CAN 2025 (J-27) / Algérie 1990 : « Nous allons tous mourir ici si vos joueurs gagnent »

Après trois éditions (65, 68 et 86) où ils n’ont pas dépassé le premier tour, les Lions se qualifient pour la première fois en demi-finale d’une Coupe d’Afrique des nations en 1990. Pas de bol pour eux. Ils doivent se coltiner l’Algérie, pays organisateur en proie à une révolution des islamistes. Pour les Fennecs, la mission est simple : ‘’gagner ou crever’’. Les Lions vont l’apprendre à leurs dépens.

L’Algérie ? Pour les plus jeunes fans des Lions du Sénégal, les Fennecs réveillent des souvenirs très douloureux. Même si les locaux de Pape Thiaw et les U17 de Serigne Saliou Dia ont quelque peu atténué la douleur en gagnant leur Coupe d’Afrique à Alger en 2023, la désillusion de Caire 2019 reste intacte. Les Fennecs, quelques jours après avoir dominé les Lions d’Aliou Cissé en poules, confirmaient en finale sur un but, mystérieux pour certains, inscrit à la 1ère minute.

Depuis 2015, seule l’Algérie a battu le Sénégal en CAN

Avant ce cauchemar signé Baghdad Bounedjah, le Sénégal sous Alain Giresse a aussi subi la terreur de l’Algérie à la CAN 2015 en Guinée équatoriale. Leaders du groupe avant d’affronter les Fennecs pour la 3e et dernière journée de poules, les Lions n’ont besoin que d’un match nul pour se qualifier en quarts de finale. Mais leurs ambitions seront rapidement enterrées à Mongomo par des Algériens plus affutés techniquement et logiquement vainqueurs 2-0. Comme Bata trois ans plus tôt, Mongomo devient une page noire de la sélection sénégalaise. Le Sénégal rentre au bercail dès la fin du premier tour. Pour mesurer les dégâts des Fennecs face aux Lions, il faut juste jeter un coup d’œil sur les résultats du Sénégal en Coupe d’Afrique depuis cette CAN 2015. C’est 24 matchs du Sénégal pour 15 victoires, 6 nuls et 3 défaites. Tous les 3 revers ont été enregistrés face à l’Algérie (2-0, 1-0, et 1-0).

Cette terreur de la sélection algérienne sur les Lions du Sénégal n’a pas démarré en 2015. Les plus anciens fans ont vécu Alger 1990. Quatre ans après la désillusion de Caire 86 où les Lions sont éliminés dès les poules alors qu’ils commencent la compétition avec deux succès face au pays organisateur Egypte (1-0) et au Mozambique (2-0), le Sénégal arrive en Algérie avec beaucoup d’ambitions. « Nous avions une grande équipe, avec des joueurs qui avaient gagné en expérience du très haut niveau puisqu’évoluant dans de très grands clubs. Une vraie équipe de ouf », témoigne Pape Fall dans le livre du journaliste Babacar Khalifa Ndiaye ‘’Le Sénégal à la CAN de foot. Pourquoi les Lions n’y arrivent toujours pas ?’’ publié aux éditions Papyrus Afrique en avril 2019 et qu’il faut absolument se procurer.

La Coupe doit rester au pays à tout prix

Cette belle équipe, entrainée à l’époque par le ‘’sorcier blanc’’ Claude Leroy, sacré avec le Cameroun deux ans plus tôt au Maroc, avait fini deuxième de sa poule derrière la Zambie en ayant battu (2-0) et éliminé les Lions indomptables. A cause de cette deuxième place, les Lions tombent en demi-finale contre le pays organisateur l’Algérie. Une Algérie marquée à cette époque par des tensions socio-politiques et la montée en puissance du Front islamique du salut (FIS). Comme le sport est un véritable facteur de cohésion sociale, tous les Algériens espèrent que la Coupe reste au pays pour une union nationale. Il faut gagner à tout prix. « Les autorités locales comptaient sur cette compétition pour s’offrir un moment de répit », témoigne Abdoulaye Makhtar.

L’équipe algérienne a dans son effectif Rabbah Madjer qui, trois ans plus tôt, a laissé son nom dans les annales du football en réalisant une talonnade en finale de la Ligue des champions avec son équipe Porto, victorieuse devant le Bayern Munich (2-1). Abdelhamid Kermali, le sélectionneur peut aussi compter sur des talents comme Djamel Menad (4 buts), le binational Chérif Oudjani ( 2 buts et 3 passes ). Victorieuse haut la main de ses trois matchs de poules contre le Nigeria 5-1, la Côte d’Ivoire 3-0 et enfin l’Egypte 2-0 qui était venue avec son équipe bis, l’Algérie craint pourtant le Sénégal qui n’a pris aucun but en phase de groupes. La demi-finale, arbitrée par le Japonais Shizuo Takada, démarre de la meilleure des manières pour les Fennecs.

« Ce n’étaient pas des supporters mais des membres du FIS »

Djamel Menad, meilleur buteur de cette édition (5 buts), ouvre le score dès la 4e minute sur une passe du talentueux meneur de jeu Moussa Saib qui a fait les beaux jours de l’AJ Auxerre. « Les tribunes chauffent », racontent BKN dans son livre. « Ce n’étaient pas de vrais supporters, mais des membres et sympathisants du FIS qui hurlaient des slogans favorables à leur mouvement politique », se remémore Abdoulaye Makhtar Diop, ministre des Sports du Sénégal à l’époque. Un quart d’heure plus tard, la joie des 80 mille spectateurs fait place à la stupeur et à l’angoisse. Un CSC du défenseur Abdelhakim Serrar climatise tout le Stade du 5 juillet 1962.

1-1 à la pause. La peur s’installe en tribunes VIP. Les autorités craignent un hold up des Lions. « Allez dire à vos joueurs que s’ils gagnent ce match, on va tous mourir ici… », lance un dirigeant algérien à l’actuel Grand Serigne de Dakar. On n’en est pas arrivé là. L’Algérie reprend l’avantage à l’heure de jeu 2-1. Un autre Djamel, Amani a marqué sur une passe décisive de la star Rabah Madjer. Le Sénégal ne revient pas dans la partie. Bocandé, diminué par une blessure, ne pèse pas. Il sort à la 69e minute. Souleymane Sané et Thierno Youm, les deux autres principaux atouts offensifs de Claude Leroy, sont eux rentrés en Europe après le premier tour. A l’époque, les clubs ne sont pas obligés de libérer leurs joueurs pour la CAN.

« Peut-être des émeutes si on avait gagné »

Les Lions avaient-ils été perturbés par la pression ? «Non», estiment-ils. « Sur le terrain, on n’avait aucun souci à se faire au plan sécuritaire. Mais peut-être que si l’on avait gagné, cela aurait pu engendrer des émeutes à travers l’Algérie et surtout dans la capitale, Alger », confie Lamine Ndiaye, actuel coach du TP Mazembe et ancien milieu des Lions et de Mulhouse. Pour le match de classement, les Lions sans répondant s’inclinent face à leur autre bête noire : la Zambie (0-1).

Malgré la déception de l’élimination, les Lions ont semé une graine d’espoir avec cette première qualification en demi-finale. Surtout que deux ans après en 1992, le Sénégal devait accueillir le continent pour une confirmation. Malheureusement, ce sera un nouveau rendez-vous avec la désillusion…

Onze du Sénégal contre l’Algérie : Cheikh Seck – Pape Fall, Roger Mendy, Moustapha Diagne, Adolphe Mendy – Adama Cissé, Lamine Ndiaye, Mamadou Marième Diallo – Lamine Sagna, Jules Bocandé, Abdoulaye Diallo. Coach : Claude Leroy

AVEC DSPORT