Le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, est d’ordinaire l’occasion de discours inspirants, avec plus ou moins de sincérité, voire de quelques mesures politiques en faveur de la cause féminine. Mais cette année, le ministère de l’Agriculture et de l’Élevage a frappé fort, en célébrant les femmes à sa manière : en réceptionnant… des vaches laitières.
« Heureux » hasard du calendrier ? Métaphore imprudente ? Révélation involontaire d’une pensée d’un autre âge ? Démonstration inconsciente de l’imaginaire collectif qui réduit encore trop souvent la femme à une figure maternelle et nourricière ? Le symbole peut prêter à sourire, ou à grincer des dents.
Si la symbolique de l’événement fait hausser quelques sourcils, elle s’inscrit dans un contexte gouvernemental qui ne brille pas par sa parité, ni par un souci croissant pour la cause féminine. Le président de la République et le Premier ministre, chacun, heureux époux de deux épouses, dirigent un gouvernement où les femmes tiennent sur les doigts d’une main, pouce non compris. Elles sont quatre sur trente-deux dépositaires de maroquins ministériels. Ce qui fait dire à certains que la parité, c’est bien joli, mais ça ne nourrit pas son homme. Ni ses vaches, d’ailleurs.
On se souvient qu’au début du Ramadan, le directeur général du Port Autonome de Dakar, avait signé un communiqué pour attribuer aux employées de la société, des horaires spécifiques, en ayant l’amabilité de penser à la fameuse tâche féminine du « togg ndogu », cette manie, même au sommet de l’Etat, d’encore et toujours réduire les femmes aux besognes ménagères.
Réceptionner des vaches laitières le 8 mars, n’est-ce pas aussi rappeler que la femme, dans les mentalités officielles, reste avant tout celle qui nourrit, qui veille au bien-être du foyer et qui assure la subsistance des siens. Une vision que l’on pourrait qualifier d’ancestrale, voire d’archaïque, mais qui trouve manifestement encore sa place dans les hautes sphères du pouvoir.
Pendant qu’ailleurs des femmes et des hommes prenaient la parole pour dénoncer les inégalités, notre bon ministre, lui, ne manquait pas d’éloges sur ces braves bêtes, symboles de prospérité et de productivité. Dans le communiqué publié, il n’a pas manqué de saluer dans une démonstration d’éloquence rustique, “le projet [qui] vise à améliorer la productivité du cheptel, développer les cultures fourragères, moderniser les élevages ». Pas un mot pour les femmes éleveuses. Les plus beaux qualificatifs ont été adressés aux vaches et leur coût mis en avant : « depuis 2017, grâce à un partenariat public-privé, le Sénégal a importé 6732 génisses de race laitières performantes (Holstein, Montbéliarde, Normande, Jersiaise, Brune) pour un investissement de 13 milliards F FCA, dont 5,4 milliards F CFA de subvention étatique ». Source : le ministre (sic).
Pourtant, ce sont les femmes éleveuses, au même titre que les hommes, qui représentent l’épine dorsale de l’économie rurale domestique. Elles se lèvent à l’aube, bien avant que les coqs n’aient l’idée de chanter. Elles sèment, bêchent, récoltent et commercialisent ce que la terre, (cette année très capricieuse, soit dit en passant), veut bien offrir. Elles nourrissent le petit bétail, veillent sur la santé des bêtes, et entre deux traites, gèrent aussi leur foyer. On les félicite toujours pour leur courage, mais on oubliera sûrement de leur donner quelques génisses. Pendant ce temps, ses bêtes, elles, bénéficient de plus d’attention de la part des institutions publiques. Peut-être parce qu’elles, au moins, produisent du lait sans réclamer l’égalité de droits fonciers, la lutte contre les violences dont elles sont victimes, ou l’autonomisation économique. Devrait-on s’attendre à une cérémonie de réception de poules pondeuses de race, le jour de la fête des Mères ?
Au final, ce 8 mars aurait pu être l’occasion pour le ministre de l’Agriculture et de l’Elevage, d’annonces fortes en faveur des femmes qui s’activent dans le domaine couvert par son département pour mieux résorber le gap persistant encore dans les mentalités sénégalaises. Monsieur Diagne n’a même pas compris l’ironie de la situation. Une chose est cependant sûre : l’histoire retiendra qu’en 2025, en pleine journée internationale des droits des femmes, un ministre de la République a préféré glorifier des vaches laitières plutôt que de parler des droits des femmes. Peut-être pour confirmer que dans son esprit et dans ce pays, ces droits-là, avancent au rythme d’une vache laitière qui rumine. À chacun sa vision du progrès.
Henriette Niang Kandé