Fièvre de la Vallée du Rift : une menace sanitaire à l’interface entre l’homme, l’animal et le climat

Longtemps cantonnée à certaines régions d’Afrique, la fièvre de la Vallée du Rift (FVR) s’impose aujourd’hui comme un enjeu sanitaire et vétérinaire mondial. Cette maladie virale, identifiée pour la première fois au Kenya en 1931, touche principalement les ruminants, mais n’épargne pas l’être humain. Zoonose par excellence, la FVR illustre les limites d’une approche strictement sectorielle des politiques de santé. Son contrôle nécessite une action conjointe sur les fronts animal, environnemental et humain.

Le virus, transmis principalement par les moustiques du genre Aedes, peut persister dans les œufs des vecteurs, assurant ainsi sa survie entre deux saisons de pluie. En période d’inondations ou dans les zones irriguées, les moustiques prolifèrent, entraînant des flambées animales, souvent précédées d’une vague inexpliquée d’avortements dans les troupeaux. Moutons, chèvres, bovins et camélidés paient un lourd tribut à la maladie, avec des conséquences économiques majeures pour les éleveurs.

Chez l’être humain, la FVR est généralement bénigne. Fièvre brutale, douleurs musculaires et syndrome pseudo-grippal en sont les manifestations les plus fréquentes. Toutefois, dans une minorité de cas, la maladie évolue vers des formes sévères : méningo-encéphalite, lésions oculaires voire fièvre hémorragique, avec un taux de létalité pouvant atteindre 50 %. La transmission survient principalement au contact d’animaux ou de produits animaux infectés, mais peut également résulter de piqûres de moustiques. Aucune transmission interhumaine n’a été documentée à ce jour.

Les professionnels les plus exposés sont les éleveurs, les vétérinaires et les agents des abattoirs. Le risque est accru dans les régions où le lait cru est couramment consommé, ou où les pratiques d’abattage ne respectent pas les normes d’hygiène. Face à cette situation, les messages de prévention peinent encore à pénétrer les milieux ruraux, où les pratiques traditionnelles dominent.

À l’échelle vétérinaire, un vaccin existe pour les animaux, mais son usage préventif reste limité, notamment en raison du manque de campagnes de vaccination coordonnées et de la crainte qu’une vaccination en pleine épidémie n’aggrave la situation. Chez l’humain, les options sont encore plus restreintes : aucun vaccin n’est homologué à ce jour, bien que des prototypes aient été testés sur des personnels à risque.

Les flambées de FVR sont souvent liées à des anomalies climatiques, en particulier aux épisodes El Niño. Des précipitations abondantes créent les conditions idéales pour la prolifération des vecteurs. De plus en plus, les modèles climatiques sont utilisés pour anticiper les flambées et activer les systèmes de surveillance, notamment via l’imagerie satellitaire. Cette approche prédictive reste cependant sous-exploitée.

Au niveau international, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en coordination avec la FAO et l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA), prône une stratégie intégrée dite “One Health”, articulant surveillance épidémiologique, santé animale, environnement et prévention humaine. Mais dans les pays concernés, le manque de ressources freine la mise en œuvre d’un véritable système d’alerte précoce.

La propagation de la FVR hors d’Afrique – notamment en Arabie saoudite et au Yémen en 2000 – a rappelé que cette zoonose ne connaît pas de frontières. Avec l’intensification du commerce du bétail, l’urbanisation galopante et les dérèglements climatiques, les risques d’extension géographique s’accroissent.

Pour les scientifiques et les autorités sanitaires, le message est clair : il est urgent de renforcer la surveillance, d’investir dans la vaccination animale préventive et de mieux informer les populations à risque. À l’heure où les pandémies se multiplient, la FVR constitue un cas d’école : celui d’une maladie qui, ignorée trop longtemps, pourrait demain s’imposer sur le devant de la scène mondiale.