Le président américain Donald Trump a déclaré samedi 25 octobre que les efforts pour stabiliser la bande de Gaza progressaient, et qu’une force internationale serait bientôt mise en place. En vertu du plan du président Trump, sur lequel est basé l’accord de cessez-le-feu, une force internationale de stabilisation doit ainsi se déployer dans l’enclave palestinienne. Depuis plus de deux ans, ce projet est en discussion et le chef de la Maison Blanche a ouvert la porte la semaine dernière à un éventuel mandat de l’ONU.
De son côté, le secrétaire d’État Marco Rubio a déclaré que « de nombreux pays qui ont manifesté leur intérêt pour une participation à un niveau ou un autre – que ce soit en termes financiers, en personnel ou les deux – auront besoin d’une résolution de l’ONU ou d’un accord international, car leur législation nationale l’exige. »
Selon le ministère français des Affaires étrangères, Paris et Londres, en étroite coordination avec les États-Unis, s’activent à finaliser dans les prochains jours un projet de résolution du Conseil de sécurité de l’ONU visant à poser les bases de cette future force de stabilisation qui serait dirigée par l’Égypte.
« Restaurer l’ordre dans un environnement encore instable »
Cette force internationale de stabilisation (ISF) devait à l’origine être destinée à sécuriser les zones de Gaza où les troupes israéliennes se seraient retirées, empêcher l’entrée de munitions sur le territoire, faciliter la distribution de l’aide -alimentaire, médicale, etc.- et former une force de police palestinienne. Mais désormais, Washington affirme que l’ISF se chargerait aussi du désarmement du Hamas. Ainsi, pour l’administration américaine, ce désarmement doit passer par la création de cette force internationale de stabilisation ; le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu ayant par ailleurs menacé de reprendre la guerre si Gaza n’était pas complètement démilitarisée.
L’ISF devrait prendre la forme d’une mission sur le modèle du dispositif autorisé l’an dernier en Haïti pour lutter contre les gangs. C’est-à-dire une « mission de stabilisation » plutôt qu’une mission de « maintien de la paix » comme on l’entend habituellement. « Dans ce genre de mission de stabilisation, l’objectif n’est pas seulement d’observer un cessez-le-feu ou de séparer les parties, mais surtout de restaurer l’ordre dans un environnement encore instable, souvent sans qu’un véritable accord de paix soit déjà signé », analyse Chloé Maurel, historienne, spécialiste de l’ONU, chercheuse associée à la Sorbonne.
Et de poursuivre : « Dans une opération de maintien de la paix “traditionnelle”, on attend souvent que les parties au conflit aient donné leur consentement, que le cadre politique soit posé, et les troupes interviennent souvent de manière relativement passive (observer, soutenir, protéger) avec une utilisation limitée de la force. Alors que dans une mission de stabilisation, le mandat est souvent plus robuste : les forces peuvent être autorisées à agir de façon plus proactive, plus engagées, moins “neutres”. » L’action des troupes agissant sous les auspices d’une résolution onusienne serait alors davantage orientée vers la stabilisation de l’ordre public, la sécurité, la reconstruction, et potentiellement l’usage de la force, plutôt qu’une simple surveillance.
Car dans le cadre des opérations de stabilisation, l’usage de la force est possible, y compris pour neutraliser des acteurs armés ou protéger les civils, selon le mandat prévu par le Chapitre VII de la Charte de l’ONU. « Ainsi, il est plausible que la force de stabilisation ait un mandat pour l’usage de la force contre des groupes armés palestiniens (non-étatiques) et pour protéger l’ordre », explique l’historienne.

Des États participants avec l’aval d’Israël
Plusieurs pays, principalement arabes et musulmans, ont déjà annoncé qu’ils étaient prêts à participer à la force internationale de stabilisation. L’Europe n’enverrait pas de troupes au sol, ni les États-Unis, mais, selon The Guardian, la Grande-Bretagne a déjà envoyé des conseillers à une petite cellule gérée par les États-Unis en Israël qui travaille à la mise en œuvre de cette deuxième phase du plan de Trump. Le Royaume-Uni qui souligne que l’objectif ultime est un État palestinien, qui doit être considéré à terme comme une entité unique incluant la Cisjordanie et Jérusalem-Est. Quant aux États-Unis, le vice-président JD Vance a assuré ce 23 octobre que le personnel américain assurerait « la supervision et la médiation des négociations de paix ».
Parmi les potentiels participants à l’ISF, l’Azerbaïdjan, mais aussi l’Indonésie dont le président Prabowo Subianto a déclaré aux Nations unies en septembre dernier que son pays était disposé à déployer 20 000 soldats ou plus pour « aider à garantir la paix à Gaza » et dans d’autres zones de guerre.
La Turquie s’est également dit disposée à prendre part à cette mission mais s’est vue répondre par un refus catégorique de Tel-Aviv. Ce 26 octobre, Benyamin Netanyahu a affirmé qu’Israël aurait un droit de veto sur les membres de la force en charge de sécuriser l’après-guerre à Gaza. « Nous avons (…) clairement indiqué aux forces internationales qu’Israël déciderait quelles forces sont inacceptables pour nous, a déclaré le Premier ministre israélien. Nous sommes un État indépendant. Notre politique de sécurité est entre nos mains. »
Benyamin Netanyahu est, entre autres, opposé au déploiement de forces turques. La Turquie a été le premier pays à majorité musulmane à reconnaître Israël dès 1949, mais a aussi accueilli des dirigeants du Hamas, et le président Erdogan a publiquement dénoncé dès 2024 « le génocide à Gaza », une « honte pour l’humanité ». « Israël, en tant qu’État dont le territoire est concerné (Gaza, zones sous son contrôle effectif), a un intérêt de sécurité majeur, note Chloé Maurel. Dans la pratique, pour que la mission soit viable, il faudra un accord avec Israël, y compris pour l’accès, la logistique, la coopération. Si Israël refuse l’accès ou refuse de coopérer, la mission pourrait ne pas pouvoir fonctionner. »
Selon le président américain, le Qatar serait de son côté prêt également à fournir des troupes de maintien de la paix si nécessaire. Les Émirats arabes unis devraient aussi participer. Mais de nombreux autres États arabes demeurent méfiants quant à une participation à l’ISF.
Des risques et des espoirs
« S’engager militairement à Gaza est politiquement risqué pour les pays arabes », déclarait au New York Times le 21 octobre Ghaith al-Omari, expert des affaires palestiniennes et chercheur principal au Washington Institute for Near East Policy. « Ils ne veulent pas être perçus comme faisant le sale boulot d’Israël. Ils ont donc besoin d’une invitation palestinienne et d’un mandat du Conseil de sécurité de l’ONU (…) Ils ne veulent pas non plus que leur contribution se limite à garantir un cessez-le-feu qui ne mène pas à la fin de l’occupation israélienne. » Par ailleurs, les futurs participants courent le risque d’être perçus comme des occupants, les forces de stabilisation pouvant être perçues comme des forces d’occupation, ce qui pourrait avoir un effet contre-productif.
« Si la force de stabilisation parvenait à stabiliser Gaza, à sécuriser les civils, à remettre en marche le fonctionnement de la vie à Gaza, cela peut créer un terrain favorable à une solution de type État ou à un renforcement des institutions palestiniennes, poursuit Chloé Maurel. De plus, une présence internationale crédible, si elle était bel et bien validée par l’ONU, pourrait donner aux Palestiniens des arguments pour revendiquer davantage d’autonomie ou de légitimité dans les négociations. Mais les obstacles sont nombreux. Le mandat, la composition et l’autorité d’une telle force de stabilisation ne garantissent pas la création d’un État palestinien. Le risque est que la force de stabilisation devienne une simple “zone tampon” ou un mécanisme de gestion provisoire, sans aboutir à un statut politique clair ou durable. Si la force de stabilisation est perçue comme imposée ou comme une présence prolongée étrangère, cela peut au contraire freiner la construction d’un État palestinien autonome. »
Mais la mise en place attendue de la force internationale de stabilisation est, malgré tous les doutes et toutes les interrogations, un signe positif. Elle permet entre autres une ré-internationalisation du conflit. « Une large mobilisation internationale, un mandat de stabilisation, s’il pouvait être entrepris sous l’égide de l’ONU, des efforts de reconstruction, tout cela pourrait être positif pour l’avenir des Palestiniens et pourrait améliorer leur sécurité et leurs conditions matérielles (habitat, infrastructures, santé, eau), observe Chloé Maurel. Cela peut aussi renforcer la visibilité politique de la cause palestinienne, l’intégration de Gaza dans un processus international, limiter l’isolement. »
D’ici l’installation de l’ISF et alors que la prochaine phase de l’accord entre le Hamas et Israël reste floue, un centre de coordination militaro-civil, situé à une trentaine de kilomètres de Gaza, vient d’être chargé de surveiller le fragile cessez-le-feu. Cet organe inauguré mardi 21 octobre est composé de 200 soldats américains, et d’autres pays comme la Grande-Bretagne, la France, l’Espagne et les Émirats arabes unis y participent. Des drones américains effectuent parallèlement des missions de surveillance au-dessus de l’enclave palestinienne, sans passer par le filtre des renseignements israéliens.
Le centre de coordination doit faciliter la mise en œuvre des dispositions de l’accord de cessez-le-feu. Pour le moment, l’armée israélienne s’est positionnée à l’est d’une « ligne jaune » allant du nord au sud de la bande de Gaza. Elle garde le contrôle d’environ la moitié du territoire palestinien dévasté. « Je pense qu’en fin de compte l’objectif de la force de stabilisation est de déplacer cette ligne jusqu’à ce qu’elle couvre, espérons-le, toute la bande de Gaza, ce qui signifie que toute la bande de Gaza sera démilitarisée », a affirmé Marco Rubio le 25 octobre.
En attendant, malgré le fragile cessez-le-feu qui entre dans sa troisième semaine, les habitants du territoire palestinien ravagé par Israël continuent de vivre dans des conditions catastrophiques. L’ONU affirme que la faim est toujours présente et l’aide humanitaire entrant à Gaza depuis le cessez-le-feu est toujours restreinte, les camions de vivres et de médicaments n’ayant le droit que de passer au compte-gouttes.
