Ismaïla Diène a été enterré mardi à Bargny avec plusieurs centaines de proches et de voisins l’un de ses fils, tué la semaine dernière lors des troubles qui ont secoué le Sénégal, et a réclamé justice.
Endeuillés et dignes, lui et son épouse se sont gardés de désigner un coupable. Comme pour bon nombre des 16 personnes qui ont trouvé la mort dans l’éruption politique la plus meurtrière qu’ait connue le Sénégal depuis des années, les circonstances du décès de Doudou Diène, 33 ans, marié et père d’un bébé de 14 mois, restent entourées de mystère.
“C’est vendredi vers 22H00 qu’on nous a appelés pour nous dire qu’il avait été blessé par balle. Il est décédé samedi vers 04H00” dans un hôpital de Dakar où il avait été été admis en réanimation, dit à l’AFP Ismaïla Diène, enseignant à la retraite, aux côtés de son épouse Mbène Bèye et d’autres membres de sa famille à Bargny.
Bargny, une commune de pêcheurs bordant la nouvelle ville de Diamniadio à une trentaine de kilomètres de Dakar, a été comme la capitale, sa banlieue et d’autres villes du Sénégal le théâtre de violences consécutives à la condamnation de l’opposant Ousmane Sonko à deux ans de prison ferme dans une affaire de moeurs.
Cette condamnation rend M. Sonko, populaire dans la jeunesse et les milieux défavorisés, inéligible à ce stade pour la présidentielle de 2024. Il crie au complot du pouvoir.
Bargny, avec ses rues sablonneuses et ses maisons décaties, a payé un lourd tribut à l’agitation, avec trois morts, selon trois responsables municipaux.
Comment Doudou Diène, qui vivait surtout de l’élevage de poulets, a été atteint n’est pas clair.
“Doudou ne participait pas aux manifestations et ne faisait pas de la politique. Il était mon fils préféré parce qu’il porte le nom de mon père”, dit sa mère, Mbène Bèye, en larmes, boubou et coiffe blancs, chapelet à la main.
Justice ici ou dans l’au-delà
Le pouvoir et l’opposition se rejettent la faute de ces morts. L’opposition accuse le gouvernement de n’avoir reculé devant aucun moyen pour réprimer la contestation et même de s’être assuré le concours d’hommes de main équipés d’armes à feu.
Le gouvernement a dénoncé une entreprise de déstabilisation à laquelle auraient pris part des “forces occultes”, des étrangers et des hommes avec des armes de gros calibre.
Comme il est de tradition avant de mourir, “Doudou, qui est notre fils cadet, nous a demandé pardon, à sa mère et moi (au téléphone). Je ne sais pas dans quelles circonstances il a été atteint par une balle”, dit son père dont la tristesse se lit sur le visage. Doudou avait deux frères et une soeur, selon lui.
“Quand il m’a demandé pardon, je lui ai dit que je te pardonne. Perdre un enfant est un choc émotionnel terrible. De toute façon, justice sera faite. Si ce n’est pas par les hommes, ce sera dans l’au-delà”, dit son père.
“J’espère que les hommes feront justice parce qu’il y a des choses qui ne peuvent pas rester impunies”, dit son père. Quand la police lui a demandé ce qu’il comptait faire, il a répondu qu’il entendait porter plainte.
“Que justice soit faite. Des innocents meurent. Ce n’est pas normal”, dit sa mère, enseignante à la retraite elle aussi, peu avant le départ pour la mosquée pour la prière mortuaire.
L’épouse du défunt, dans une chambre voisine, est assistée d’un groupe de femmes.
Les formalités à remplir ont retardé l’inhumation jusqu’à mardi. Une foule de plusieurs centaines de personnes s’est rassemblée dans une mosquée peinte en vert où le cercueil avait été déposé. Au bout d’une dizaine de minutes d’hommages, la cortège silencieux des hommes a pris le chemin du cimetière, à la lisière de la commune. Les femmes se rendront sur la tombe plus tard.