La note Caa1 de Moody’s : reflet d’une confiance perdue au Sénégal

Une dégradation historique de la note souveraine

Le 10 octobre 2025, l’agence Moody’s a abaissé la note de crédit du Sénégal de B3 à Caa1, avec perspective négative. Il s’agit de la troisième dégradation en moins d’un an, un fait inédit. Concrètement, cette note classe la dette sénégalaise parmi les investissements hautement spéculatifs, proches du risque de défaut.

Moody’s justifie sa décision par la détérioration rapide des indicateurs d’endettement et de liquidité : la dette publique atteindrait environ 119 % du PIB en 2024, un niveau record dans l’histoire récente du pays. De plus, le poids des intérêts pourrait absorber près de 27 % des recettes de l’État d’ici 2026, mettant à mal la soutenabilité budgétaire.

Mais au-delà des chiffres, cette dégradation reflète surtout une crise de confiance institutionnelle.

Une confiance ébranlée par la communication politique

Depuis l’alternance d’avril 2024, les nouvelles autorités ont multiplié les annonces spectaculaires : dénonciation d’une prétendue “dette cachée” des entreprises publiques, promesses de rupture radicale avec les institutions financières internationales, et déclarations de « souveraineté économique totale ».

Ces prises de parole ont eu un impact immédiat sur la perception des marchés. L’idée qu’un nouveau gouvernement découvre soudain un « trou caché » dans les finances publiques, sans preuve ni audit rendu public, a créé une onde de doute dans les milieux financiers.
Les investisseurs, eux, ont réagi non pas à une réalité chiffrée, mais à l’incertitude politique et à la confusion communicationnelle.

Résultat : la crédibilité du Sénégal  longtemps saluée dans la zone UEMOA s’est fragilisée, au moment même où le pays avait besoin de rassurer ses partenaires.

L’enchaînement d’annonces populistes et de plans non chiffrés

En parallèle, les nouvelles autorités ont lancé plusieurs plans de redressement, souvent présentés comme des alternatives au modèle économique antérieur.
Mais derrière les slogans et les ambitions affichées, peu de documents budgétaires précis ont été rendus publics.

Certains engagements, comme la mobilisation de plusieurs milliers de milliards de francs CFA sans endettement extérieur, ont été jugés irréalistes par les analystes. D’autres, comme la hausse simultanée de taxes et de dépenses sociales, ont donné l’image d’un pilotage plus politique que technique.

Les marchés financiers, eux, fonctionnent sur la prévisibilité et la cohérence.
Lorsque le discours devient populiste, les investisseurs appliquent une prime de risque — ce qui se traduit mécaniquement par des taux d’intérêt plus élevés et une notation plus basse.

Une crise de confiance, plus qu’une crise économique

Il faut le dire clairement : le Sénégal n’est pas en faillite.
Ses fondamentaux restent solides, sa croissance demeure autour de 6 %, et ses perspectives dans l’énergie, l’agriculture et les services sont réelles.
Ce n’est donc pas l’économie qui est sanctionnée, mais la gouvernance.

La note Caa1 exprime la perte de confiance envers la parole publique :
• Des annonces non vérifiées sur la dette,
• Des budgets improvisés,
• Des programmes mal chiffrés,
• Et une communication confuse sur la stratégie financière.

Les marchés et les institutions internationales ne sanctionnent pas un régime politique ; ils sanctionnent le doute.

Restaurer la rigueur et la transparence

Ensuite, la transparence doit être érigée en principe absolu de gouvernance.
Le débat autour de la prétendue “dette cachée” a démontré combien la communication politique peut fragiliser la confiance financière d’un pays lorsqu’elle n’est pas étayée par des éléments vérifiés.
À ce jour, aucune instance internationale, y compris le FMI, n’a confirmé l’existence d’une telle dette. Les marchés, eux, ont surtout réagi à la confusion créée par ces annonces et au flou qui s’en est suivi.

Dès lors, il devient essentiel que toutes les obligations de l’État — y compris celles des entreprises publiques et les arriérés internes — soient recensées, vérifiées et publiées sur la base de faits établis.
Non pas pour nourrir la polémique, mais pour restaurer la confiance par la clarté.

Le gouvernement gagnerait à renforcer la collaboration technique avec le FMI et la Banque mondiale, afin d’améliorer les systèmes de gestion budgétaire et comptable et d’harmoniser les standards de reporting.
La confiance ne reviendra que si les partenaires disposent de données fiables, auditables et cohérentes, émanant d’institutions solides plutôt que de discours politiques.
C’est à travers cette rigueur et cette transparence que le Sénégal pourra démontrer qu’il reste un emprunteur sérieux, crédible et prévisible, à la hauteur de son potentiel économique.

La continuité de l’État, gage de stabilité

Enfin, il faut réaffirmer la continuité de l’État, au-delà des alternances politiques.
Les discours de rupture peuvent séduire une partie de l’opinion, mais ils inquiètent les investisseurs, qui cherchent avant tout la stabilité.

Le Sénégal a bâti sa réputation sur la prévisibilité et la discipline budgétaire.
C’est cette réputation qu’il faut retrouver — non par des promesses, mais par des actes concrets :
• respect des engagements financiers,
• transparence des chiffres,
• et gestion prudente des ressources publiques.

Loin d’être une fatalité, la note Caa1 doit servir d’électrochoc.
Elle rappelle que la confiance se gagne sur la durée et se perd en une phrase.

Conclusion

La dégradation de Moody’s n’est pas un jugement économique définitif, mais un verdict de gouvernance.
Le Sénégal conserve ses atouts, mais il doit urgemment prouver qu’il sait gérer ses finances avec discipline, transparence et responsabilité.

C’est à ce prix et à ce prix seulement que la confiance des partenaires reviendra, et que notre pays pourra retrouver sa place parmi les économies les plus respectées de la région.

Tribune d’un citoyen sénégalais engagé