Les mesures de protection individuelle n’ont suscité aucune réaction négative significative des citoyens. Le couvre-feu et l’état d’urgence sont eux aussi entrés en vigueur sans aucune résistance sociale massive. Les Sénégalais ont accepté de se protéger en intégrant en si peu de temps les gestes «barrières», la limitation de la mobilité et le respect des nouvelles règles d’accès aux services publics et des lieux de commerce avec le port généralisé du masque.
Le changement des comportements se met ainsi plus facilement et progressivement en place à l’échelle de toute la nation sénégalaise. C’est un moment psychologique très important dans la prise de conscience des enjeux de la lutte contre la menace du covid-19. Les mentalités ne semblent point, par contre, bouger d’un iota à l’instar des changements des comportements individuels et collectifs. La relation entre le changement de comportements – individuels et collectifs – et la mentalité – valeurs culturelles et religieuses – n’est pas forcément automatique. Les acteurs du commerce, notamment de l’informel, constituent un exemple d’étude au sujet des liens complexes entre le changement de comportement et le changement mental.
Ce milieu socio-professionnel a produit le prototype mental du Sénégalais. Il semble indispensable de construire une approche spécifique au citoyen Sénégalais, aux foyers, aux communautés de base et aux commerçants. Le changement des mentalités n’obéit point à la logique du changement de comportements personnels et/ou collectifs. Le port du masque est devenu une obligation pour accéder aux services publics et aux lieux commerciaux. Les citoyens se sont très vite adaptés à la décision du gouvernement. Ce nouveau port de masque complète les autres mesures de protection individuelle et collective. Le changement des comportements des citoyens est notable si on en mesure par le respect de la fermeture des lieux de culte musulmans et catholiques, et le confinement quasi-total dans certaines parties du territoire national.
Les Sénégalais acceptent de se protéger, de respecter le couvre-feu et l’état d’urgence. Le changement des comportements se met progressivement en place. Qui eût imaginé les Sénégalais dans l’état actuel dans lequel ils se meuvent depuis un mois ? Personne.
Le résultat est pourtant bien au rendez-vous de la lutte patriotique contre une menace sanitaire et économique mondiale. Il faut espérer qu’il n’y ait pas un relâchement inattendu après cette débauche de tant d’énergie, de mobilisation sociale et de communication. La multiplication croissante du nombre des porteurs du virus suscite naturellement de sérieuses interrogations quant au respect strict des règles d’hygiène par les populations. En apparence, les Sénégalais portent des masques. Ils se soumettent aussi au lavage des mains imposé partout à travers les pays. Ils sont confinés ou auto confinés pendant la durée du couvre-feu. Ils respectent les instructions de l’état d’urgence. Ce respect collectif pourrait être l’apparence trompeuse. Il existe une fraction de Sénégalais qui n’est pas encore à l’heure des bonnes pratiques contre le coronavirus. Ces citoyens sont à l’ancienne heure sénégalaise, des mauvaises pratiques républicaines : indiscipline, incivisme, indifférence, insouciance.
Cette culture de l’irresponsabilité citoyenne défie la logique du bon sens citoyen. Les premières réactions de certains Sénégalais ont laissé croire d’ailleurs que la maladie n’existe pas par exemple dans une ville sainte comme Touba ou que la pandémie est du domaine de l’imaginaire des Européens. Certains pensent encore que les Africains sont protégés – immunisés – contre la maladie des blancs.
Ces croyances existent et se propagent dans ce genre de contexte de crise. C’est une mentalité ancrée dans les esprits de franges importantes de la société sénégalaise. C’est l’âme africaine, et ce n’est guère étonnant que les commerçants soient parmi les principales victimes de la maladie. Le commerçant représente véritablement le prototype du Sénégalais de la ville et du monde rural. Il est analphabète en langue française. Il a fait des études coraniques de base. Il est fortement croyant. Il est persuadé que son commerce dépend de son Créateur et de son marabout.
Faire changer cette mentalité protectrice contre toutes les maladies et les mauvais sorts n’est point un exercice d’information et de sensibilisation des risques sanitaires. Les risques de tomber malade ou de transmettre une maladie ne sont suffisamment calculés par des franges importantes de l’opinion publique et des acteurs du commerce. Cette mentalité tenace, culturellement, acceptant tout de l’ordre du divin, du maraboutique, du hasard met en relief les faiblesses de la stratégie de lutte contre la pandémie face à une muraille culturelle, sociale et psychologique. Il faut absolument tenir compte des singularités sénégalaises : des commerçants, des familles et des communautés de base.
Il faudra envisager une communication pour parler à ces acteurs, mais également envisager une approche de la santé spécifique aux commerçants et aux responsables des foyers et des communautés. On est dans un cas totalement différent du cas de l’école, de l’université ou de l’administration publique ou privée. C’est un autre monde avec ses repères sanitaires, culturels et religieux et ses mécanismes de transmission du savoir et de l’information.