Dette réévaluée, note dégradée, aides gelées : une crise financière menace la stabilité du pays et met à l’épreuve la capacité du nouveau pouvoir à Coup dur pour Dakar.
Le 14 juillet, l’agence Standard & Poor’s a abaissé la note du Sénégal à B-, assortie d’une perspective négative. Du jamais-vu depuis l’entrée du pays dans le radar des marchés financiers en 2000 ! En ligne de mire : une dette bien plus lourde que prévu, des besoins de financement en forte hausse et des comptes publics sous tension. Ce déclassement propulse désormais la dette sénégalaise dans la catégorie spéculative, synonyme de risque élevé pour les investisseurs et d’une capacité de remboursement jugée incertaine.
Déjà en mars dernier, S&P avait baissé la note souveraine du Sénégal de B+ à B, prenant en compte la réévaluation du poids de la dette par la Cour des comptes sénégalaise. Dans un rapport publié en février, l’institution de contrôle estimait alors l’encours de la dette à 100 % du PIB fin 2024, contre un peu plus de 70 % annoncés par la précédente administration de Macky Sall. Les déficits budgétaires moyens de 2019 à 2023 se sont aussi envolés. Pour l’année 2023, le déficit budgétaire « recalculé » s’élève à 12,3 % contre 4,9 % annoncés. La Cour des comptes avait alors évoqué des faits « présumés constitutifs de fautes de gestion et d’infractions à caractère pénal ». Elle pointait aussi « une dette bancaire importante contractée hors circuit budgétaire et non retracée dans les comptes de l’État ».
Même cause, même effet. Cette fois-ci, ce sont les résultats de l’audit du cabinet Mazars, commandé par le gouvernement sénégalais pour dresser un état des lieux exhaustif de l’endettement national, avec une révision du ratio dette/PIB du Sénégal à 118 % pour 2024, qui poussent S&P à baisser sa note.
« Ce ratio est le plus élevé parmi tous les souverains que nous notons en Afrique dans la catégorie de notation à long terme B », fait remarquer S&P. Au total, depuis octobre 2024, la dette ajoutée dans le cadre de ces révisions s’élève à près de 8 300 milliards de francs CFA (environ 13 milliards de dollars), soit 41 % du PIB de 2024.
118 % de dette : la vérité des chiffres
« La réévaluation de la dette témoigne d’une volonté de transparence sur les finances publiques, reconnaît Mickael Vidal, analyste souverain, S&P Global Ratings. Cette réévaluation révèle toutefois une hausse très significative du taux d’endettement : selon nos estimations, le ratio dette/PIB est passé de 74 % en octobre à 118 % pour 2024, réduisant considérablement les marges budgétaires en cas de nouveau choc économique. »
Dès son investiture en avril dernier, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a lancé un grand audit des finances du pays. De nombreux programmes, notamment dans le BTP, ont été mis en pause, le temps d’un examen approfondi toujours en cours. En septembre, le Premier ministre Ousmane Sonko a mis en cause la gestion budgétaire de la précédente administration, accusée d’avoir dissimulé l’ampleur réelle de la dette.
De son côté, le Fonds monétaire international (FMI) a, dès les premiers soupçons de dissimulation en septembre dernier, suspendu son programme de prêt d’un montant de 1,8 milliard de dollars. À l’issue d’une mission menée au Sénégal en mars dernier, le FMI s’était félicité de « l’engagement des autorités en faveur de la transparence budgétaire » et avait réaffirmé « sa disponibilité à accompagner le Sénégal dans la conception d’un nouveau programme de réformes, fondé sur les conclusions de l’audit et les priorités nationales de développement, une fois les conditions requises réunies ». Au vu des derniers développements, il faudra donc encore attendre.
« À notre avis, cela restreint les options de financement du pays. […] Certains autres décaissements de financement multilatéral pourraient être suspendus, en attendant l’approbation d’un programme du FMI, bien que nous comprenions que le Sénégal ait réussi à obtenir un financement auprès d’institutions telles que la Banque mondiale, la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA) et la Banque du commerce et du développement. De même, nous pensons que l’accès à un programme du FMI facilite l’accès non seulement au financement multilatéral mais aussi aux prêts commerciaux », commente l’agence de notation. Depuis le début de l’année, Dakar a dû se retourner vers les marchés financiers pour se financer, multipliant les emprunts obligataires par appel public à l’épargne sur le marché régional de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA).
Entre ambitions et réalités, le pari risqué de Dakar
« Selon les dernières données gouvernementales publiées dans la loi de finances rectificative, l’amortissement de la dette pour 2025 représente environ 16 % du PIB, auxquels s’ajoutent les intérêts estimés à près de 5 % du PIB. Nous anticipons une hausse de cette charge sur les deux prochaines années, particulièrement en 2026 avec un pic d’amortissement de la dette et un renchérissement de son coût, avant une amélioration liée au retour à une trajectoire budgétaire plus maîtrisée à partir de 2027-2028 », détaille Mickael Vidal.
Sur les prévisions de déficit budgétaire 9 % pour 2025, l’agence de notation se montre moins optimiste que le gouvernement sénégalais. « Les autorités ont annoncé une trajectoire budgétaire très ambitieuse avec un déficit passant de plus de 11,6 % en 2024 à 7,8 % en 2025, puis à seulement 3 % dès 2027. Nous avons retenu des hypothèses plus conservatrices, car nous observons rarement des consolidations budgétaires aussi rapides sans effet négatif sur la croissance et donc sur les recettes publiques.
La loi de finances rectificative contient peu de mesures additionnelles pour augmenter les recettes ou limiter les dépenses, et prévoit même l’apurement des arriérés de l’État envers le secteur privé. Si cette mesure devrait préserver la croissance, elle ne permettra probablement pas la consolidation aussi rapide qu’espérée. Nous prévoyons toutefois une réduction progressive du déficit, notamment permise par la croissance solide que nous anticipons pour le pays au cours des prochaines années et en particulier en 2025 », explique-t-il.
Certains facteurs atténuent toutefois la gravité de la situation. « L’appartenance à l’Union monétaire permet de contenir globalement les coûts de financement par rapport au niveau d’endettement. En dépit du taux d’endettement le plus élevé parmi les pays africains, le poids des intérêts rapporté aux recettes publiques reste contenu entre 25 % et 30 %, contrairement à des pays comme le Nigeria ou l’Égypte qui affichent des niveaux bien supérieurs malgré des taux d’endettement plus contenus », constate Mickael Vidal.
En attendant, les autorités misent sur une révision à la hausse du PIB pour alléger artificiellement le ratio dette/PIB. Une opération comptable qui ne changera rien à la réalité du stock de dettes. Reste une série de zones d’ombre : comment une telle sous-évaluation a-t-elle pu passer sous les radars ? Et que dire du silence des organismes de contrôle, au Sénégal comme au FMI ?
Actunet Avec le Point. Fr