« Je prêche pour un remembrement des savoirs qui passera par la mise en valeur de la partie la plus méconnue de notre héritage culturel et intellectuel ». Cette assertion du Professeur Ousmane Oumar Kane (Université Harvard) est le ressenti profond de nombreux sénégalais. Chez beaucoup de nos compatriotes, l’idée d’un enseignement plus adapté à nos réalités socioculturelles et religieuses est toujours prônée et souhaitée. A l’horizon, tout le monde attendait le déclenchement, par les autorités gouvernementales, d’un processus qui allait installer les bases d’une réformeen profondeur du système éducatif sénégalais. Ce « grand soir » n’arrivera jamais, hélas ! En inaugurant le Complexe Cheikh Ahmadoul Khadim pour l’Education et la Formation,le 6 février dernier, le Khalife Général des Murids a certainement compris que cette mutation tant souhaitée ne pouvait dépendre uniquement des autorités étatiques ; qui devaient au préalable s’accommoder d’un lourd héritage pédagogique colonial. Et depuis cette période d’avant les indépendances, le constat est que, de manière sournoise, toute initiative visant à placer la formation académique du citoyen dans une approche holistique, était vouée à l’échec.
Serigne Mountakha Mbacké, digne héritier de son grand père, le vénéré Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, vient de démontrer à la face du monde que pour réussir un ancrage de la production intellectuelle issue des daaras dans le tissu pédagogique sénégalais, il fallait tout simplement proposer une alternative au système en place, en développant ses propres curricula.
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Au Sénégal le système éducatif est tenaillé entre deux mondes parallèles : le pôle des écoles coraniques ou daara pour lesquelles la demande d’éducation des enfants en âge d’être scolarisés, est le double de celle des enfants qui veulent fréquenter les établissements d’enseignement public de langue française ; l’autre pôle. Une situation paradoxale dans un pays où la langue officielle de travail est le Français et l’essentiel des textes administratifs sont écrits en Français. Malgré leur très grand nombre, les élèves des daaras n’ont vraiment jamais bénéficié d’un appui soutenu de la part d’un Etat qui a du mal à mettre de l’ordre dans un secteur totalement désorganisé. Près d’un million d’individus tardent à être correctement pris en charge dans les filières académiques officiellement reconnues au Sénégal.
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Au Sénégal le système éducatif est tenaillé entre deux mondes parallèles : le pôle des écoles coraniques ou daara pour lesquelles la demande d’éducation des enfants en âge d’être scolarisés, est le double de celle des enfants qui veulent fréquenter les établissements d’enseignement public de langue française ; l’autre pôle. Une situation paradoxale dans un pays où la langue officielle de travail est le Français et l’essentiel des textes administratifs sont écrits en Français. Malgré leur très grand nombre, les élèves des daaras n’ont vraiment jamais bénéficié d’un appui soutenu de la part d’un Etat qui a du mal à mettre de l’ordre dans un secteur totalement désorganisé. Près d’un million d’individus tardent à être correctement pris en charge dans les filières académiques officiellement reconnues au Sénégal.
Une solution envisagée par le gouvernement était le Projet de Mdernisation des Daaras. Cependant, cette initiative avait laissé beaucoup de Serigne Daara sceptiques. Ils n’arrivaient pas à comprendre cette volonté subite de l’Etat de vouloir apporter un soutien effectif et actif aux écoles coraniques alors que l’Union culturelle Musulmane créée depuis 1953 et tant d’autres organisations, n’avaient jamais réussi à sécuriser un tel engagement. Ces lettrés, arabisants militants dans des associations à côté des fonctionnaires francisants ont toujours été confrontés à des difficultés énormes pour asseoir dans leurs établissements scolaires, une formation d’inspiration musulmane, allant de la maternelle au baccalauréat.
Dans sa démarche, ce Projet de Modernisation des Daaras visait à enrôler les « Ndongo Daaras » en trois étapes distinctes :
? une première étape de trois ans, consacrée à la mémorisation du Coran,
? une deuxième étape de deux ans, alliant mémorisation du Coran et programme des classes de Cours d’Initiation (CI), de Cours préparatoire (CP) et de Cours élémentaire-première année (CE1)
? et enfin une troisième étape de trois ans, réservée aux programmes des classes de Cours élémentaire deuxième année (CE2), de Cours moyen première année (CM1) et de Cours moyen deuxième année (CM2).
? une deuxième étape de deux ans, alliant mémorisation du Coran et programme des classes de Cours d’Initiation (CI), de Cours préparatoire (CP) et de Cours élémentaire-première année (CE1)
? et enfin une troisième étape de trois ans, réservée aux programmes des classes de Cours élémentaire deuxième année (CE2), de Cours moyen première année (CM1) et de Cours moyen deuxième année (CM2).
Ce schéma d’intégration de l’enseignement coranique et de l’enseignement élémentaire était cependant contraignant pour les responsables des daaras puisqu’il n’était pas seulement une simple suggestion, mais était adossé à une loi assortie de sanction en cas de violation.L’inquiétude est encore plus grande lorsqu’on sait que l’Etat du Sénégal, devant une école en crise cyclique, peine à trouver des enseignants en nombre suffisant pour la cohorte déjà existante de plus 1.000.000 d’élèves. Comment allait-il alors prendre en charge le supplément de près de 900.000 élèves issus des daaras, après leur admission en 6ème secondaire ? Comment faire lorsque ces nouveaux élèves issus des Daaras vont réclamer leurs professeurs d’histoire, de géographie, de mathématiques, de sciences physiques, de philosophie, de Français, d’Anglais, de Russe, d’Allemand ; et j’en passe ? Il est vrai que quelques Daaras pourraient bénéficier de ce programme, mais sans plus.
Cette équation n’est pas simple à résoudre. L’enseignement des daaras est intimement lié à la formation Islamique ; ce qui explique le faible niveau du taux brut de scolarisation dans certaines régions comme Diourbel et Louga, où les populations considèrent que l’école française les éloignerait de leur croyance religieuse. La méfiance est légitime.
Est-il acceptable, dans un Sénégal où les premiers textes écrits en arabe ont précédé de loin, ceux rédigés en français, qu’aucune réflexion issue de ces académiciens arabophones ne soit enseignée dans les établissements scolaires de langue française ? Tout ce qui nous a été enseigné sur Cheikh Oumar Foutiyou Tall, Maba Diakhou Ba, Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké et Seydil Hadji Malick Sy tourne autour des résistances armées et des résistances pacifiques. Je me rappelle qu’au lycée, s’agissant des résistances pacifiques, nous avons traité Elhadji Malick SY et Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké sur une seule page d’un cahier de format A4. Alors que la production intellectuelle de ces hommes de Dieu est énorme. Le professeur Rawane Mbaye a une fois donné une conférence sur la pédagogie avec comme seul document référence « XantaratulMurid » de Seydil Hadji Malik SY , à la stupéfaction d’éminents professeurs de l’Université Cheikh Anta Diop qui ont tous magnifié la richesse de ses sources. Et rien de tout cela n’est enseigné à l’école française ; ni la vie de ces éminents intellectuels arabophones et guides religieux, ni leurs œuvres.
Rien n’est enseigné sur l’énergie spirituelle qui a permis de transformer la forêt de Khelcom en champ fertile par Serigne Saliou Mbacké !
Rien n’est enseigné sur l’apport de Elhadji Abdou Aziz Sy Dabakh dans la pacification du climat social (grève des syndicalistes, grève des étudiants) !
Rien n’est enseigné sur l’apport de Thierno Mountaga Tall dans la résolution de la crise qui a failli provoquer la guerre entre le Sénégal et la Mauritanie !
Rien n’est enseigné sur le rôle joué par Cheikh Ibrahima Niasse dans le rétablissement des relations entre le Président Egyptien Gamal Abdel Nasser et le Roi Fayçal d’Arabie Saoudite ; ni sur la fameuse lettre que Baye Niasse avait adressée en 1964 à Habib Bourguiba pour protester contre les réformes constitutionnelles anti-islamiques instaurées par ce dernier depuis 1959 !
Rien n’est enseigné sur le rôle joué par Serigne Cheikh Tidiane Sy Al Maktoum lors des élections législatives de 1959 et de 1963.
Rien n’est enseigné sur Serigne KhalyMadiakhaté Kala, sur Serigne Hady Touré, sur Serigne Cheikh Moussa Ka, sur Serigne Cheikh Gassama, sur El Hadji Tierno Seydou Nourou Tall ou sur Serigne Thierno Ousmane Sy !
Lorsque Jyllands-Posten publiait en 2005, « le Visage de Mahomet, des caricatures du prophète de l’islam » dans un quotidien danois repris en France par le journal satirique Charlie Hebdo ; et lorsque le promoteur immobilier israélo-américain Sam Bacile diffusait en 2012 le film « L’Innocence des musulmans », Serigne Mansour Sy BoromDaradji avait senti à l’époque le besoin de publier un texte bien documenté et bien argumenté en faveur du Prophète de l’Islam PSL pour non seulement réfuter ces provocations mais également pour faire un appel à la paix entre toutes les religions à travers le monde. Ce fait inédit et historique ne figure nulle part dans les programmes d’enseignement scolaire.
Le Sénégalais voudrait, pour se rassurer, voir toutes ces actions et ces œuvres non seulement documentés ; mais également insérés dans le curriculum du programme d’enseignement de l’école française. Or, jusqu’à ce jour, tel n’est pas le cas.
MasaalikulJinaan de Cheikh Ahmadou Bamba trouverait pourtant bien sa place dans le programme de sociologie. Zajrulquluub, d’Elhadji Malick SY pourrait être enseigné dans les cours de philosophie des classesde terminale. Dans HidayatouMouznibine, Cheikh Oumar Foutiyou Tall (samaturëndoo) théorise la procrastination, un mot très prisé dans les cours de management moderne, qu’il va même qualifier de « Haram » pour un musulman.
Malheureusement, lors du dernier sommet de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI) en 2008, les Sénégalais qui auraient encore gardé les brochures distribuées à cette occasion, pourraient lire dans ses pages, que les deux plus grands écrivains que compte notre pays sont Cheikh Anta Diop et le Président Léopold Sédar Senghor. Une allégation d’autant plus ahurissante qu’on parle d’un sommet islamique.
En ouvrant les portes de l’Université Cheikh Ahmadou Bamba, bâtie sur plus de 30ha, Serigne Mountakha Mbacké offre à plus de 10.000 citoyens sénégalais non seulement la possibilité de s’abreuver d’un savoir islamique de qualité, mais aussi l’opportunité de bénéficier d’une formation professionnelle (en ingénierie industrielle, agronomique et technologique ; et en santé publique) pour légitimement espérer devenir un jour, un de ces cadres bien formés et entièrement décomplexés, capables de prendre en charge le développement socio-économique de notre pays,au même titre que ceux formés dans les plus grandes universités du monde. Avec le Complexe Universitaire Cheikh Ahmadoul Khadim, le Sénégal dispose désormais d’un joyau qui se place, et pour les dépasser, dans la lignée des universités du Caire, de Baghdad, de Fez, de Médine, de Beyrouth, de Khartoum etc.
Un grand pas vient d’être franchi ; et il semble que les autorités veulent se rattraper avec la récente annonce par le Ministre de l’Éducation de la révision des programmes scolaires afin de les rendre plus adaptés à nos réalités socioculturelles. C’est une excellente initiative ; mais il faut faire vite car le rythme actuel risque de rendre les ajustements nécessaires de plus en plus difficiles, d’autant plus que, ces projets de réforme durent depuis plus de 20 ans.
En attendant, les daara doivent faire l’effort de régler le problème d’harmonisation du curriculum de formation et du temps d’apprentissage. Il n’est pas normal que le programme d’enseignement de l’école française, de la maternelle à l’université, soit le même pour tout le Sénégal et que l’on puisse déterminer avec exactitude, le temps nécessaire pour acquérir ces connaissances dans ces écoles françaises ; alors qu’il n’y a aucune conformité ni sur les programmes de formation, ni sur la durée de séjour d’un daara à un autre sur les centaines de milliers d’écoles coraniques en activité au Sénégal.
Encore une fois, nous félicitons le Khalife Général des Murid Serigne Mountakha Mbacké et le remercions pour cette grande révolution qui va inévitablement enclencher le processus de modernisation réel de notre système d’enseignement ; et à travers lui, nous rendons un vibrant hommage à toute la communauté sénégalaise, d’ici ou d’ailleurs, pour sa généreuse contribution de la somme de 37 milliards fcfa, nécessaire à la réalisation, de ce chef-d’œuvre. Une autre révolution !
Yallanalenyalla fay yiw ci barkeYonent bi SAW
Cheikh Oumar SY Djamil
Ce vendredi 10 février 2023 à Dakar
Ce vendredi 10 février 2023 à Dakar