Le miroir déformant : la maladie de l’âme, une étude de la personnalité narcissique

«Le narcissisme est la matrice de toutes les perversions. Il est la forme la plus subtile de l’aliénation, car il est l’aliénation de soi-même, la perte de soi dans son propre reflet. Le narcissique est celui qui s’est perdu dans son propre miroir, qui s’est laissé fasciner par son propre reflet, au point de perdre tout contact avec la réalité», nous apprend Jean Baudrillard dans Les stratégies, publié en 1983.

Les flancs de Ndumbélaan ont tremblé en ce jour du 8 novembre : le vizir a encore tonné, telle la chose qui crache le feu entre le ciel et la terre. Les émotions ont parlé et la raison a -encore une fois- vidé les lieux, prenant ses jambes à son cou. N’est- ce pas Senghor qui nous balançait à la figure (malgré les dénégations d’un bon nombre de penseurs subsahariens) que «l’émotion est nègre et que la raison est hellène» ?
A part un one-man-show insipide, creux, sans relief aucun, dangereux et attentatoire à la cohésion nationale, que peut-on objectivement tirer comme enseignement de cette gigantesque procession tant vantée et présentée avec le slogan «il y aura un avant le 8, le 8 ci boppam et un après le 8» ?
Ceux à qui il reste encore un peu de bon sens, ont eu la même appréciation : «kii moom boppam rekk moo ko ňoor», ont-ils unanimement décrété. C’est difficile à admettre waaye nak réemii, bari na ňu wara jundi xel ca jaba, même si Descartes théorisait depuis que la raison est la chose la mieux partagée au monde. Le discours du vizir ne s’adresse pas aux doués de raison, il fouette au contraire l’émotivité de partisans zélés, idolâtres et blasphémateurs. Il vise exclusivement un conglomérat° d’émotifs irréfléchis et écervelés dont les sentiments de haine contre les nantis, de ressentiment contre la réussite d’autrui, d’inimitié contre ceux qui ont exercé le pouvoir jusqu’ici, de rancune due aux privations, d’antipathie contre ce qui est présenté comme le système°, de désobligeance contre la marche traditionnelle de la société, peuvent pousser à donner leur vie pour défendre sa cause. Ils se nourrissent du discours clivant de ce vizir car la rhétorique violente, agressive, accusatrice, mensongère, diffamatoire de son discours les galvanise jusqu’à la transe. Mbete jinne Musaa dans nos lycées et collèges !
Ndumbélaan vacille jusque dans ses fondements : la plume acerbe des écrivains (ana Bougar waay ?), la signature des intellectuels pétitionnaires (ils étaient cent non ?), les associations (Samm jikko yi est-il toujours là ?), tout ce beau monde -jadis si prompt à défendre la démocratie, l’Etat de Droit et la bonne gouvernance- s’est aplati pour laisser la voie au narcissisme d’un vizir plus proche de mettre le pays à feu et à sang que de lui faire faire le moindre frémissement vers la voie de l’émergence. Le narcissisme est une maladie de l’âme, car elle est simplement perversion et obsession. Le vizir national ndumbelanien a une maniaque attirance pour le mot «Rapport». Ce qui lui a valu tous ses maux, comme le risque de son inéligibilité dans un futur proche : il lorgne le trône sans aucune gêne. Entre le rapport charnel et le rapport des services de contrôle du royaume, il a perdu des plumes !
Pour neutraliser l’ego des uns et des autres, la philosophie wolofe adressait cette lourde sentence : «Boo doonoon ab njombor, da may taal ba noppi, door laa rëbbi.» Le vizir de Ndumbélaan aussi est cernable, maîtrisable, comme disent nos frères de la Rdc : il a un ego surdimensionné et est d’une personnalité narcissique sans précédent. Il se prend pour le centre de l’univers et s’attend à ce que tout le monde aux alentours se conforme à ses besoins et à ses désirs (les magistrats récalcitrants qui lui obstruent le chemin vers le trône risquent un raxas). Aujourd’hui, mon ami Mod Sarr, à la tête de l’Ums, est interpellé. Notre fameux vizir a besoin d’admiration et de louanges, et prend une colère noire si cela ne se produit pas (les chroniqueurs, les journalistes, les télévisions et radios yi ko dul xalamal bune dees na léen effacer). Son sentiment de supériorité sur les autres, ses prochains, l’autorise à les mépriser et à les dénigrer (le ministre suspecté de surfacturation est vilipendé et menacé publiquement, l’autre épinglé par un rapport sur un montant de deux milliards, ne paie rien pour attendre). Notre vizir manque d’empathie ; il ne comprend pas les difficultés que traverse son pays, et les besoins immédiats du Peuple constituent le cadet de ses soucis : seul l’accès au trône compte à ses yeux. Son comportement manipulateur n’hésite pas à convoquer la séduction (demander justice pour des martyrs sic…) et la coercition (que celui qui a du courage parle ouvertement de ses sept milliards de fonds politiques ou nie l’existence de la dette cachée). Son intolérance à la critique le rend agressif jusqu’à le pousser à chercher traitreusement à casser des poux sur la tête de ses détracteurs (Majambal est aujourd’hui obligé de s’exiler pour échapper à la géhenne qu’il lui destine). Il a le sentiment, un sentiment de droit divin pour recevoir des faveurs (le roi doit lui céder son trône), des privilèges spéciaux (il doit gouverner à sa guise) et de déverser sa colère sur tout et sur tous. Sa vantardise l’autorise à organiser à chaque occasion des processions où sa condescendance, son mépris et son arrogance trouvent la sève nourricière à ses allégations et prétextes fallacieux (le roi de Ndumbélaan peut trembler, car il est arrivé à lui dénicher un fameux rapport égaré dans les circuits administratifs). Même ceux qui le soutiennent les yeux fermés courent un risque avec lui : pour défendre son image, le narcissique n’hésitera pas une seconde à trahir amitié saine ou amitié équilibrée. Certes, le narcissique détruit à son avantage les partenaires, les alter-ego, le monde alentour sur le plan émotionnel, pour ensuite les en blâmer. Il est important de comprendre que rester dans une relation avec un tel homme, c’est être sur des montagnes russes qui ne s’arrêtent jamais. Car la popularité seule ne suffit pas à un décideur : le Peuple ne vit pas seulement de discours, d’image reluisante et de promesses. Corps alités, ventres affamés, esprits lucides ne pardonnent pas !
Amadou FALL
Inspecteur de l’enseignement à la retraite à Guinguinéo
zemaria64@yahoo.fr