Guy Marius Sagna franchit le Rubicon Diomaye, Président illégitime ?

Sacré Guy Marius Sagna : le Sénégal a donc deux présidents. C’est ainsi que le parlementaire décrit la situation actuelle à la tête du pays. En critiquant les dignitaires du régime sortant, le député a déclaré : «…On se retrouve par votre faute dans une situation inédite où nous avons un Président légal et un Président légitime». Quel manque de respect à l’endroit du Peuple qui a souverainement élu son chef. Quelle inélégance vis-à-vis du président de la République, Bassirou Diomaye Diakhar Faye.

La plus haute institution du Sénégal, une fois de plus, est piétinée et désacralisée. Si ce n’est pas le chef du gouvernement, Ousmane Sonko, qui en est l’auteur, c’est un de ses poulains qui souille l’autorité suprême de notre pays. Summum de l’indécence, de l’inélégance et de l’irrespect ! De toute façon, plus rien venant de Pastef ne surprend les Sénégalais. En seulement 17 mois, les citoyens ont pu en voir des vertes et des pas mûres. Pourquoi opposer la légalité à la légitimité en invoquant la clé de voûte de nos institutions et celui qui doit traduire sa vision. Absolument rien, si ce n’est une volonté affirmée de rabaisser plus bas que terre, le Président élu.

D’ailleurs, la distinction entre le légal et le légitime est classiquement l’apanage des partisans de la désobéissance civile. On se rappelle que le parti Pastef et son leader, au plus fort de leur opposition au pouvoir du Président Macky Sall, théorisaient cette même désobéissance civile. Souhaitent-ils aujourd’hui l’appliquer à Bassirou Diomaye Faye qu’ils ont contribué à porter à la magistrature suprême ? En tout cas, c’est tout comme. D’autant plus qu’ils ont l’outrecuidance de remettre en question son statut en lui adjoignant un autre individu dit légitime.

C’est quoi la légitimité démocratique à proprement parler ? Contrairement à Guy Marius Sagna, Hélène Landemore rappelle qu’en théorie politique, «la légitimité est le concept le plus difficile et le plus insaisissable parce qu’il a des sources multiples. Aujourd’hui, on tend à penser que cela vient essentiellement du consentement du Peuple, mais on s’aperçoit très vite que ça ne suffit pas complètement. En effet, la légitimité pose des questions concernant le consentement ou la définition de ce qu’est une majorité. (…) La légitimité, c’est aussi l’autorité normative qu’a une institution ou une personne à exiger qu’on obéisse à ses ordres ou à ses requêtes. C’est donc quelque chose qui s’acquiert de manière procédurale, par un vote par exemple». Mais la légitimité s’entretient et se construit. Une fois qu’on a le vote, il faut quand même l’entretenir sur la durée, en faisant en sorte de produire de bonnes lois, de bonnes décisions, en maintenant une transparence autour de ce qui est fait et en assurant une responsabilité en cas d’erreur.

Manifestement, il y aurait de l’eau dans le gaz entre le président de la République et son Premier ministre. Ce qui se traduit d’abord par les récurrentes critiques de Sonko et ses affidés, mais plus récemment par l’affirmation du député Sagna, qui taille pour le patron de Pastef un joli costume de «Président légitime». Naturellement, son affirmation peut être perçue comme un drame en préparation, rappelant en passant la crise politique de 1962. A l’époque, quand la confiance a disparu entre le duo au sommet de l’Etat, cela s’est terminé très mal entre Mamadou Dia, président du Conseil, et Léopold Sédar Senghor, président de la République. On ne souhaite plus à notre pays de revivre des heures aussi sombres qu’incertaines.

Le spleen du numéro deux est connu dans tous les régimes. Il fait d’autant plus mal que Ousmane Sonko se dit, sans doute, qu’il est la cause de ses problèmes puisqu’il a porté au palais de la République un «homme qui ne le défend pas». Ce ne serait tout de même pas une bonne raison. Le président de la République, celui-là même qui est légal et légitime à la fois, contrairement à ce que croit Guy Marius Sagna, a été plébiscité lors de la dernière Présidentielle sous le slogan «Diomaye moy Sonko, Sonko moy Diomaye». Comment se fait-il alors que cette unité de pensée ne subsiste plus maintenant qu’ils sont au pouvoir ? Une chose est sûre, c’est Diomaye qui est élu. Si le parti Pastef veut en faire un ennemi, l’Etat, les démocrates et tous les citoyens épris de paix et de justice alerteront.

La virulence dont le Premier ministre a eu à faire montre lors de son apparition en «live» après la décision consécutive au rejet de son rabat d’arrêt, mais également sa violence verbale durant son adresse après la rencontre au King Fahd ont dû inspirer le député Sagna pour aborder avec autant de désinvolture la plus haute autorité du pays.

Quant au patron de Pastef, son comportement aurait pu servir de cas à étudier par certains spécialistes. Une matière telle la psychologie freudienne offrirait un cadre d’analyse particulièrement pertinent pour décrypter sa rage. Il se confronte à un «père symbolique» qu’il a certes porté au pouvoir, mais dont il n’accepte plus la place dominante. Sa posture révèle un homme dont la conception du pouvoir est davantage personnelle qu’institutionnelle. Un homme d’appareil plus que d’Etat, prêt à dévier les règles constitutionnelles. Son influence et sa domination sur le reste de la troupe «pastéfienne» justifient que Guy Marius Sagna et la cohorte de pourfendeurs du Président Faye dénient à celui-ci le rôle de Président jusque dans sa légitimité symbolique.
Alioune COULIBALY
Journaliste