Le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra) a lourdement sanctionné Sen-Tv en suspendant pour une semaine l’ensemble de ses programmes. Et cela, pour le plus grand malheur de ses téléspectateurs qui se voient priver d’un droit constitutionnel : la liberté d’être informé. Ainsi, en vrai chef autoritaire, le gendarme de l’audiovisuel dirigé par Babacar Diagne, a actionné l’artillerie lourde de la répression. Le prétexte : refus de la chaîne leader d’obéir à l’injonction faite à tous les éditeurs «d’arrêter la diffusion des messages visés, conformément à la Loi n°2017-27 du 13 juillet 2017 portant Code de la Presse, à la Loi 2006 -04 du 4 janvier 2006 portant création du Cnra et au cahier des charges applicable aux titulaires d’une autorisation de diffusion de programmes de télévision privée de droit sénégalais».
Et, en dépit de la note datée du 31 décembre de la direction générale, qui indique que «D-Média met fin à toute diffusion de publication de produits cosmétiques de dépigmentation sur ses supports à compter du 31 décembre tout en décidant de pas renouveler les contrats en cours, conformément à l’esprit et à la lettre d’injonction du Cnra», Babacar Diagne a décidé, conformément à la volonté de sa Majesté, de couper le signal de Sen-Tv. L’offensive punitive est cynique et inique d’autant qu’elle relève du deux poids, deux mesures, puisque la veille de la sanction contre Sen-Tv, un groupe médiatique de la place a bénéficié de la mansuétude effarante du Cnra après avoir publié une note précisant la cessation de toute publicité afférente à la promotion des produits de dépigmentation.
Mais nous n’allons pas gloser sur ce prétexte fallacieux servi par ce bras armé du Président Macky Sall pour réprimer Sen-Tv. La réalité est que le Cnra a voulu vainement museler le Groupe D-Média à cause du rôle joué par sa télévision dans l’échec du Président Macky Sall à vouloir monopoliser la parole la nuit du 31 décembre. Aujourd’hui Sen-Tv est punie pour avoir fait de la liberté éditoriale un fondement du pluralisme médiatique. Ayant refusé de se soumettre à la comédie médiatique qu’on a offerte aux Sénégalais la nuit du 31 décembre dans les jardins du Grand théâtre présidentiel, la chaîne leader paie amèrement le prix de sa liberté éditoriale. Mais personne ne pourra la dévier de cette noble trajectoire qui prend en charge les préoccupations d’un peuple friand d’informations plurielles et non celles d’un monarque républicain avide narcissiquement de son image. L’ère des schèmes de pensée unique et du journalisme de révérence ou de connivence consistant à traiter l’information sous le diktat de l’autorité politique est révolue. Dommage que les fayots de sa Majesté ne parviennent pas à appréhender que la démonopolisation des médias est enclenchée depuis le début années 80. Mais quand, dans toute sa carrière journalistique, on est habitué à servir et à se soumettre à l’autorité politique qui vous dicte la ligne à suivre, on ne peut que souffrir de ceux-là qui ont fait de la liberté et du pluralisme la pierre angulaire de leur mission de service public.
Babacar Touré (BT), ex-président du Cnra, Abdoulaye Ndiaga Sylla, Ibrahima Bakhoum, Ibrahima Fall, feu Moussa Paye et autres membres fondateurs du Groupe Sud Communication se sont battus contre le régime du Président Abdou Diouf pour mettre fin au monolithisme des médias d’État. On pourrait également citer dans ce combat les mousquetaires Mamadou Oumar Ndiaye, feu Sidy Lamine Niass et Abdoulaye Bamba Diallo. Nonobstant les procès iniques intentés contre Sud pendant plus de deux décennies après sa naissance, ce groupe médiatique mythique n’a jamais renoncé à sa mission sacerdotale d’informer. BT, président du Cnra, a toujours opposé une fin de non-recevoir aux propositions des autorités gouvernementales qui voulaient toujours fermer un groupe de presse connu pour ses prises de position critiques à l’égard des différents régimes. Parce qu’il sait que censurer un média, fût-il iconoclaste et rétif, surtout pour plaire au Prince, rame à contre-courant des valeurs qui fondent la liberté d’expression et le pluralisme médiatique. Il s’est toujours évertué à faire du Cnra une vraie instance de régulation dont la mission essentielle est de veiller au libre exercice de l’activité audiovisuelle, à l’impartialité et au respect des valeurs et des principes qui fondent la nation sénégalaise. Aujourd’hui, son remplaçant homonyme n’a pas mis de temps pour jouer le jeu du pouvoir. Mais, il saura que c’est éplucher des écrevisses, car on ne peut pas arrêter la mer houleuse des médias libres avec des oukases. Le fait que, en 2020, un groupe de presse au Sénégal n’ait plus le droit de choisir sa propre trajectoire éditoriale, parce qu’un organisme de “dérégulation” suspend, au-dessus de sa sacro-sainte liberté, l’épée de la censure, est inacceptable.
Sous le régime du Président Macky Sall, la liberté d’expression et le pluralisme médiatique se sont effondrés. Il faut se mettre aux ordres ou l’on vous rappelle à l’ordre. Le jour du référendum de mars 2016, les images des policiers (conduits par l’alors directeur général de l’Artp) qui ont investi le groupe Wal Fadjri pour interrompre ses émissions sous le pseudo-prétexte que la Voix des sans voix influait le «Non» des votants et celles de Barthélemy Dias cueilli sans aménités dans les locaux du site Dakaractu au moment où il débattait sur la condamnation de Khalifa Sall, surnagent dans nos mémoires.
Critiquer, c’est commettre un délit d’offense
Le 29 août 2009, sous le règne de Wade, le journaliste Abdou Latif Coulibaly, lors d’une rencontre de la Convention des jeunes reporters, avait déclaré : «la régulation telle qu’elle fonctionne dans ce pays n’est pas normale. Au lieu d’être mise au service d’une politique, elle est plutôt mise au service d’humeur, de volonté d’un homme et d’un régime. Lorsque vous faites une demande de fréquence auprès de l’Artp, on vous répond qu’on n’attribue pas de fréquence aux personnes qui passent leur temps à insulter le chef de l’État parce que pour eux, penser et réfléchir différemment que le président de la République est une insulte à son endroit». Ces mêmes propos gardent toute leur acuité et toute leur actualité sous le régime du successeur de Wade. Penser et réfléchir différemment que le président de la République est une insulte à son endroit. Critiquer Macky Sall, c’est commettre un délit d’offense au chef de l’État.
Par conséquent, le gardien de la Constitution, garant de toutes les libertés démocratiques, est aujourd’hui le premier avec son organe censeur et dérégulateur, à vouloir hypothéquer la liberté d’exercice des journalistes.
Mais le Président Sall et son Cnra se sont trompés de combat en voulant amener D-Média, par ce procédé punitif et comminatoire, à quelque acte de résipiscence. Le vrai combat qu’ils doivent mener, c’est celui qui consiste à encourager le pluralisme médiatique et à améliorer le professionnalisme des journalistes plutôt que de vouloir les mettre au pas. Tout autre combat ne serait que diversion et peine perdue !