Le premier discours de fin d’année du Président de la République, Macky Sall, réélu en février 2019, a prolongé très fortement sa campagne électorale présidentielle. Le chef de l’État a décliné son Plan Sénégal émergent dans ses grandes orientations : politiques et économiques. La dimension électoraliste de ce discours présidentiel suscite de sérieuses interrogations quant aux capacités de la majorité à prendre en charge effectivement les véritables préoccupations de la société sénégalaise. La rupture entre la réaffirmation solennelle de la volonté politique d’inscrire son action dans le processus de l’émergence à l’horizon 2035 et les grandes contradictions dans lesquelles se meut et va se mouvoir le Sénégal dans les quatre prochaines années, constitue une des faiblesses majeures du discours du chef de l’État.
La solennité du discours présidentiel a été au rendez-vous au soir du 31 décembre 2019. Le chef de l’État s’est adressé avec la courtoisie républicaine requise à son peuple dans toutes ses composantes. Il a honoré sa fonction de Président de la République. C’est une posture respectable et à saluer en ce qu’elle préserve les symboles de la République et l’unité de la Nation après une élection présidentielle très fortement décriée par les principaux adversaires du candidat de la majorité présidentielle.
Paradoxalement, cette solennité républicaine soutenue par le statut de Président de la République, initiateur du dialogue national entre les acteurs politiques, de la société civile et les représentants de toutes les couches socioprofessionnelles, se conjuguent à un discours électoral pour ne pas dire partisan et exclusiviste. L’impression d’un candidat-président confortablement réélu, à la recherche toujours de ses électeurs, est au cœur de ce discours déclinant à volonté son programme, ses axes prioritaires et la quête effrénée de la préservation du pouvoir.
Le Plan Sénégal émergent réchauffé par quelques sujets de l’heure, notamment l’augmentation du prix de l’électricité, la violence contre les femmes et les enfants de la rue, est de nouveau servi aux citoyens Sénégalais. Les grands travaux routiers, les infrastructures, la santé, l’éducation, l’équité sociale auront été des sujets de prédilection du président de la République. Le Président de la République est resté fidèle à sa démarche politique établie. Vendre systématiquement son programme de gouvernance à son peuple à toutes les opportunités.
On ne peut reprocher à un homme d’État de vendre son rêve et son ambition nationale. Toutefois, le parti pris présidentiel rompt avec l’esprit du discours d’un président souhaitant symboliser la République, sa nation et son unité. Le Sénégal est et reste ainsi toujours soumis à la campagne électorale permanente. Au-delà de cette critique récurrente contre les présidents de la République du Sénégal réduisant le discours de fin d’année ou celui de la veille de l’indépendance, à la propagande déguisée, ce qui est attendu d’un président reconduit, ce ne sont point des proclamations programmatiques et des intentions déclamées.
Ce procédé, d’essence électoraliste, ne convainc plus personne au Sénégal. Il suffit de jeter un regard rétrospectif pour se rendre compte que les électeurs du candidat du pouvoir ou des candidats de l’opposition, sont, depuis la sortie de la présidentielle de février 2019, à l’heure des revendications légitimes et de la contestation de conditions de vie difficiles, voire insupportables. Électeurs-trices acquis-es ou contre le président-candidat reconduit, réclament de meilleures conditions d’existence et une amélioration du niveau de vie. Ils espèrent tous des actions concrètes en urgence et une mise en œuvre effective des engagements électoraux du président de la République.
Le discours électoraliste émis dans ce contexte d’attentes populaires à du concret est contre-productif. Il éloigne le chef de l’État des citoyens et des préoccupations réelles des populations, singulièrement celles qui sont les plus frappées par les aléas politiques et économiques d’une crise plus profonde que ne veut croire ou accepter le pouvoir et son chef. C’est ce décalage entre le président de la République se transformant volontairement ou non en un politicien prisonnier de son discours, cousu de promesses et des bonnes intentions, pour préserver son électorat naturel, qui alimente la désaffection du discours du déni des réalités et du vécu de l’écrasante majorité des Sénégalais-es.
Le discours électoraliste finit par laisser de marbre des pans entiers de la société. Ce ressenti fait douter conséquemment des réelles capacités du président de la République et de sa majorité, à prendre effectivement en charge les véritables problèmes des populations et du pays qui ont été passés au peigne fin pendant la présidentielle. Les problèmes majeurs restent ainsi entiers d’une année à l’autre. La question de l’emploi, la formation, l’éducation, le développement des collectivités territoriales, se conjugue aux effets d’une crise réelle de l’économie nationale. Tout laisse croire que le président de la République sera confronté tout au long de ce deuxième mandat à l’impuissance du discours électoraliste face à l’ampleur grandissante des questions économiques, sociales et culturelles. Le discours électoral sera rattrapé par ses limites objectives.
Ainsi fonctionne le discours du déni des réalités.