Après la sortie des organisations de défense des Droits de l’homme qui demandent un allègement des conditions de détention pour l’ancien président du Tchad, Hissène Habré, une de ses victimes, Abdourahman Guèye, revient sur les raisons qui devraient pousser à ne pas accepter cette démarche
Survivant sénégalais des geôles de l’ancien dictateur tchadien, Abdourahman Guèye revient sur un passage douloureux de sa vie. Morceaux choisis.
«Il est normal de s’inquiéter de la santé de Hissène Habré, mais lui n’en avait rien à faire quand c’est nous qui pourrissions dans ses prisons. Affamés, torturés, humiliés. Il se fichait que ses détenus mouraient dans ses cellules, comme mon associé, le Sénégalais Demba Gaye, et des milliers d’autres. Depuis ma libération de ses geôles en 1988, depuis sa condamnation en 2016 par les Chambres africaines extraordinaires pour crimes contre l’humanité, torture et esclavage sexuel, j’ai déjà attendu 33 ans pour être indemnisé.
«Et aujourd’hui, à 75 ans, je continue encore d’attendre. La famille de Demba et les familles de milliers d’autres morts et disparus patientent toujours aussi. Hissène Habré espère-t-il que toutes ses victimes meurent pour ne pas avoir à les indemniser ? Jour après jour, nous sommes de moins en moins nombreux en vie. Hissène Habré a été condamné, mais il n’y aura pas véritablement de justice tant qu’il n’aura pas payé ce qu’il doit aux victimes.
«Hissène Habré doit nous dire ce qu’il a fait des millions qu’il a volés dans les caisses du Tchad, en s’enfuyant de son pays. Qu’a-t-il fait de tout cet argent ? L’argent pillé du Tchad doit être rendu au peuple tchadien et aux victimes qui ont souffert à cause de lui. En refusant de respecter la décision de justice qui le condamne à réparer ses victimes, il nous torture une deuxième fois. Rien ne montre que Habré soit malade. La justice sénégalaise a rejeté ces prétentions à deux reprises. Les Sénégalais ne sont pas sans savoir que depuis 2015, les soutiens de Habré ont tenté de faire barrage au procès et ensuite de le faire libérer pour des motifs fallacieux des soi-disant maladies. On se souvient surtout de sa fausse “crise cardiaque”, la veille du procès.
«Oui, il est âgé, mais comme les Nations Unies ont rappelé au Sénégal, l’âge n’est pas incompatible avec la réclusion à vie, notamment pour les faits gravissimes pour lesquels Habré a été condamné. Il y a quatre génocidaires rwandais âgés dans les prisons sénégalaises dont Mathieu Ngirumpatse qui a 82 ans. Il y a aussi des Sénégalais plus âgés que lui dans nos prisons. Pourquoi les détenus puissants devraient bénéficier de clémence humanitaire plus que les autres ? Habré a d’ailleurs même moins de risques d’être infecté par la Covid que les autres, puisqu’il est détenu dans une cellule privée. Mais pour le protéger encore plus, il faut le vacciner, s’il ne l’est pas encore.
«Je suis sénégalais ; Demba Gaye était sénégalais. Nous avons été arrêtés sans raison et jetés dans les prisons surpeuplées de Habré. J’ai été libéré grâce aux efforts de feu le khalife Serigne Abdoul Ahat Mbacké et l’intervention d’Abdou Diouf, mais Demba est décédé dans la fameuse “cellule de la mort” de Hissène Habré. Je demande qu’on ait autant de considération pour moi et pour la famille de Demba que pour notre bourreau.»