Alors que le gouvernement sénégalais multiplie les gestes de soumission diplomatique sous couvert de pragmatisme économique, cette tribune dénonce une dérive inquiétante : celle d’un souverainisme de façade, contredit par des partenariats asymétriques et des choix technocratiques qui fragilisent notre autonomie. Car non, la souveraineté ne se négocie ni à Ankara, ni ailleurs. Elle se construit ici, avec nos forces, nos savoirs, et notre vision.
Le Premier ministre Ousmane Sonko, en déplacement à Ankara, a sollicité avec insistance, l’aide du président Recep Tayyip Erdoğan pour « surmonter les défis budgétaires du Sénégal ». Dans un discours hésitant, il a reconnu sans détour : « Nous n’avons pas honte de vous parler de la situation financière que nous traversons ». Cette franchise, si elle peut être saluée, soulève une question fondamentale : comment peut-on revendiquer une souveraineté économique tout en quémandant un appui extérieur pour stabiliser ses finances publiques ?
Quelques semaines auparavant, le même gouvernement annonçait que 90 % du Plan de redressement économique et social serait financé par des ressources internes. Où est donc la cohérence ?
Le ministre de l’Agriculture, Mabouba Diagne, a annoncé un partenariat avec la structure publique turque TİGEM pour aménager 500 hectares de maïs. Ce projet, présenté comme une ferme-école moderne, vise à réduire les importations annuelles de 450 000 tonnes de maïs. Mais derrière les chiffres se cache une réalité troublante : le Sénégal dispose de centaines d’ingénieurs agronomes, de techniciens agricoles, de coopératives rurales capables de relever ce défi. Pourquoi alors confier cette mission à une entité étrangère ?
Ce choix envoie un signal désastreux : nos compétences locales ne seraient pas dignes de confiance. Il perpétue une logique de dépendance technologique et symbolique, contraire à toute ambition de souveraineté alimentaire.
La visite en Turquie a débouché sur une pluie de promesses d’investissements dans l’énergie, le textile, le ciment et même l’armement. Des projets structurants, certes, mais dont les modalités restent floues : quelles garanties de contenu local ? Quels mécanismes de transfert de compétences ? Quelle transparence dans les contrats ?
Le projet de raffinerie SAR 2.0, par exemple, pourrait générer une économie annuelle de 239 milliards FCFA. Mais à quel prix ? Si les clauses ne sont pas rigoureusement encadrées, le Sénégal risque de se retrouver avec des infrastructures « Made in Turkey » opérées par des capitaux turcs, au détriment de son tissu industriel national.
Le gouvernement affirme vouloir « prendre son destin en main ». Mais les faits racontent une autre histoire : celle d’un État qui, face à la complexité des défis, choisit la facilité diplomatique plutôt que l’audace réformatrice. La souveraineté ne se décrète pas, elle se construit. Elle exige du courage, de la cohérence, une ambition audacieuse, et surtout, de la confiance en ses propres forces.
Nous ne pouvons pas bâtir la vision « Sénégal 2050 » sur des fondations étrangères. Nous ne pouvons pas prétendre à l’autonomie tout en externalisant nos leviers stratégiques. Il est temps de rompre avec cette schizophrénie politique et de poser les bases d’une souveraineté assumée, enracinée dans nos compétences, nos valeurs, nos ressources, et notre vision collective.
La souveraineté ne se quémande pas à Ankara. Elle se forge à Kaolack, à Podor, à Kolda, à Thiès, dans les champs, les ateliers, les laboratoires et les écoles du Sénégal.
Théodore Chérif Monteil
Cheikh Oumar Sy
Anciens députés