La nouvelle est venue du côté du président français Emmanuel Macron. Macky Sall sera l’envoyé spécial du Pacte de Paris pour la Planète et les Peuples (4P) à la fin de son mandat présidentiel en 2024. Sitôt l’information révélée que Madiambal Diagne exprime sa joie de voir son ”ami” trouver un nouvel emploi et échapper ainsi au chômage. On ne savait pas que ses partisans s’inquiétaient autant pour lui de le voir au chômage. Si lui le président avec ses moyens, son carnet d’adresse, son réseau, a peur du chômage après la présidence, qu’en est-il alors de ces milliers de jeunes sans perspectives, sans soutien, sans moyen ? Comment espère-t-il convaincre ceux qui tentent de rallier l’Occident au péril de leur vie à rester au Sénégal, s’il est le premier à choisir la voie de l’émigration ?
Mais bref, l’objet de cette réflexion est ailleurs.
En acceptant l’offre de Macron, Macky Sall devient le troisième président sénégalais au service de la France. Senghor a été le premier à tracer la voie. Ayant démissionné en décembre 1979, le poète a consacré le reste de sa vie à travailler à l’académie française où il a été élu en 1983. Il a donc terminé sa vie en Normandie, consacrant son énergie de retraité au rayonnement de la France.
Après lui, Abdou Diouf a suivi le même chemin. Battu par Abdoulaye Wade en 2000, le successeur de Senghor est promu secrétaire général de la francophonie en 2002. Il devient ainsi le deuxième chef d’Etat sénégalais employé par la France, après son départ du palais. Lui aussi vit depuis lors à Paris et ne s’intéresse plus aux affaires publiques sénégalaises et africaines. Il va probablement terminer sa vie en France.
Alors que Wade passe le plus de son temps à Versailles, sans être employé par l’ancien colonisateur, voilà que Macky Sall prend son logement à Paris avant même de quitter la présidence sénégalaise. Qui sait si lui aussi préférera le 19ème arrondissement à son quartier Peulga de Fatick ou même sa résidence à Mermoz.
Zéro ancien président au service de l’Afrique
Pour beaucoup, ces nominations ou élections à ces instances sont la preuve de la grandeur de la nation sénégalaise, la qualité des intellectuels et hommes d’Etat du pays. Bref, ce chauvinisme bien sénégalais. D’où la fierté qu’ils éprouvent de voir ces compatriotes portés à la tête de ces institutions soi-disant prestigieuses.
Pourtant, ces postes occupés par les anciens présidents sénégalais posent une question de fond : qu’est-ce que Dakar compte apporter à la construction du continent à travers ses ex-chefs d’Etat ?
Aujourd’hui, lorsque la Cédéao est confrontée à une crise, elle fait appel à d’anciens présidents de la sous-région. Thomas Boni Yayi du Bénin, Olusegun Obasanjo et Goodluck Jonathan du Nigéria, ont été maintes fois des envoyés spéciaux de l’instance sous-régionale au Mali, en Guinée, en Ethiopie ou dans le cadre d’une mission d’observation d’élections. Il en est de même des ex-chefs d’Etat du Niger, du Ghana, de l’Afrique du Sud…
Un pays comme le Sénégal qui aspire à jouer les grands rôles dans le continent, la sous-région en particulier, devrait donc être un grand fournisseur d’anciens présidents. Aujourd’hui, l’Union africaine qui a du mal à rayonner a besoin de l’expertise de ces personnalités. Ces dernières devaient être des conseillers, des médiateurs, des facilitateurs, etc. A défaut d’être sollicités dans leur pays, leur lieu de recyclage naturel devait être les instances continentales, régionales et sous-régionales.
Intervention militaire vs soft power
Malheureusement, malgré tous les beaux discours souverainistes, le complexe d’infériorité est tel chez le Nègre qu’il suffit qu’il soit appelé par le Blanc pour tout lâcher et se dépêcher d’aller répondre. « Souvent, le colonisé ressemble un peu, ou l’ex-colonisé-même, ressemble un peu à cet esclave du XIXème siècle, qui, libéré, va jusqu’au pas de la porte et puis revient à la maison, parce qu’il ne sait plus où aller », disait Cheikh Anta Diop.
Lors d’une conférence, le savant disait avoir constaté que toutes les questions qui lui étaient posées revenaient en une seule : « Quand est-ce que les Blancs vous reconnaîtront-ils ? Parce que la vérité sonne blanche ».
Des décennies après, la reconnaissance continue de sonner blanche chez les Nègres, elle sonne française chez l’élite sénégalaise.
Prenons le contexte de désignation du président Macky Sall. Aujourd’hui, les guerres en Ukraine et à Gaza montrent que les Américains ne laissent aucune marge de manœuvre aux Européens qui sont pourtant leurs alliés. Le voyage de Biden en Israël et le double déplacement d’Antony Blinken au Proche orient sont assez édifiants à ce sujet. Les Européens ont donc cessé de jouer un rôle prépondérant, même dans leur propre continent, quand le conflit est à zéro mètre de chez eux.
Aliénation culturelle
La France ne dispose d’aucune influence en Amérique du Sud. Quant à l’Asie, n’en parlons même pas. Ainsi, la seule partie du monde où l’influence française s’exerce encore est l’Afrique, la partie occidentale particulièrement. Les interventions militaires ayant alimenté le sentiment anti-français, Paris essaie de se redéployer dans le soft power.
Du coup, en acceptant d’être placé à la tête du 4P, Macky Sall choisit librement de travailler à la perpétuation de la domination française en Afrique dans un contexte où le continent a plus que jamais besoin de se débarrasser de toute influence, qu’elle soit française, américaine, russe ou chinoise.
C’est le lieu de se demander quelle est la cohérence dans le fait de jouer les chantres de la défense des intérêts africains, en tant que chef d’Etat, à travers des discours percutants, pour ensuite se mettre au service de l’oppresseur, au détriment du continent, après le départ du pouvoir. La raison est peut-être simple, l’Afrique ne s’est pas encore débarrassée de ce mal qui a pour nom : aliénation culturelle.