Par El Hassane SALL
S’il y a une bombe qui risque d’éclater au Sénégal, un de ces quatre matins, avec des conséquences fâcheuses, c’est bien la bombe foncière. D’ailleurs, le Président Sall semble en être conscient, lui qui déclarait le 16 octobre 2018, lors de la rencontre avec les élus locaux sur «la territorialisation des politiques publiques dans la mise en œuvre du (Pse)»: «Cet accaparement du foncier au détriment des riverains peut susciter de vives tensions sociales, lesquelles peuvent découler sur l’irréparable».
Présidant le Congrès des Notaires le 1er octobre 2019, le chef de l’État était revenu à la charge en ces termes : «Je peux même dire qu’au Sénégal, l’essentiel des alertes que je reçois, au quotidien, pour les risques de conflit, viennent à plus de 90% du foncier». Étant donné que «gouverner c’est prévoir», pourquoi n’a-t-il jamais mis un terme à cette boulimie foncière qui risque de plonger le pays dans des situations ingérables ? Même si cette situation a débuté avant son accession à la magistrature suprême, les populations attendaient de lui qu’il y remette de l’ordre d’autant qu’il avait promis une gouvernance «sobre et vertueuse. Mais ce qui frustre le plus dans cette situation, est le fait que, comme sous le régime précédent, certains privilégiés sont grassement servis au moment où les populations sont laissées à quai. Car, on ne saurait comprendre que des fonctionnaires de l’État, enseignants, médecins et autres, qui ont travaillé toute leur vie au service de leur pays, ne parviennent pas à avoir ne serait-ce que 150 mètres carrés pour y savourer une retraite bien méritée, alors que d’autre part, on voit l’État attribuer 9 hectares à un chef religieux, selon les affirmations de Madiambal Diagne.
Si l’on sait que 9 hectares c’est 90 mille mètres carrés, combien de Sénégalais méritants auraient pu profiter de ces terres ? Finalement l’on est tenté de se demander, quand ceux qui sont censés administrer le pays ne montrent pas le bon exemple en respectant les lois fondamentales, en faisant preuve d’équité et de justice, comment veulent-ils que le Sénégalais lambda croie en eux et soit un citoyen modèle ? Et ce laisser-aller ou laisser-piller dans le foncier qui gangrène le pays depuis des décennies est une bombe à retardement qui risque d’exploser tôt ou tard, lorsque le peuple aura atteint la limite du supportable. Parce que, tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse.
Et le triste constat est que les autorités semblent ne point s’émouvoir de cette situation, car il ne se passe de jour sans que l’on signale un scandale foncier, et aucun coin du pays n’est épargné. D’ailleurs, il serait vraiment fastidieux de lister tous les conflits fonciers qui secouent le pays. Aujourd’hui, face au bradage des terres de l’Aéroport, le chef de l’État a donné des instructions au directeur des Domaines pour qu’il bloque toutes les attributions des terres situées dans cette zone et d’arrêter tous les travaux engagés. Seulement l’on ne peut s’empêcher de nous demander si cela n’est pas encore une diversion de plus, car ces terres de l’Aéroport ne sont que la face visible de l’iceberg. Et ces problèmes du foncier sont devenus si récurrents qu’il en existe dans tous les coins et recoins du Sénégal. Mais le plus curieux dans cette volonté du président d’aller en croisade contre le bradage des terres est qu’elle survient au lendemain du tollé soulevé par Barthélemy Dias qui dénonce une «République de copains et des coquins» devant la nouba à laquelle ils s’adonnent avec le bien public. Et l’on ne peut s’empêcher de se demander si ces instructions du chef de l’État seront suivies d’effet, étant donné que pratiquement, tous les fonctionnaires de l’État en charge du foncier sont aujourd’hui plongés dans le marigot politique, et sont pour la plupart des affidés du régime. Ce qui fait froid dans le dos est que ce problème du foncier ne date pas d’aujourd’hui, et c’est à se demander si au rythme où va la prédation, il restera un seul lopin de terre au Sénégal. Parce qu’il ne se passe de jour sans que les médias ne relaient des complaintes venant des populations qui dénoncent l’accaparement de leurs terres.
Pour rappel, rien que dans la période allant de 2000 à 2011, une étude de Cicodev en 2011, sur l’ampleur du phénomène de l’accaparement des terres au Sénégal, confirmée par une autre étude de la Copagen, avait révélé qu’au moins, 657.753 hectares ont déjà été attribués à 17 privés dont 10 nationaux et 7 étrangers. Ce qui représente 16,45% des terres cultivables du pays. Le forum foncier mondial tenu à Dakar, du 12 au 15 mai 2015, avait servi de tribune aux représentants des différentes contrées expropriées par l’État au profit d’investisseurs étrangers ou nationaux. En sonnant l’alerte, ils ont, pour la plupart, signalé que la boulimie foncière pourrait plonger le Sénégal dans l’insécurité alimentaire, la pauvreté, mais surtout la violence. Comme pour dire que la balle est dans le camp du pouvoir qui est mieux informé que quiconque de ce qui se passe dans le pays. Et s’il est mu par le seul intérêt de ses administrés, il a toutes les cartes en main pour sévir. Seulement a-t-il les mains propres ? A-t-il le courage et la volonté de mettre un terme à ce bradage de notre patrimoine ?