Nouvelle taxe annoncée par le gouvernement: L’inquiétude chez les usagers du mobile money

Le gouvernement du Sénégal prépare une nouvelle taxe sur le mobile money. Un projet méconnu du grand public, qui suscite déjà craintes et résistances chez les vendeurs et les usagers.

Sous le soleil écrasant du marché Sandaga, les étals débordent de coquillages décoratifs, de bijoux artisanaux et de toutes sortes de marchandises locales. Les cris des vendeurs se mêlent aux vrombissements des voitures et des motos « Jakarta » dans un assourdissant cocktail. « Bracelets à 1000 FCfa, bracelets à 1000 FCfa », répète inlassablement un jeune vendeur ambulant. « Vous acceptez les paiements Wave ? », demande une jeune fille. « J’accepte Wave comme Orange Money », répond-il en lui tendant déjà ses différents modèles.

Ici, le mobile money est omniprésent, mais le projet de taxation reste invisible. Interrogés sur le sujet, les visages des vendeurs ou ceux de leurs clients se figent dans la surprise, les mots se cherchent. Dans une logique de mobilisation des ressources internes pour faire face aux défis actuels, les nouvelles autorités misent sur un Plan de Redressement économique et social (Pres) afin de redresser la situation financière du pays. Ce plan a pour principal objectif d’augmenter considérablement les recettes fiscales sur une durée de trois ans (2025-2028). Parmi les mesures annoncées figure une hausse des taxes sur les services financiers électroniques, une augmentation que semblent ignorer les principaux concernés. Dans un pays où le taux de bancarisation reste limité (26 %), les portefeuilles électroniques se sont imposés comme un outil d’inclusion, atteignant plus de 90 % de la population âgée de plus de 15 ans. Boutiques, supérettes, restaurants, marchés : partout, on retrouve le code QR marchand permettant de payer directement avec son portefeuille électronique. Un frein à l’inclusion financière ? Abritée sous son parasol, Khady Sow, vendeuse d’encens et d’écorces d’arbres dites thérapeutiques, plisse les yeux et se désole : « C’est comme si on nous punissait d’être modernes.

Le mobile money, c’est notre banque à nous qui n’avons pas les moyens de fréquenter les banques physiques. Si l’État veut de l’argent, qu’il se tourne vers elles ». Réajustant son foulard, sa voisine renchérit fermement : « Qu’ils augmentent les frais et nous retournerons à notre cash ». Sa jeune cliente, déjà sensible à une possible hausse des frais, hésite à payer avec Wave. Du côté des gérants de multiservices, le ton est plus posé, mais l’inquiétude se lit dans les mots. Abdourahmane Diao n’est pas opposé à une augmentation des taxes, mais redoute une régression sur le plan inclusif : « Je comprends que l’État veuille accroître ses recettes fiscales, surtout dans un contexte de relance économique, mais le mobile money n’est pas un luxe. Chaque taxe supplémentaire sera un frein à l’adoption par les utilisateurs », confie-t-il. Deux modèles de taxation sont répertoriés : les taxes appliquées aux revenus des opérateurs et celles appliquées aux transactions des clients. Ce nouveau plan entend tirer 130 milliards sur les transactions courantes et 90 milliards sur les transactions marchandes, soit un total de 220 milliards attendus via le mobile money sur trois ans.

Mettre le curseur au bon endroit Dans une interview accordée au journal « Le Soleil », l’économiste Zeynil El Abidine Ndongo va dans le même sens qu’Abdourahmane : « L’introduction ou l’augmentation des taxes sur les transactions via mobile money risque d’entraver l’inclusion soutenue par l’accès aux services financiers de base. Ces coûts seront très probablement répercutés sur les utilisateurs finaux, accentuant la pression sur les ménages les plus vulnérables et augmentant le coût de la vie. Une telle mesure, si elle n’est pas soigneusement calibrée, pourrait freiner l’usage de ces services et nuire à l’objectif d’inclusion financière pourtant essentiel au développement économique ». Une analyse partagée par Mouhamadou Lamine Badji, secrétaire général du Syndicat des Travailleurs de Sonatel (Syts). S’il dit comprendre la volonté de l’État de mobiliser davantage de recettes via les transactions de mobile money, il invite toutefois à placer le curseur au bon endroit. Rappelant qu’un opérateur comme Orange Finances Mobiles évolue « à perte » sur ce segment, il estime qu’augmenter la taxe sur le volume des transactions ou sur les revenus risquerait d’éjecter l’opérateur du marché. Une taxation indirecte -faire supporter au client des frais supplémentaires- risquerait également de décourager l’utilisation des services financiers mobiles. « Il faut mettre tous les acteurs autour de la table, en s’inspirant de l’expérience d’autres pays, avec deux motivations : renforcer l’inclusion financière via le mobile money et permettre à l’État d’avoir des ressources supplémentaires », préconise

Mouhamadou Lamine Badji, invitant le gouvernement à étudier minutieusement la question. Il cite l’exemple du Mali où la taxation sur le mobile money a entraîné une baisse des transactions. Le vrai enjeu reste, à son avis, l’élargissement de l’assiette fiscale. À ce propos, dit-il, les transactions commerciales sur les plateformes de mobile money peuvent fournir à l’État de précieuses informations financières sur des entreprises qui, jusqu’ici, échappent à l’impôt. Bien qu’il soit un levier incontournable de l’inclusion financière, le mobile money est, aujourd’hui, vulnérable à des décisions fiscales unilatérales qui soulèvent de nombreuses inquiétudes. Une augmentation des taxes sur le mobile money, déjà adopté par une grande partie de la population, en milieu rural comme urbain, concernera plus de 90 % des Sénégalais.

avec le soleil