Mbaye Ngaraaf : «Les maires ont plus besoin d’un passeport diplomatique…»

Indigné par le report des élections locales qui témoignent selon lui d’un manque de considération notoire vis-à-vis du pouvoir local, Babacar Mbaye Ngaraf fait le procès des politiques de décentralisation et du régime en place. Entretien électrique, dans un contexte où l’énergie si chère aux Sénégalais leur coûtera bientôt plus cher.

 

Par Mohamed NDJIM

 

Pouvez-vous nous en dire plus sur la plainte que vous avez déposée sur la drogue en circulation au Sénégal ?

 

Depuis un certain temps notre pays fait face à des saisies d’importantes quantités de drogue. Moustapha Cissé Lô dans une émission télévisée avait affirmé que de hautes personnalités sont au cœur de ce trafic. Il disait que la plupart des belles villas construites au Sénégal sont le produit de l’argent sale et était dans les dispositions de livrer les informations qu’il détient au procureur. Ces derniers jours on a vu une autorité, un député de la majorité présidentielle, impliqué dans une affaire de faux billets, ce qui nous porte à croire que Moustapha Cissé Lô n’avait pas tout faux. Au vu des fléaux que cela constitue, nous avons pris la responsabilité de porter plainte contre X pour trafic de drogue et nous avons cité Moustapha Cissé Lô comme témoin afin qu’il puisse être entendu par le procureur pour édifier les Sénégalais et déblayer des pistes pour qu’on puisse identifier et interpeler les personnes impliquées dans cette sordide activité. L’affaire est entre les mains de la justice et nous suivrons de près son évolution.

 

La justice vient de boucler les auditions dans le cadre de l’affaire Petro Tim. Comment appréciez-vous les avancées sur ce dossier ?

 

La tournure prise par cette procédure ne nous rassure pas, d’autant plus qu’il y a l’absence de témoins clés dans cette affaire comme le président Wade, Karim Wade, Baba Aïdara, Mayeni Jones… Si ces personnes ne sont pas entendues par le juge d’instruction cela donne un goût d’inachevé à la procédure et cela dénote un manque de sincérité dans la volonté déclarée de travailler à l’éclatement de la vérité. Nous ne nous fions pas à ce simulacre et continuerons de nous battre pour que la vérité et le droit soient dits dans cette affaire. On pourrait envisager une réconciliation une fois que les responsabilités seront situées et les fautifs sanctionnés et on pourra s’accorder autour d’une gestion rigoureuse et efficiente de nos ressources naturelles. Dans la mesure où la Constitution votée en 2016 dit clairement que les ressources naturelles appartiennent au peuple, nous proposons que les prérogatives et pouvoirs d’attribution des permis de recherche et d’exploitation soient retirés des mains du président et confiés à l’Assemblée nationale. Étant donné que l’Assemblée nationale représente le peuple, il faut directement lui confier la gestion des ressources naturelles.

 

Qu’est-ce que cela changerait étant donné que l’Assemblée nationale est soumise aux desiderata du chef de l’État ?

 

Justement l’intérêt de cette mesure réside dans le fait que l’opposition est bien représentée à l’Assemblée nationale quoi qu’il puisse advenir. Cela induit que l’attribution des permis de recherche et d’exploitation fasse l’objet d’un débat parlementaire, et au cas échéant, même s’il y a une majorité parlementaire mécanique, l’opposition aura la latitude d’alerter en amont les Sénégalais sur le contenu des contrats. C’est une question de cohérence, de transparence et de bonne gouvernance : si les ressources naturelles appartiennent au peuple, les pouvoirs d’attribution de permis d’exploitation et autre doivent être retirés au président de la République et confiés à l’Assemblée qui représente le peuple.

 

Êtes-vous en phase avec les réajustements apportés au calendrier républicain avec le report des élections locales ?

 

Ce report de plus témoigne d’un manque de considération vis-à-vis des élections locales. Pire, cela tourne en dérision le pouvoir local. Nous croyions que l’arrivée de l’Acte III de la décentralisation permettrait de renforcer les moyens d’intervention des collectivités territoriales, mais il n’en est rien. Il y a un manque de considération patent à l’encontre du pouvoir local. Les élus locaux sont, à ma connaissance, les seuls représentants élus qui ne reçoivent aucune rétribution. Ils travaillent sans être rémunérés. Le président de la République a été élu au suffrage universel direct, il a un salaire et dispose de fonds conséquents dans sa caisse noire. Les députés sont élus au suffrage universel direct, ils sont rémunérés, mis dans de très bonnes conditions et disposent de passeports diplomatiques tout comme leur (s) femme (s) et enfants. Les élus locaux ne touchent pas un rond, n’ont pas la moindre indemnité dans le cadre de leurs missions. Les collectivités locales portent le développement à la base et le manque de considération à leur endroit est d’autant plus patent que les épouses et enfants de députés ont un passeport diplomatique, là où les maires et autres élus locaux n’en disposent pas. Le débat n’est pas de dire qui des maires ou des députés est plus utile à la nation, mais il y a un déséquilibre à corriger. Les maires et les conseillers ont plus besoin d’un passeport diplomatique parce qu’ils sont appelés à voyager étant donné que le pouvoir local repose sur des partenariats pour réaliser l’ambition d’améliorer les conditions de vie des populations. Ceci dit, il faut se projeter sur les échéances électorales à venir, notamment la prochaine présidentielle. C’est le lieu de relever que Macky Sall sanctionne ceux qui disent qu’il n’a pas le droit à un troisième mandat et maintient en poste ceux qui disent le contraire. Cela est injustifiable. À une certaine époque en Afrique on entendait souvent des coups d’État militaires, mais la donne a changé car la communauté internationale ne reconnaît pas les auteurs de coups d’État militaires. Il y a désormais des coups d’État institutionnels, des coups d’État constitutionnels et c’est la raison pour laquelle je me dis que Macky Sall ne va pas rater le rendez-vous lié à la dynamique des deux mandats. Au cas contraire, il faudra que la communauté internationale se lève avant qu’il en soit trop tard et ne soit pas un médecin après la mort en attendant que les populations se soulèvent, qu’il y ait des pertes humaines ou que l’armée s’en mêle.

 

Un mot sur la manifestation organisée hier contre la hausse du prix de l’électricité ?

 

Ce à quoi on a assisté c’est le lancement de la résistance contre la hausse du prix de l’électricité. Le régime aura beau trouver des arguments pour défendre cette augmentation indéfendable et illégitime mais trop c’est trop. Rien ne justifie cette inflation du prix de l’électricité.  Macky Sall a été élu en promettant la baisse des coûts des services primaires et des denrées de première nécessité et il prend le contrepied de cet engagement. Il faut que les gens sachent que si on laisse cette mesure entrer en vigueur sans protester, le gouvernement procédera demain à d’autres augmentations unilatérales sur le dos du peuple. Il faut toutefois que les Sénégalais fassent face à Macky Sall et à son régime qui veulent plomber davantage leur pouvoir d’achat. Si l’État manque de ressources à ce point il n’a qu’à supprimer ses dépenses fastueuses, ses investissements inutiles et malvenus au lieu de présenter une addition salée aux Sénégalais. Ce n’est pas un combat de partis politiques ou de mouvements citoyens, c’est un combat de principe salutaire que tous les Sénégalais épris de justice doivent mener comme un seul homme.

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