Exil politique : Forme de résistance ou acte d’abandon ?

La publication d’une série de clichés par Me Ngagne Demba Touré annonçant son arrivée au Mali continue de susciter de vives réactions. Si certains Sénégalais, notamment proches du pouvoir, considèrent son geste comme une fuite ou un acte d’abandon, d’autres pensent qu’il s’agit bien d’une forme de résistance.

« A l’image de l’ayatollah Khomeini qui s’était exilé vers Nadjaf en Irak pendant 14 ans (1964- 1978), avant de rejoindre Paris en 1978 pour achever la révolution de 1979, A l’instar de nombreux résistants de l’histoire.

Et si j’ai opté pour l’exil avec son lot d’incertitudes et de conséquences, c’est parce que je considère qu’aucun sacrifice ne sera de trop pour la survie de notre projet politique ».

Dans un post sur sa page Facebook, le jeune greffier Ngagne Demba Touré, par ailleurs coordonnateur des jeunesses patriotiques (Jps), recherché par la Division des investigations criminelles (Dic), a décidé de prendre congés de son pays pour trouver refuge au Mali voisin.

Face à la presse, ce lundi, le président du groupe parlementaire Yewi Askan wi, Birame Souleye Diop, a déploré cette affaire, parlant d’« un exilé politique âgé seulement de 24 ans ».

Le parlementaire et proche d’Ousmane Sonko a, dans la foulée, ajouté, que derrière ce cas, « il y a une quarantaine de jeunes recherchés et qui ont décidé de faire disparaître tranquillement ». Une révélation qui prouve que cela constitue une des stratégies adoptées dans la galaxie Pastef (dissous).

«Continuation de la lutte depuis l’étranger »

Dans une nouvelle sortie faite, ce lundi soir, Me Touré a réitéré sa position d’ « exilé » en déclarant : « Nous allons organiser la résistance ». Ce que semblent confirmer ses camarades de parti.

« Tu es certes loin de la patrie mais tu peux être bien utile et mener la résistance depuis la terre malienne comme ce fût le cas de l’Ayatollah Khomeini, le guide de la révolution iranienne en 1979. Je suis persuadé que tu peux bien mener la résistance depuis là-bas jusqu’à la victoire finale », a posté le député de Touba, Cheikh Thioro Mbacké.

De son côté, Barka Cissé, a également « béni » la décision de son « frère » Maître Ngagne Demba Touré. « Où que tu sois, la jeunesse patriotique a besoin de toi en liberté mais pas en geôle. Président Assimi Goita, les frères patriotes du Sénégal vous confient un de ses combattants, un haut fonctionnaire en exil au Mali », a ajouté ce responsable de Pastef-Matam.

Allant plus loin, Amadou Ba de Pastef a, quant à lui, tenu à préciser que « l’exil politique n’est pas une fuite, mais une continuation de la lutte depuis l’étranger, loin de sa famille et des siens ». Car, ajoute-t-il, « abandonner un travail salarié, un petit confort matériel, un ménage à construire pour s’opposer loin des siens…le summum de la Conscience politique ».

Toutefois, cette décision de Me Touré est perçue autrement au sein de la majorité présidentielle. Beaucoup assimilent l’acte du greffier à une fuite de la justice sénégalaise. « De « gatsa gatsa » à l’exil », a, en effet, ironisé Cheikh Ndiaye, membre de l’Apr Kaffrine.

« Je me demande où est passé le courage que tu faisais montre dans les plateaux ? Quand on décide de résister par tous les moyens, on doit avoir le courage de rester dans son pays pour assumer ses responsabilités », a-t-il ajouté, soulignant que « si le projet politique que tu tiens tant, c’est pour notre pays alors, opter pour l’exil est synonyme d’un échec du projet Pastef ».

Pour sa part, Seridija Fall Sall Ndiaye, un autre internaute, a souligné que « Me Ngagne Demba Touré a choisi l’exil. Un vrai lâche. ‘’Gor dou dawe’’ (une personne digne ne doit pas fuir, ndlr) ».

Situation juridique d’un exilé politique

Tout d’abord, c’est quoi un exil politique ? Selon une définition répandue en droit international, c’est la situation d’une personne qui est expulsée ou obligée de vivre hors de sa patrie.

« Et cette situation, selon un juriste, spécialiste du droit international, entraîne des conséquences directes pour les individus concernés. Il imprime à leur émigration un caractère non volontaire, car les événements politiques restreignent fortement les choix individuels possibles, et aléatoire, puisque la décision de résider sur le territoire d’un autre État et le moment du retour au pays échappe aux individus ».

Notre interlocuteur d’expliquer que « les principales formes de violence politique peuvent être les persécutions idéologiques, ethniques, religieuses ou les conflits entre États.

Les types de violence et leur étendue définissent les caractéristiques sociales de la population exilée : opposants idéologiques, membres de minorités ethniques territoriales ou intermédiaires, populations civiles se trouvant sur les lieux où s’exerce la violence ».

Non sans rappeler que le pays d’accueil peut être un pays appliquant le pluralisme politique, « mais en général les exilés préfèrent chercher refuge dans un pays voisin à leur nation d’origine ».

A en croire toujours ce théoricien du droit international, la situation juridique des exilés dans l’État de destination dépend en général de la politique d’asile de cet État. « Selon le degré de reconnaissance des persécutions subies, ceux-ci deviendront des réfugiés statutaires, des réfugiés de facto, des immigrés, des clandestins ou des « réfugiés en orbite », a-t-il indiqué.

Vers une radiation de Ngagne Demba Touré de la fonction publique

Souvent les opposants politiques luttent dans leur pays d’accueil pour solliciter un changement dans leur pays d’origine. Mais cela est généralement fait via des organisations de résistance ou de gouvernement en exil (comme la résistance tibétaine qui a organisé un gouvernement en exil en Inde). Le droit d’asile est aujourd’hui reconnu dans la plupart des démocraties.

Revenant sur le cas Ngagne Demba Touré, récemment affecté à Matam, ses jours dans la Fonction publique sont désormais comptés. Il sera radié pour abandon de poste. C’est en tout cas ce qu’a fait savoir, sur les ondes de la Rfm, Abdou Fouta Diakhoumpa, inspecteur du travail à la retraite et formateur à l’Ena. Pour ce dernier, la lettre et l’absence du coordonnateur national de la Jeunesse patriotique sénégalaise seront considérées comme des preuves.

En tout état de cause, lors de l’Assemblée ordinaire de l’Union des magistrats du Sénégal (Ums), ce samedi, le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, a indiqué qu’il n’a pas encore été informé de cet exil.

« Il s’est absenté. Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise sur ça ? Il a choisi de s’exiler, je lui souhaite bon vent pour son exil. On n’a pas reçu une notification de son exil », a répondu Ismaila Madior Fall à l’interpellation des journalistes.

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