de mettre le régime en difficulté, et le Président Macky Sall dans l’inconfort. À mon avis, il importe de ne pas tomber dans la naïveté de penser que, parce que c’est la Bbc c’est vrai, et qu’elle est plus crédible que notre presse locale. En réalité, ce reportage indique tout le contraire, tant du point de vue déontologique que du point de vue de la rigueur requise pour le traitement de l’information. L’élément de la Bbc est un reportage à charge. Je relevais tantôt que la chaîne n’a même pas donné la parole à Aliou Sall qui semble pourtant être le sujet principal de l’enquête. Par contre, des membres de l’opposition ont largement eu droit à la parole. C’est d’ailleurs pourquoi certains s’interrogent sur le rôle d’une partie de l’opposition qui tirerait les ficelles. En réalité l’unique élément fondamentalement nouveau porte sur des montants avancés sur une opération de contractualisation entre des privés. L’un dans l’autre, sachez que l’État du Sénégal, en ce qui le concerne, veillera à ce que la lumière soit faite.
Vu la gravité des faits, ne faudrait-il pas mettre sur pied une commission parlementaire ?
Il faut se féliciter de la sortie du Procureur, qui aura eu le mérite de rassurer les Sénégalais en apportant un peu de sérénité dans cette vaine polémique. Tous ceux qui parlent de Petro Tim ont aujourd’hui l’opportunité de contribuer à la manifestation de la vérité, pour que l’on s’accorde enfin sur une vérité judiciaire. Cela me semble plus utile que de vouloir faire la justice par la rue ou par les médias. Nous devons nous réjouir de cette décision, car la transparence est aujourd’hui une des plus fortes exigences des citoyens sénégalais. Le Président Sall a très tôt érigé la bonne gouvernance comme la matrice de toutes les politiques publiques. Aucun Gouvernement ne peut se permettre de ne pas donner la bonne information aux citoyens. Les temps ont changé. Je pense, dès lors, qu’il faut véritablement saluer la décision de la justice de se saisir de cette question afin de la tirer au clair. Elle a un rôle majeur à jouer dans le cadre de la bonne gouvernance, au titre de l’information des citoyens et de la redevabilité. De la même manière, les parlementaires ont les prérogatives de décider d’ouvrir une commission d’enquête parlementaire afin que les citoyens sénégalais soient le plus objectivement informés. Vous savez, l’intoxication, les accusations gratuites ne font pas bon ménage avec la démocratie. Il faut lutter et s’opposer aujourd’hui par tous les moyens à toutes les velléités de déstabiliser notre pays, de ternir son image. La stratégie de la contre-vérité, du harcèlement, de l’intoxication et de la manipulation des consciences, ne peut point prospérer face à un peuple mature et un pouvoir qui travaille sans cesse à améliorer le quotidien des Sénégalais, et à leur offrir un meilleur avenir.
La résurgence du débat sur le pétrole et le gaz ne va-t-elle pas polluer le dialogue ?
Notre avenir commun est plus essentiel que les effluves de gaz et de pétrole dont on n’a pas encore senti l’odeur de la première goutte. L’enjeu du dialogue national, c’est de bâtir des consensus forts sur les questions qui font sens ; c’est de mieux préparer le Sénégal face à l’avenir. Il va de soi que le débat sur le pétrole est essentiel et détermine une partie de notre avenir commun. La question de l’emploi des jeunes est essentielle, tout autant que le sont notre cadre de vie ou l’autonomisation des femmes, l’industrialisation, l’agriculture, la santé, la modernisation de l’espace public, politique, syndical, ou notre conversion au numérique… Si nous voulons réussir notre entrée dans la modernité, il nous faut construire une croissance solide, inclusive qui impacte les différents territoires pour sortir notre pays de la pauvreté. Ce sont, à mon sens, des questions centrales qu’il faut aborder ici et maintenant ; faute de quoi, nous trahissons notre responsabilité de génération. Dans le cadre du dialogue, oui pour un débat utile et serein sur le pétrole, et non pour une polémique improductive ! L’opposition pourrait y soulever toutes les questions qui la préoccupent. En tous cas, je voudrais féliciter le Président Macky Sall qui a donné tous les gages nécessaires pour la tenue d’un dialogue sincère et qui a accepté le choix, des uns et des autres, tout comme je salue les Sénégalaises et Sénégalais qui ont répondu à l’appel. Toutes ces questions que je viens d’évoquer enrichiront certainement le débat, dans l’intérêt exclusif de notre pays.
Quelles sont ses chances de succès quand on sait que plusieurs responsables de l’opposition ont décidé de le boycotter ?
La réussite du dialogue dépend de la volonté de tous les acteurs impliqués. Le chef de l’État a créé le cadre et veillé à l’inclusion de tous les segments. Je ne doute donc pas de ses chances de succès. Il faut rappeler que la particularité de ce dialogue est qu’il intervient au lendemain d’une réélection très confortable, dès le premier tour, du Président Macky Sall. Le charme de ce dialogue réside dans la volonté affichée par le président de la République de prêter une oreille très attentive aux moindres pulsions des Sénégalais, sans distinction aucune. Je pense que du point de vue de la participation, même l’opposition présentée comme radicale a répondu pour l’essentiel à l’appel. Ceux qui n’ont pas encore répondu favorablement ont leurs raisons, mais je pense qu’il n’est pas encore trop tard pour eux d’adopter une position républicaine. Celle-là qui consiste à ne pas rater le tournant historique qui est en train de s’opérer. Je rappelle, par ailleurs, que le dialogue politique n’est qu’une composante du dialogue national. Il ne faudrait donc pas que les autres sujets d’égale importance soient éludés au profit exclusif des enjeux politiques.
Les prochaines élections locales font partie des points qui seront abordés lors du dialogue politique. L’État est-il dans les dispositions de les organiser au mois de décembre 2019 ?
L’organisation des élections est de la responsabilité de l’État. L’Apr comme tout autre parti politique a sa position sur le sujet. Je voudrais vous rappeler que la question des élections locales figure parmi les points de discussion du dialogue politique. Certains acteurs préconisent un report, d’autres s’y opposent. Des propositions de réformes ont été émises, portant notamment sur la révision du mode d’élection des maires, afin d’introduire un suffrage direct. À mon avis, toutes ces propositions doivent être versées dans la discussion pour que les différents acteurs trouvent un consensus durable. Pour sa part, le Président Macky Sall a toujours montré son ouverture sur les questions qui engagent toute la nation et l’intérêt capital qu’il accorde également au respect du calendrier républicain.