La société civile et les acteurs de la mouvance de l’opposition, ont marché la semaine dernière. Le gouvernement et la majorité ont accepté de se soumettre, à l’exercice d’un droit inaliénable de la citoyenneté républicaine consacré du reste par la Constitution sénégalaise. La démocratie renoue ainsi avec son mode de fonctionnement régulier. La seconde étape des batailles futures des acteurs de l’espace public dessine paradoxalement les contours d’une épreuve de force gouvernementale. Les manifestants ont sommé le pouvoir de renoncer à la hausse du prix de l’électricité et de libérer sans condition les détenus politiques. Le gouvernement ne semble guère inscrire son action future dans une perspective d’un apaisement des tensions sociales. L’épreuve de la violence sociale et politique, à quelques mois des fêtes de Noël, est désormais du domaine des possibles.
Le ressentiment d’une grande victoire est probablement le sentiment le mieux partagé par tous les citoyens sénégalais qui ont marché le vendredi dernier. Les manifestants ont protesté pacifiquement et de manière énergique contre l’augmentation du prix de l’électricité et l’emprisonnement arbitraire de citoyens épris de justice sociale privés de liberté. Ils ont exigé naturellement l’arrêt de la hausse du prix du courant et la libération sans condition des prisonniers politiques. La démocratie a renoué avec son mode normal et régulier de fonctionnement consacré par la Constitution sénégalaise. Le gouvernement a accepté de jouer le jeu de la démocratie pluraliste en l’autorisant et en encadrant la marche.
Les exigences des manifestants laissent penser que les acteurs de la société et ceux des responsables de la mouvance de l’opposition, attendent des réponses urgentes du gouvernement et du Président de la République, Macky Sall. Il y aura nécessairement une seconde étape de la lutte des acteurs engagés contre la hausse du prix de l’électricité et les arrestations anti- démocratiques. La suite dépendra probablement des réponses gouvernementales aux interpellations des marcheurs du week end dernier.
La menace des manifestants est perceptible entre les lignes des futures batailles de la société. Ils sont prêts à marcher sur le Palais Présidentiel, si le pouvoir républicain persiste dans sa posture actuelle de maintien de l’augmentation et de l’emprisonnement des leaders de la société civile. La radicalisation de cette lutte est possible. L’état d’esprit le mieux partagé par les organisateurs de la marche, par les syndicats des travailleurs, par certaines franges du mouvement étudiant, est apparemment très propice du reste à la radicalisation des luttes sociales. L’emprisonnement prolongé de Babacar Diop et de Guy Marius Sagna, serait sans nul doute, un prétexte idéal pour faire basculer les prochaines protestations, les Universités publiques et l’école sénégalaise dans la spirale de la violence à quelques jours des fêtes de Noël.
Le contexte national fortement marqué par la tension sociale ambiante résultant de l’insatisfaction générale, de nombreux secteurs socio- professionnels viennent nourrir l’aiguisement des luttes sociales et politiques. La société civile n’a absolument rien à perdre dans l’accélération des tensions. Bien au contraire. La bataille contre l’augmentation du prix de l’électricité et la libération des emprisonnés ont plutôt besoin de cette tension pour mieux exercer la pression sur le gouvernement. Ce rapport conflictuel, en perspective, évolue en défaveur de l’autorité politique gouvernementale. Le traitement des exigences démocratiques de la société civile en matière de respect de l’exercice des libertés publiques et l’annulation de la hausse peut déclencher cette épreuve de force virtuelle.
Le gouvernement aura- t-il suffisamment d’intelligence pour lire ce qui se dessine et une oreille attentive aux exigences de la société civile pour désamorcer la bombe sociale de la fin de l’année 2019 ? Rien n’est moins sûr. La seconde alternance peine à nouer des consensus politiques en matière de gouvernance des libertés publiques et individuelles. On ne compte plus le nombre d’arrestations de citoyens entre la fin du premier mandat présidentiel et le début de celui en cours depuis mars 2019. L’arrestation fait partie des modes préférés de la gouvernance républicaine.
Les difficultés financières du gouvernement à respecter ses engagements financiers avec les syndicats, singulièrement, les syndicats des enseignants et la montée en puissance de la pression sociale, réduisent ainsi progressivement la marge de manœuvre de la majorité politique. Les risques de l’usage de la force et du pourrissement du mouvement social par le gouvernement sont réels.
Le Sénégal s’achemine, dans ce cas de figure de la radicalisation sociale et des réponses autoritaires de l’État à la demande démocratique et sociale, vers une épreuve de force.
À moins que le gouvernement mesure les conséquences négatives d’une épreuve de force sociale sur la stabilité des institutions et l’exercice du deuxième mandat présidentiel.