Le Sénégal, indépendant en avril 1960, a choisi une option républicaine. C’est la laïcité. L’État laïc a ainsi porté l’ambition politique de construire la République, la Nation et la gouvernance politique, dans le respect des religions, des ethnies et des appartenances communautaires : “Un Peuple – Un But – Une Foi”. Cette devise paraît inébranlable à son unité.
Paradoxalement, ces dernières décennies sont marquées par un mal entendu historique entre ces héritages fondateurs de l’État et la compréhension de franges importantes de la société sénégalaise contemporaine. L’État laïc est désormais soumis à des lectures variant en fonction de clivages religieux islamiques, politiques, ethniques et des ressentiments peu en adéquation avec le sens politique laïc de la séparation du pouvoir politique des pouvoirs religieux, des pouvoirs traditionnels et de tout ce qui peut nuire à l’unité de pensée et d’action de la République, une et indivisible.
L’École au sens large, englobant l’éducation de base, la formation professionnelle et technique, et l’Enseignement supérieur constitue incontestablement un des secteurs d’expression de la laïcité au sein de cette République post-coloniale sénégalaise. L’État a pris l’engagement de prendre en charge l’éducation des citoyens en âge d’aller dans les établissements publics, de former les élèves, les étudiants et le corps enseignant à tous les cycles éducatifs et de formation. Cette orientation publique est encore en vigueur. Ce service public est ouvert à tous les citoyens sénégalais. L’État assure et garantit l’égalité des citoyens quant à l’accès aux droits à l’éducation, à la formation et à l’épanouissement individuel et collectif.
L’État a d’ailleurs défini une politique consistant à accompagner, à encadrer et à financer ces enseignements religieux par la subvention. Ce choix républicain, laïc, explique aujourd’hui l’existence d’écoles et instituts catholiques et des écoles coraniques. On pouvait multiplier les exemples traduisant dans plusieurs secteurs sociaux, économiques, l’esprit et la lettre de la laïcité de l’État et de la République du Sénégal.
L’exercice du pouvoir étatique du premier Président de la République du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, doit servir de repères à la laïcité. Il a dirigé son pays pendant deux décennies. Tout au long de son règne – entre 1960 et 1980 -, le Président Senghor a préservé les orientations de l’État laïc et l’unité nationale du pays. Tout en étant catholique, il a su construire l’État laïc, bâtir des relations solides entre ses fonctions et son statut de chef de l’État avec les Confréries musulmanes, mais également, avec l’Église catholique.
La posture laïque du chef de l’État n’a jamais été prise à défaut par les chefs religieux ou par l’opinion publique nationale. C’est un des héritages essentiels que le Président-poète lègue au Sénégal à son départ du pouvoir. Le Président de la République, Abdou Diouf, a poursuivi cette option de l’État laïc. Le Sénégal a connu entre le départ du Président Diouf et maintenant, deux alternances politiques libérales et républicaines. Ces changements de régimes correspondent à un vent de remise en cause de la laïcité comprise au sens de la séparation du pouvoir étatique de tous les autres pouvoirs, d’une part, et de l’interdiction de la religion, des appartenances ethniques ou communautaires dans le fonctionnement de l’État central, de ses démembrements et du jeu politique, d’autre part.
Des pans entiers de l’opinion publique expriment sous des formes multiples la nécessité de redéfinir la laïcité républicaine, le système politique et le fonctionnement de l’État. La forme dominante de ces remises en cause est exprimée à travers une demande forte en faveur de l’introduction des enseignements religieux musulmans, de l’histoire des grandes figures emblématiques de l’Islam au Sénégal dans le système éducatif et une nouvelle approche du partenariat entre le pouvoir temporel et les pouvoirs spirituels et traditionnels.
L’État laïc est en réalité au cœur d’un malentendu historique. Les animateurs des remises en question de la laïcité sont plus proches de l’État islamique, de la charia que les fondements de la laïcité fondatrice de la République. Cette sensibilité et ses acteurs exercent une pression de plus en plus notable sur les gouvernants et les élites politiques et économiques.
Jamais, la religion, l’ethnie et le communautarisme n’ont autant pris de place dans les espaces politiques publics et médiatiques du Sénégal. Entre les lignes de ce discours réformateur et intégriste, se trouve un ressenti d’une injuste laïque grandissante à l’égard de l’Islam et de ses valeurs. Ce discours est à la frontière du respect de la laïcité et d’une révision constitutionnelle de la laïcité. La fragilisation de l’État laïc au cours de ces dernières années constitue une menace sérieuse sur les héritages laïcs et l’unité nationale de la société sénégalaise, plombée par une crise des repères politiques, culturels, religieux et communautaristes.