Depuis quelques années le modèle développement le mieux répandu en terre africaine est celui de l’émergence, qui fait tant la fierté sénégalaise de la seconde alternance. Après deux décennies de mise en œuvre, l’émergence a accouché dans de nombreux pays en retard de développement d’une crise politique correspondant à la fin de cycles chaotiques dus à l’émergence.
L’émergence ! Dénominateur commun à toutes ces stratégies économiques et politiques axées sur la performance de la gouvernance politique et économique par l’afflux de fonds d’investissement dans les infrastructures routières, portuaires et aéroportuaires, l’émergence ne semble guère être au rendez-vous du développement tant attendu dans le continent noir depuis les indépendances. La spirale de la pauvreté s’élargit et le mal-vivre se répand. Les problèmes sociaux, économiques et culturels assaillent tous les États partisans de l’émergence. Le troisième mandat présidentiel marque un retour à la case de départ du temps des régimes politiques des premières décennies de l’accession à la souveraineté des pays africains. L’émergence est à reculons et se défend qu’on lui cède le passage.
De pays sous-développés à pays en retard de développement, puis pays en voie de développement, c’est toute l’identité politique que porteront pratiquement les pays du continent africain après les indépendances des années 1960 qui est remise en cause par les à-coups d’une émergence chaotique en fin de cycle. Cette marque de reconnaissance et d’identification des pays pauvres à l’échelle mondiale renvoyait à l’état réel de l’économie africaine à ses balbutiements. Elle était à peine sortie de la domination coloniale. Les pères des indépendances vont ainsi inscrire toutes les stratégies nationales de développement dans la planification et la perspective d’une relance de l’appareil productif et du système éducatif. Le modèle postcolonial repose singulièrement, à ses débuts, sur le développement de l’éducation, la formation, l’agriculture et l’industrie et la modernisation de l’administration publique.
L’État postcolonial, acteur principal de ce projet d’un développement extraverti et de reconstruction de l’administration étatique, ne parviendra pas réellement à sortir les Africains du sous- développement. Les résultats de ce modèle seront plutôt médiocres. Aucune des anciennes colonies africaines ne sortira du sous-développement au regard de la misère ambiante de la fin des années 1970 et le début des années 1980. Ce modèle entré en crise profonde avec l’irruption de la sécheresse, la crise pétrolière, les conflits politiques et inter ethniques va sombrer avec ses limites historiques sous le vocable de Pays pauvres très endettés (Ppte). L’Afrique bascule alors dans le cycle infernal de l’endettement, des remous sociaux et de la gouvernance anti-démocratique. Puis, ce sont les transitions politiques et l’expérience démocratique généralisée qui conduisent à la nouvelle dominante appelée émergence. L’échec des processus démocratiques est de nos jours manifeste. Il suscite partout un avenir incertain.
Le Sénégal constitue un exemple d’étude. Il est actuellement dans les rangs des pays moins avancés – autre appellation des pays sous développés de la planète. Les taux de croissance officiels très flatteurs, frôlant les 7% pourraient être trompeurs sciemment, en raison du fait que ces taux ne reflètent guère l’état réel de l’économie nationale. Les Petites et moyennes entreprises sénégalaises représentent plus de 90% du tissu économique sénégalais. Ce tissu économique national qui emploie plus de 70% des travailleurs ne porte pas véritablement ce taux de croissance plutôt exogène. Il est insignifiant par rapport à des groupes internationaux plus puissants que l’État du Sénégal. La pauvreté qui se répand dans les villes et à la campagne devrait être un indicateur de mesure de l’échec économique de l’émergence. Les besoins fondamentaux des Sénégalais sont à ce titre, insatisfaits par l’État.
Il s’agit de l’emploi, de la formation professionnelle et technique et les besoins croissants en éducation, en matière de santé ou de transport public. L’État n’a tout simplement pas les moyens financiers pour investir et résoudre cette croissante demande sociale, économique et culturelle. Les principaux investissements de la puissance publique désertent gravement la satisfaction de ces besoins nationaux vitaux et fondamentaux, à tout point de vue, pour un développement humain durable et harmonieux (homogène). Ils sont orientés vers la construction des grands chantiers routiers, portuaires et aéroportuaires et la modernisation de l’appareil d’État.
Ce modèle de l’émergence extravertie pourra difficilement prendre en charge les véritables questions du développement endogène de l’agriculture, de l’industrie, de l’éducation, de la formation, de l’emploi et la compétitivité d’entreprises nationales face à des multinationales. L’échec de l’émergence se mesure aujourd’hui par la pression grandissante des syndicats des travailleurs et des populations en souffrance économique, sociale et culturelle. Les entrepreneurs ne cessent de se plaindre. Après les échecs des stratégies de développement des pères de l’indépendance, l’Afrique s’achemine encore progressivement vers l’échec de l’émergence dans des pays phares : au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Gabon, en Guinée et dans bien des pays adeptes des nouveaux plans de l’émergence économique.
L’irruption du troisième mandat présidentiel en terre africaine est assez révélatrice de l’impasse économique et de la crise politique se dessinant à l’horizon de tous les pays auto- proclamés émergents. Les scénarii des crises politiques d’une fin de cycle des émergences rappellent étrangement la fin de cycle des partis uniques et des modèles de développement extravertis des pères de l’indépendance. Ces pouvoirs ont produit la dictature et le pillage des ressources africaines. Y retourner serait un pis aller.