Désormais installé à Bamako, Paul Derreumaux jette un regard prospectif sur les économies africaines. Soulevant les blocages structurels et les écueils de gouvernance, il prévoit des écarts de plus en plus marqués entre des Etats, menacés par une croissance démographique galopante et un risque terroriste fort. Entretien avec Paul Derreumaux, le fondateur de Bank of Africa (BOA).
LTA : Depuis que vous avez quitté vos fonctions de directeur exécutif de Bank of Africa Group, comment occupez-vous votre temps ?
Paul Derreumaux : J’écris des articles et je tiens un blog. Parallèlement, je suis administrateur et président de diverses sociétés. Je viens d’être nommé président d’un nouveau fonds d’investissement dédié au secteur financier, Yeelen (lumière en bambara, NDLR), basé à l’île Maurice, sponsorisé par la Banque ouest-africaine de développement (BOAD, NDLR) et dont le périmètre couvre les 8 pays de l’UEMOA.
A un niveau plus opérationnel, j’ai créé une société familiale de gestion d’actifs il y a 3 ans, Lawrence Capital, orientée vers des investissements de sociétés cotées -africaines ou non- qui investissent sur le Continent. Parallèlement, je m’implique dans l’immobilier au Mali à travers la société Lawrence immobilier et bientôt en Côte d’Ivoire, pour construire des maisons d’habitations de moyen standing. Enfin, je suis toujours administrateur de la Holding BOA et président de BOA Mali où je réside, ainsi que président de BOA France (la société financière française du groupe, NDLR).
Aujourd’hui, peut-on toujours parler de «l’économie africaine» ?
On parlera de moins en moins souvent de l’Afrique en terme global, car les différentes régions vont connaître des évolutions spécifiques avec des écarts de plus en plus marqués. La qualité des options politiques et économiques est variable tout comme la capacité d’appréhender l’avenir dans chaque pays. Il faudra engager des réformes et des mutations structurelles profondes, avec une ferme volonté de réalisations concrètes, et cela se fera aussi à des rythmes variables.
Quel regard portez-vous sur le net ralentissement de la croissance depuis 2016 ?
La croissance de 2016 a été évaluée autour de 1,5%, c’est-à-dire beaucoup moins que la moyenne mondiale, mais aussi bien moins que la croissance démographique qui représente aujourd’hui plus de 2% par an en Afrique subsaharienne. Cette situation a provoqué la baisse du niveau de vie par habitant pour la première fois depuis le début du siècle ! Les perspectives pour 2017 sont un peu plus encourageantes avec une estimation de 2,5%, favorisée par le redressement des cours des matières premières -hormis le cacao.
Par ailleurs, la situation de la Chine s’est consolidée, ce qui lui permet de rester très active dans son commerce et dans ses investissements. Il y a des signes d’amélioration, mais certains blocages perdurent comme en Côte d’Ivoire notamment qui reste un pilier de la croissance régionale et dont les tensions de 2017 devraient avoir des répercussions négatives sur cette croissance.
Précisément, comment appréhendez-vous la situation économique ivoirienne ?
Pendant plusieurs années, le plan de développement national basé sur des investissements publics destinés à redessiner le paysage ivoirien a largement favorisé la croissance. Depuis 2013, les quelque 8% de croissance moyens ont été le résultat de ces investissements qui étaient normalement l’annonce d’investissements privés. Cependant, les récentes difficultés survenues, liées à la baisse du prix du cacao, ont sévèrement touché le 1er producteur mondial, induisant des diminutions d’activité, mais aussi la baisse des recettes fiscales, avec des tensions de trésorerie. Cela a conduit l’Etat à recourir à l’endettement international avec un certain succès. Le nouvel eurobond a plutôt bien fonctionné. La dynamique devrait reprendre avec de grands projets à venir comme la construction du train urbain…
Avec la fragilisation des poids lourds sud-africain et nigérian, quelles sont les nouvelles «locomotives» africaines ?
L’économie du Continent est tirée par plusieurs pays, dont l’Ethiopie et certains pays d’Afrique de l’Ouest, mais aussi par le Kenya, même s’il faut attendre l’issue des élections… En Afrique du Nord, le Maroc et l’Egypte demeurent des éléments positifs. La stratégie marocaine a été particulièrement impressionnante. Dès 2007, l’entrée de la BMCE dans la BOA a été l’une des premières manifestations éclatantes de la stratégie du Maroc. Le pays a pris conscience qu’il avait des intérêts forts à développer sa relation avec l’Afrique, en s’appuyant sur la stratégie de co-développement. Les investissements des entreprises marocaines se sont développés grâce à l’appui du palais royal.
En matière de système bancaire par exemple, les intérêts marocains dans les banques de l’UEMOA représentent aujourd’hui plus de 30% de l’actionnariat global. Cette stratégie s’est poursuivie au niveau politique, avec l’entrée du Maroc dans l’Union africaine et le pays prend désormais le chemin de l’intégration dans la CEDEAO. A mon étonnement, l’accord de principe a été très rapide ! Je ne suis pas convaincu que cette intégration est totalement équilibrée en l’état actuel de chacune des parties…
Comment observez-vous les débats autour de la croissance démographique africaine ?
Je vis au Mali et je vois les conséquences in situ. On devrait passer de 17 millions à 40 millions d’ici 2050 avec une forte concentration autour de Bamako. Cela pose des problèmes en termes d’emploi, d’urbanisation, d’indépendance alimentaire et de climat, en particulier. Avec les retards actuels d’infrastructures et la lenteur des évolutions, je suis inquiet sur la façon dont les choses peuvent être gérées d’ici 2030, sans provoquer un accroissement des inégalités et une émigration importante.
Sur les 30 prochaines années, 50% de l’accroissement de la population mondiale seront concentrés en Afrique. Le débat n’est peut-être pas politiquement correct, mais le développement économique est toujours corrélé avec la réduction de l’accroissement démographique. Le ralentissement est déjà opéré en Afrique du Nord, au Maroc et en Tunisie notamment où les taux de fécondité sont proches des Européens. En revanche, au niveau subsaharien, les femmes ont 4 enfants en moyenne et jusqu’à 7 au Niger. Si le développement économique s’accélère, il sera suivi d’un ralentissement démographique «naturel». Mais pour l’instant, la croissance par habitant varie entre 1% et 3% par an, ce qui reste encore insuffisant.
Que vous inspire la stratégie africaine d’Emmanuel Macron ?
Je suis attentif, car il semble montrer un intérêt fort à une politique africaine cohérente et je pense qu’il est entouré de personnes compétentes. Il soutient activement l’initiative du G5, ce qui me paraît être un élément positif, car la lutte contre le terrorisme se place au niveau régional, tout en donnant un rôle important aux pays du Sahel.
Cependant, on a demandé aux pays du G5 de faire un premier effort financier qui n’a pas encore été réalisé…Ensuite, la France doit être suivie par l’Europe, mais les avancées restent timides. Au Mali, vous avez la force Barkhane et la Minusma. Toutefois, l’UE a été peu active. Elle a formé quelques contingents de l’armée malienne, mais nous avons besoin d’un effort plus important, car le risque s’étend au Mali et se développe dans les pays voisins. Concernant l’axe du développement plébiscité par Emmanuel Macron, nous sommes encore en début de réflexion, notamment en matière de politique migratoire.
Personnellement, je ne crois pas que les hotspots récemment proposés représentent une solution efficace, car il sera difficile de différencier les migrants économiques des demandeurs d’asile…
Dans quelle mesure la politique européenne peut-elle développer son efficience ?
L’UE débloque des investissements considérables qui ne sont pas tous des plus efficaces, car les experts n’ont pas nécessairement l’expérience ou la connaissance des pays. Il serait intéressant de revoir les modalités de décisions, d’utilisation et de mise en œuvre des aides au développement. On a besoin de la force institutionnelle, mais elle ne repose pas seulement sur l’énumération de la liste des investissements de milliards d’euros injectés dans les économies africaines, mais aussi dans la capacité de les mettre en œuvre. Les experts français qui connaissent le terrain ne sont pas systématiquement sollicités, ce qui entraîne bien souvent des effets d’annonce qui ne résolvent pas les problèmes sur place…L’Europe devrait structurer sa politique africaine, mais le débat concerne avant tout des aspects de gouvernance européenne qui dépassent l’Afrique, et cela prendra du temps.
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