C’est un jeune diplômé, titulaire d’un MBA et d’un doctorat honoris causa, que « JA » a suivi entre Paris et Lyon. En quête de légitimité, l’ancien footballeur entend jouer un rôle dans l’avenir du sport continental. Et peut-être même en politique.
Aéroport du Bourget, le 19 mars. J’étais à l’heure, mais lui en avance et attendait dans un salon au luxe douillet. « Croissant ? Jus d’orange ? » s’enquit-il avec sourire. D’emblée, Samuel Eto’o me tutoie. La glace a fondu depuis notre première rencontre au siège de Jeune Afrique. C’était en novembre 2019.
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PDG et stars du PSG
À travers une large baie vitrée surplombant le tarmac, nous regardons un avion privé d’une dizaine de places se mettre en position de départ. Casquette noire, t-shirt, pantalon d’hiver en flanelle gris et sneakers, le jeune retraité de 40 ans a l’air d’en avoir dix de moins. On discerne encore chez lui et dans cette décontraction qu’il affiche les traits du gamin qui a grandi dans le quartier mal famé de New Bell, à Douala.
Aujourd’hui, il se meut sans complexe dans le plus grand aéroport d’affaires d’Europe, habituellement fréquenté par toutes sortes de dirigeants, de possédants et de prescripteurs. Ici, le voyageur arrive et repart quand il le veut, les tarifs varient entre 2 000 et 10 000 euros l’heure de vol, et les grands patrons partagent les salons du Bourget avec les athlètes à hauts revenus, tels Michael Jordan, Tiger Woods, Floyd Mayweather, Roger Federer ou les footballeurs du Paris Saint-Germain, convoyés par un luxueux Boeing 737 Executive mis à disposition par l’émir du Qatar.
« Devenir dirigeant du football »
9 heures. L’heure du départ venue, notre hôte s’emmitoufle dans un manteau couleur crème trop grand pour lui. Le Cessna décolle et met le cap sur le sud-est, direction Lyon. L’ex-footballeur doit y recevoir son diplôme, un MBA en management obtenu à l’issue d’une formation diplômante à l’École de Commerce de Lyon (ECLyon), qu’il a finalement préférée à la prestigieuse université américaine d’Harvard, dont il nous avait parlé en 2019. Flairant le bon coup de com’, la direction de l’établissement, qui envisage de lancer une formation spécialisée en management du sport, en a profité pour lui octroyer un doctorat honoris causa, en sus du MBA.
Sitôt l’aéronef dans les airs pour 55 minutes d’un vol sans turbulences, Eto’o s’endort. « Je suis arrivé d’Abidjan tôt ce matin », s’excusera-t-il plus tard. La veille, le gratin de la politique ivoirienne et du show biz africain s’était retrouvé aux obsèques de Hamed Bakayoko, mort foudroyé le 10 mars dernier par un cancer dans un hôpital de Fribourg-en-Brisgau, en Allemagne. « La dernière fois que je l’ai vu, je lui ai offert des chaussures dont il raffolait. Je lui en avais pris une dizaine de paires » se souvient notre hôte, qui décrit le Premier ministre ivoirien comme « un ami et un frère ».
10 heures. Atterrissage à l’aéroport Lyon-Bron, le second de la capitale des Gaules. Deux heures à « tuer » dans un hôtel avant la cérémonie de remise des diplômes. Samuel Eto’o s’est isolé pour travailler son discours. Le jeune retraité du football tient à réussir cet ultime exercice. Lui qui est suivi par 12 millions d’abonnés sur Facebook, 1,5 millions de followers sur Twitter et 5,4 millions d’abonnés sur Instagram sait à quel point une faute de communication ou de goût peut coûter cher sur les réseaux sociaux.
“Les anciens joueurs pourraient contribuer à améliorer le métier. Ils ont l’avantage de connaître le milieu »
Il doit prouver qu’un ancien footballeur peut se recycler dans un métier autre qu’entraîneur, sélectionneur ou consultant à la télévision. « Trop peu d’anciens ambitionnent par exemple de devenir dirigeants du football. Pourtant, ils ont l’avantage de connaître le milieu. Ils pourraient contribuer à améliorer le métier en passant des terrains aux instances dirigeantes », insiste-t-il.
« Vous éclairez la jeunesse »
12 heures. Samuel Eto’o a troqué t-shirt et sneakers pour un costume-cravate sombre. Il est accueilli à l’ECLyon avec masques et gestes barrières, canapés de saumon fumé et champagne. « Attention, n’oubliez pas que nous déjeunerons tardivement dans l’avion pendant le vol retour », prévint son fidèle ami Qualité, qui l’accompagne avec la disponibilité et la discrétion d’un aide de camp.
Avant le remise du parchemin honorifique, Hervé Diaz, le président de l’école, lui adresse un bel hommage : « Briller, ce n’est pas que briller pour soit. Vous brillez parce que vous éclairez la jeunesse », assure-t-il avant d’excuser le parrain du lauréat, le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra, empêché.
Sa confiance en lui, qui fit le miel de détracteurs, reste sa force encore aujourd’hui
Son discours, l’invité du jour le lit avec le phrasé hésitant de ceux qui manquent de pratique, mais son charisme compense. Cette confiance en lui, qui fit le miel de détracteurs prompts à critiquer une « melonite aigue », fut aussi sa force et le reste encore aujourd’hui. Elle n’augure pas non plus d’une retraite passée à faire reluire ses trophées. Gagner sa vie à « courir derrière un ballon » n’interdit pas d’accumuler des savoirs nécessaires pour s’ouvrir à de nouveaux horizons.
Hamed Bayayoko, « parti de rien »
De nouveau, dans son discours, il rend hommage à son ami Hamed Bakayoko, un autodidacte de la politique, parti de rien pour devenir Premier ministre d’un pays phare d’Afrique francophone. Il cite Frantz Fanon, puis Mandela, qui lui avait un jour lancé : « Tu es un soldat africain ».
À la fin de la cérémonie, un sexagénaire vint féliciter l’impétrant, lequel reconnait Jean-Jacques N’Domba, surnommé « Géomètre », une ancienne gloire de l’âge d’or des Diables Rouge du Congo établie à Lyon. Puis arrive Maxwel Cornet, virevoltant ailier de l’Olympique lyonnais et des Éléphants de Côte d’Ivoire, venu le saluer en Ferrari bleue nuit vrombissante. Profitant de son aura, Samuel Eto’o rêve de rassembler la « famille » du football pour peser.
“Patrice Motsepe est quelqu’un de brillant. Et Gianni Infantino aura toujours mon soutien »
Même s’il nie toute ambition politique, l’ex-attaquant des Lions indomptables semble s’appliquer à se construire une stature. Quelques semaines plus tôt, il a pu tester sa popularité et faire la preuve de sa générosité lors d’un voyage dans l’Extrême-Nord du Cameroun. »Peut-être qu’un jour, quand j’aurai 60 ans, je me laisserai tenter par un mandat à la tête d’une mairie », nous avait-il confié en 2019. Deux ans plus tard, il ne souhaite pas en dire davantage. Les vicissitudes de la politique camerounaise imposent la prudence.
Mais de la politique, il possède déjà les codes, dont le maniement remarquable de la langue de bois. Ahmad Ahmad, l’ancien président de la CAF ? « J’ai découvert une très belle personne. Je suis heureux de compter parmi ses amis et je lui dis merci parce qu’il a pesé de tout son poids pour permettre au Cameroun de conserver l’organisation de la Can 2022. C’est une très bonne chose compte tenu des investissements lourds consentis par mon pays ».
Retour en Afrique
17 heures. Retour à l’aéroport Lyon-Bron. Il faut rentrer à Paris avant le couvre-feu, mais impossible d’embarquer. Une escouade de pompiers a sauté du camion, exigeant photos et autographes. Eto’o se prête au jeu de bonne grâce. Cinq minutes après le décollage, le repas est servi. Beignets à la farine de blé aux haricots rouges, le plat le plus populaire de la street food camerounaise, arrosé au Top Pamplemousse. On a beau s’être hissé sur le toit du monde, on n’oublie pas d’où l’on vient.
Quelques jours plus tard, je le recroise brièvement dans son triplex du XVIe arrondissement de Paris. Le voilà revenu au vouvoiement. Comme si, subitement, il lui était nécessaire de remettre de la distance. À la gauche du salon cosy brillent les cuivres de sa salle des trophées. Il caresse du regard les trois répliques de la mythique coupe aux grandes oreilles remise aux vainqueurs de la Ligue des Champions avant de s’installer dans un fauteuil de style Directoire, dont les accoudoirs et le dossier ont été retapissés aux couleurs des Lions indomptables.
Samuel Eto’o a déjà la tête ailleurs. Le lendemain, il doit reprendre l’avion pour l’Afrique.