Les tentatives de préservation du pouvoir par le président de la République en exercice, au terme du mandat, ont échoué sous la gouvernance des Présidents de la République Abdou Diouf et Abdoulaye Wade. La rupture de confiance entre les prédécesseurs de l’actuel chef de l’État et le peuple, le seul souverain, a résulté de fautes politiques fatales. Elles ont produit la défaite des deux principaux partis politiques sénégalais. Le Président de la République Macky Sall amorce à son tour un processus de préservation de son pouvoir à l’horizon de la présidentielle de février 2024. La rupture de confiance entre ce dernier et des pans entiers de la société se conjugue à des erreurs politiques susceptibles de produire les effets quasi similaires aux tentatives de préservation du pouvoir par les socialistes et les libéraux.
La dernière sortie médiatique du Secrétaire général de la Présidence de la République, Mahammad Boune Abdalah Dionne, ne laisse plus de doute sur les intentions du président de la République et de la majorité présidentielle. Le Président de la République en exercice, Macky Sall, sera candidat à sa propre succession à la prochaine élection présidentielle de février 2024. L’ère de la préservation du pouvoir par l’Alliance pour la République est ainsi ouverte par cet homme de confiance du chef de l’État, au cœur du dispositif de l’État central.
C’est un acte éminemment politique qui vient d’être posé dans l’espace public par l’ancien Premier ministre. Cette posture de maître d’œuvre de l’espace présidentiel et de l’appareil d’État fait partie de cette stratégie de préservation déjà annoncée par les suspicions autour du troisième mandat présidentiel. Cette stratégie aura un volet fortement politique. Le contrôle du parti présidentiel, de la coalition Benno bokk yakaar, constitue sans nul doute le centre d’intérêt fondamental de cette stratégie de préservation du pouvoir.
La lutte ouverte contre tous les responsables du parti présidentiel et de la mouvance présidentielle refusant la stratégie de préservation du pouvoir par la perspective du troisième mandat est désormais ouverte. Certains responsables de l’Apr ont déjà fait les frais de cette lutte contre les frères ennemis. D’autres responsables et militants, mis sur la liste rouge du candidat-président, seront pourchassés, dans les semaines à venir, par les cadres, les structures affiliées à l’Apr.
Cette guerre est ouverte à l’intérieur du parti présidentiel, dans les allées de la présidence, les sphères du gouvernement et ses prolongements. Les alliés du Benno bokk yakaar devront se préparer à cette stratégie de préservation du pouvoir. Ils seront, tôt ou tard, contraints de choisir entre la continuité de l’alliance stratégique avec les républicains, dans le sillage de la préservation du pouvoir et du troisième mandat, et la rupture avec le parti dominant.
La stratégie pour la préservation du pouvoir va ainsi se traduire, au cours du deuxième mandat présidentiel, par une reconfiguration de la physionomie du parti présidentiel et de son alliance avec ses alliés. L’épuration aura lieu… Il y aura certainement des départs de responsables républicains et des rangs du Benno bokk yakaar. Le processus de reconfiguration de l’Apr et du Benno bokk yakaar va se combiner à une nouvelle tactique d’élargissement de l’influence du Président de la République Macky Sall, par la cooptation de nouveaux alliés dans les rangs de l’opposition modérée.
La stratégie de préservation du pouvoir est souvent perturbée par des facteurs imprévus et imprévisibles par le pouvoir. La rupture de confiance constitue, à ce titre, un des facteurs déclencheurs des processus de fin de règne. La stratégie de préservation du pouvoir par les deux prédécesseurs de l’actuel du président de la République que sont les Présidents de la République Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, a fini par échouer.
Les socialistes et les libéraux ont perdu le pouvoir en raison d’une rupture de confiance avec le peuple souverain. Ils ont commis des erreurs politiques fatales du fait qu’ils n’ont point mesuré les aspirations profondes du changement de régime. Malgré les capacités d’organisation de ces deux formations politiques historiques du Sénégal, le contrôle du pouvoir et le contrôle de tous les leviers de pouvoir, les stratégies de préservation du pouvoir des socialistes et des libéraux ont lamentablement échoué. Le président de la République actuel est en train de commettre des erreurs politiques (épuration, personnalisation du pouvoir, atteintes aux fondements politiques consensuels…). Ces erreurs peuvent à terme détruire les liens de confiance entre lui et le peuple souverain.
La volonté de garder le pouvoir, fortement remise en cause, se traduit sous des formes multiformes : la lutte ouverte contre les adversaires de son troisième mandat, les retouches apportées à la Constitution, le durcissement dans la gouvernance par l’emprisonnement des radicaux politiques et d’acteurs de la société civile, le renchérissement du coût de la vie… Le président de la République n’entend et ne voit désormais que la préservation du pouvoir.
Cette dérive institutionnelle va secréter, à un moment ou à un autre, une rupture de confiance avec le peuple : le seul souverain. Cette cassure ne sera pas forcément violente. Elle est assez souvent pacifique. Le Parti socialiste et le Parti démocratique sénégalais ont été défaits par des scissions et par une prise de conscience citoyenne refusant à la fois le diktat de l’arbitraire et l’usage de la violence étatique par le fait majoritaire. C’est par la carte que les électeurs ont mis fin aux règnes politiques socialistes et libéraux. Et le Peuple reste le même souverain légitime.