Après une « annus horribilis » due à la pandémie, le ministre sénégalais du Tourisme et du Transport aérien aligne avec confiance les projets : nouvelles liaisons aériennes à l’international, réfection de treize aéroports nationaux, complexes hôteliers haut de gamme…
Depuis les débuts de la pandémie de Covid-19, en 2020, le ministre Alioune Sarr n’est pas à la fête. N’a-t-il pas la charge de deux secteurs qui ont été frappés de plein fouet par les retombées de ce séisme sanitaire : le tourisme et le transport aérien ?
Dans les semaines qui ont suivi le « lockdown » adopté par le Sénégal en mars 2020, la fréquentation de l’aéroport international Blaise-Diagne (AIBD) a brutalement chuté, tandis que les pertes engrangées par la compagnie nationale, Air Sénégal SA, ont, à l’inverse, atteint des sommets.
Quinze mois plus tard, alors que la campagne de vaccination progresse dans les pays connectés au pays de la Teranga, Alioune Sarr peut envisager l’avenir avec davantage de sérénité. Tandis qu’Air Sénégal se prépare à desservir en septembre la côte est des États-Unis, des projets hôteliers ambitieux, portés par Riu ou par le Club Med, avancent à grands pas, tandis que les villes nouvelles promises par l’artiste américain – d’origine sénégalaise – Akon sont censées sortir de terre d’ici à 2023.
De plus, pour asseoir le statut d’Air Sénégal, un ambitieux plan de réfection des aéroports régionaux promet aux Sénégalais des liaisons intérieures à l’horizon de la fin de cette année.
Issu de l’Alliance des forces de progrès (AFP), dont le président-fondateur, Moustapha Niasse, annonce sa retraite prochaine, Alioune Sarr – pressenti pour lui succéder à la tête du parti – revient pour Jeune Afrique sur l’annus horribilis traversée par le Sénégal, tout en assurant que la sortie du tunnel est pour bientôt.
Jeune Afrique : Au cours des dix-huit mois écoulés, le tourisme et les transports aériens ont été particulièrement impactés par les retombées de la pandémie. Quelle a été l’ampleur du préjudice subi par le Sénégal ?
Alioune Sarr : Le Covid-19 a eu un impact extrêmement important dans ces deux secteurs. Lorsque nous avons pris la décision de fermer les frontières, le 20 mars 2020, le trafic aérien a subitement chuté de 97 %. Et la compagnie Air Sénégal SA a perdu 19 milliards de F CFA [29 millions d’euros] en l’espace de trois mois.
Un fonds de 50 milliards de F CFA pour épauler Air Sénégal et l’ensemble des structures de l’aéronautique
Avec la perte des redevances liée à cette situation, l’ensemble des structures qui gèrent l’Aéroport international Blaise Diagne (AIBD) ont vu leurs ressources se tarir, comme l’Agence nationale de l’aviation civile et de la météorologie (Anacim) et l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (Asecna).
C’est ce qui a conduit le président Macky Sall à mettre en place un fonds de résilience économique et sociale d’un montant de 50 milliards de F CFA pour épauler Air Sénégal et l’ensemble des structures de l’aéronautique affectées par cette situation. Une autre ligne de crédit, du même montant, a par ailleurs été mise en œuvre pour soutenir le tourisme, lui aussi frappé de plein fouet.
L’objectif est double : préserver les emplois et les entreprises. Il faut noter que plus de 300 000 Sénégalais travaillent directement ou indirectement dans le secteur du tourisme et qu’ils sont 6 000 dans le transport aérien. Un plan de relance a donc été élaboré pour surmonter cette phase critique.
Où en est-on aujourd’hui concernant les restrictions de voyage ?
Le protocole sanitaire n’a pas varié depuis lors. Tout passager pénétrant sur le sol sénégalais doit présenter un test PCR au moment d’embarquer et à son arrivée au Sénégal. Depuis que la campagne de vaccination a débuté, l’idée d’instaurer un passeport vaccinal est en train d’émerger, ce qui nous conduira à aménager ce protocole pour les passagers ayant reçu leurs deux doses de vaccin.
Le Covid-19 nous a posé un double défi : d’un côté, préserver la santé des populations ; de l’autre, préserver notre économie. Toutes les décisions prises jusqu’ici étaient adossées aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ce qui nous a permis de canaliser l’ampleur de l’épidémie. L’État sénégalais est resté debout, tout comme le secteur privé.
D’après un audit réalisé par KPMG, il y a eu, au cœur de la crise sanitaire, une chute du trafic aérien de -55,8 % à l’AIBD. Qu’en est-il aujourd’hui ?
L’ensemble des lignes aériennes ont rouvert et la tendance est à l’amélioration de l’activité de l’aéroport.
Depuis le début de l’année 2021, Air Sénégal dessert de nouvelles destinations, comme Lyon et Milan, et vous annoncez pour le mois de septembre des vols vers New York et Washington…
La ligne Dakar-New York-Washington ouvrira le 2 septembre prochain. C’est une ligne particulièrement importante puisque reliant le Sénégal à la première puissance économique mondiale. Elle l’est aussi sur le plan touristique car nombre d’Africains-Américains éprouvent le besoin de se ressourcer sur le continent, notamment en visitant l’île de Gorée, au large de Dakar. Aussi cette liaison permettra-t-elle de développer le tourisme mémoriel avec nos parents de la diaspora africaine-américaine.
Il s’agira également de conforter la position de hub de l’AIBD en permettant à Air Sénégal de collecter des voyageurs venus de toute la sous-région pour les acheminer (en sept heures) jusqu’à la côte est des États-Unis – avec des connexions possibles vers Montréal en « interline », en partenariat avec Delta Air Lines ou Air Canada.
Par ailleurs, nous avons récemment densifié notre trafic vers l’Afrique centrale – avec des connexions vers Douala et Libreville –, ce qui est important pour les exportations, notamment dans le secteur halieutique. Et nous prévoyons d’ouvrir, au début de 2022, des vols vers Genève et Londres afin de connecter le Sénégal aux principaux marchés émetteurs du tourisme mondial. Ce projet avait dû être reporté à cause de la pandémie.
Le Plan Sénégal émergent (PSE) aspire à faire du transport aérien un des moteurs de la croissance économique du Sénégal. Le fait de disposer d’une compagnie aérienne est-il suffisant pour atteindre cet objectif ?
Cette ambition repose sur trois grands piliers. Premièrement : disposer avec l’AIBD d’un aéroport de rang international, mais aussi construire ou réhabiliter treize aéroports au niveau régional.
Faire d’Air Sénégal une compagnie nationale forte
Deuxièmement, il s’agit de faire d’Air Sénégal une compagnie nationale forte, ce qui est essentiel pour rendre viable ce hub aérien et en faire un lieu de collecte des passagers au niveau régional. La compagnie doit donc à la fois connecter le Sénégal avec les marchés du monde entier en matière de tourisme et avec nos principaux partenaires économiques.
Troisièmement, il est nécessaire de développer tout l’écosystème autour du transport aérien : l’aviation civile, afin d’avoir un espace aérien sécurisé, le fret, la logistique et la maintenance… C’est pourquoi un centre de maintenance et un centre de formation aux métiers de l’aéronautique verront le jour à l’AIBD.
Le président Macky Sall a effectué en juin une visite dans le Fouta, au nord du pays, où il a notamment été question de l’aéroport de Matam-Ourossogui. Quelles sont les échéances avant de pouvoir relier plusieurs « capitales » régionales à Dakar et au réseau international d’Air Sénégal ?
À l’heure où je vous parle, l’aéroport de Saint-Louis a été complètement reconstruit et il est opérationnel à 95 %. Il devrait être réceptionné à la fin de l’année 2021 et aura le statut d’aéroport international, directement accessible depuis l’étranger. Le deuxième aéroport à entrer en service sera celui de Matam-Ourossogui, qui doit être livré le 5 avril 2022.
Puis nous devrions enchaîner avec l’aéroport de Kédougou, une ville située dans l’une des plus belles régions du Sénégal, ce qui permettra de l’ouvrir au tourisme à travers cette connexion aérienne. Ensuite viendront les aéroports de Tambacounda et Ziguinchor. Ces cinq aéroports s’inscrivent dans la première phase du Programme de reconstruction des aéroports du Sénégal (PRAS).
À terme, pas moins de treize aéroports auront donc été reconstruits ou rénovés
Dans une deuxième phase, ce sont huit autres aéroports qui deviendront opérationnels : Kolda, Cap Skirring, Simenti, Linguère, Bakel… À terme, pas moins de treize aéroports auront donc été reconstruits ou rénovés. Et Air Sénégal s’est vu assigner l’objectif d’aligner son plan d’action sur cette nouvelle donne.
Cela nécessitera d’accroître la flotte de la compagnie. Le trafic sera-t-il suffisant pour rendre viable cette volonté politique de développer le trafic aérien intérieur, en marge des vols internationaux ?
Aujourd’hui, un Sénégalais qui veut rejoindre Matam depuis Dakar doit compter environ cinq heures de route – un délai qui a été amélioré du fait des nouvelles infrastructures autoroutières. En avion, il lui faudrait moins d’une heure de vol. Et cette amélioration se répercutera sur l’acheminement des productions agricoles ou horticoles, sans parler des opportunités touristiques.
Aujourd’hui, la ville de Saint-Louis, le pays bassari [sud-est du Sénégal], le site de Ranérou [nord-est] ou encore le site mégalithique de Sine Ngayène [centre] sont classés au patrimoine mondial de l’Unesco. Il est donc essentiel, d’un point de vue touristique, d’améliorer la connectivité aérienne entre Dakar et ces régions.
Où en est le projet de ville nouvelle « Akon City », dont on parle beaucoup depuis quelques années mais dont la concrétisation reste virtuelle ?
Le chanteur Alioune Badara Thiam, alias Akon, a soumis à l’État du Sénégal un projet constitué de deux volets : un « village Akon », à l’image de l’Afrique, sur une superficie de 5 hectares ; et une ville nouvelle, « Akon City », avec des hôtels, des tours, des restaurants, sur une superficie de 50 hectares.
Akon a signé un bail avec l’État à travers la Société d’aménagement et de promotion des côtes et zones touristiques du Sénégal (Sapco), elle-même rattachée au ministère du Tourisme. Au Sénégal, le foncier est attribué pour une durée de deux ans, puis on évalue si les investissements annoncés ont été réalisés ou non. Nous en sommes encore à cette phase.
Ce projet mobilise des investissements très importants et il s’inscrit dans le PSE, qui prévoit de faire du tourisme un moteur de la croissance du pays, notamment à travers les « villes intégrées », destinées à promouvoir un tourisme à forte valeur ajoutée. Le Sénégal vise un tourisme haut de gamme, ce qui nécessite des investissements structurels.
Le projet d’Akon doit s’intégrer à la zone touristique de Mbodiène [sur la côte, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Dakar, ndlr]. D’autres projets du même type sont prévus à Pointe-Sarène [90 km au sud de Dakar], au Cap Skirring ou à Toubacouta [au sud-ouest], où nous disposons de sites réservés.
Quel intérêt le Sénégal a-t-il de voir une ville nouvelle émerger sous l’égide d’un opérateur privé, musicien qui plus est ?
Notre objectif est de promouvoir un tourisme de très grand standing. Avec des hôtels, des terrains de golf… Le tourisme haut de gamme crée des richesses, des emplois, et la seule condition que nous imposons à ces partenaires est le respect des lois et règlements du Sénégal. La Sapco dispose d’un « masterplan », autrement dit d’un cahier des charges que ces partenaires se doivent de respecter.
Akon n’est pas le seul interlocuteur à promouvoir un projet touristique ambitieux. Le groupe touristique espagnol Riu ou le français Club Med sont eux aussi sur les rangs…
Le groupe Riu doit livrer à la fin de l’année 2021 un hôtel de 535 chambres à Pointe-Sarène. J’ai visité les infrastructures et le projet est très avancé. À Mbodiène, des investisseurs allemands ont eux aussi un projet hôtelier très ambitieux dont les travaux pourraient commencer au début de 2022.
Quant à Club Med, ils avaient déjà un hôtel au Cap Skirring, en Casamance. Et sur la Petite côte, ils sont en train de finaliser un tour de table pour faire aboutir un projet sur le terrain de l’ancien Domaine de Nianing. Mais l’État n’est pas directement concerné, il s’agit de projets privés.
Notre rôle est avant tout d’offrir les meilleures conditions possibles aux investisseurs. Et aussi de positionner le Sénégal dans le tourisme événementiel et le tourisme d’affaires, avec, par exemple, le Dakar Arena ou le Centre international de conférences, à Diamniadio. En 2022, nous comptons entrer dans une nouvelle ère en termes de promotion de la destination Sénégal.
En marge de votre fonction ministérielle, vous êtes aussi un cadre important de l’Alliance des forces de progrès (AFP), dont le fondateur, Moustapha Niasse, président de l’Assemblée nationale, devrait prendre prochainement sa retraite politique. Votre nom est avancé pour lui succéder. Le confirmez-vous?
Depuis une vingtaine d’années, je suis au service de mon parti, de ma famille politique et de mon pays. Nous appartenons à la coalition Benno Bokk Yakaar (BBY), emmenée par le président Macky Sall, qui représente une chance pour le Sénégal.
À partir de 2023, nous serons confrontés aux défis posés par l’exploitation du pétrole et du gaz
D’une part, car dans l’histoire de notre pays cette coalition est celle qui a connu la plus grande longévité ; et d’autre part, car elle a permis nombre de réalisations concrètes, comme le démontrent les investissements consentis dans les secteurs du tourisme et du transport aérien que je viens d’évoquer. À partir de 2023, nous serons par ailleurs confrontés aux défis posés par l’exploitation du pétrole et du gaz.
Je fais partie de ceux qui pensent que nous devons dépasser les clivages politiques afin de relever ces défis. Autrement dit, parvenir à des consensus forts sur les sujets essentiels. Nous ne pourrons pas nous substituer à Moustapha Niasse, qui a été successivement directeur de cabinet du président de la République, ministre des Affaires étrangères pendant plus de onze ans, deux fois Premier ministre, président de l’Assemblée nationale pendant dix ans…
À défaut de l’égaler, on peut tout de même lui succéder. Mais depuis 2012, l’AFP – tout comme le parti socialiste – ne s’est-elle pas dissoute dans la coalition BBY au profit du parti présidentiel, l’Alliance pour la République (APR) ?
L’AFP a signé un pacte avec le président Macky Sall lors de la présidentielle de 2012. L’engagement mutuel était de gagner ensemble puis de gouverner ensemble. La réalité politique, c’est que Macky Sall a gagné la présidentielle. Mais notre parti est dignement représenté au gouvernement et dans les 45 départements du Sénégal.
Par ailleurs, le bilan de Moustapha Niasse à la présidence de l’Assemblée nationale est palpable. D’abord, à travers la stabilité de l’institution sans laquelle aucun gouvernement ne saurait gouverner. Et nous avons aussi apporté notre contribution au gouvernement. Les sensibilités politiques de l’électorat sont aujourd’hui éclatées, il est donc préférable d’aller à une élection au sein d’une coalition.
Au Sénégal, les élections présidentielles et législatives se tiennent conformément au calendrier prévu. Il en va autrement des élections locales, dont les dernières sont attendues depuis 2019 et sans cesse reportées. Comment l’expliquez-vous ?
Il y a eu des discussions, concernant les élections locales, dans le cadre du dialogue politique. Et ce scrutin pouvait difficilement se tenir tant que les conditions préalables évoquées lors de ce dialogue n’étaient pas réglées. Par exemple, l’audit du fichier électoral, qui est une revendication de l’opposition.
Les recommandations d’experts indépendants ont été formulées, puis adressées au ministre de l’Intérieur. Et les aménagements qui en sont issus doivent désormais conduire à des refontes du code électoral qui seront elles-mêmes soumises aux députés. Dans une vieille démocratie comme le Sénégal, mieux vaut une longue concertation avant le scrutin qu’une contestation après.