Putsch du RSP en 2015 : les éléments qui accablent Diendéré selon le juge

Un coup monté par des sous-officiers du Régiment de la sécurité présidentielle (RSP) en colère, dont il aurait tout ignoré, mais qu’il aurait fini par assumer dans le but d’éviter un bain de sang… Tel est le scenario soutenu par le général Gilbert Diendéré depuis deux ans, pour expliquer le putsch du 16 septembre 2015 au Burkina Faso.

Il le répétait aux journalistes qui échangeaient avec lui au téléphone aux heures les plus chaudes du coup d’Etat. Il l’a soutenu devant le juge François Yameogo, en charge d’instruire ce dossier au sein du tribunal militaire de Ouagadougou, lors de ses différentes auditions ces deux dernières années. Et il l’a redit récemment dans les colonnes de Jeune Afrique: «Je n’étais au courant de rien. Ce sont des sous-officiers qui étaient à la manœuvre (…) J’ai donc fini par assumer en prenant la tête de ce mouvement car j’étais un des seuls à pouvoir le faire», a-t-il déclaré depuis sa cellule de la Maison d’arrêt et de correction des armées (Maca).

Mais cette version n’a pas convaincu le juge Yameogo. Après plusieurs mois d’investigations, le magistrat a rendu ses conclusions le 21 juillet dans une ordonnance qu’il a transmise à la Chambre de contrôle de l’instruction, et dont RFI a obtenu de larges extraits. Pour lui, il ne fait aucun doute que le général Diendéré, qui a longtemps dirigé le RSP et qui fut le chef d’état-major particulier de Blaise Compaoré jusqu’à sa chute en octobre 2014, était à la tête des comploteurs. Des 107 inculpés, il est l’un de ceux contre lesquels pèsent les charges les plus graves : attentat à la sûreté de l’Etat, trahison, association de malfaiteurs, acte de terrorisme, crime contre l’humanité, complicité de meurtres, etc…

Plusieurs acteurs du coup d’Etat ont mis en avant le rôle de Diendéré

Dans son ordonnance, le juge Yameogo résume ainsi la position de Diendéré : il «réfute toute responsabilité et déclare avoir assumé des actes commis par des sous-officiers». Sa défense ressemble à celle de Blaise Compaoré au sujet de l’assassinat de Thomas Sankara, il était chez lui et ignorait tout de ce qui se tramait quand le coup a été mené à son insu par des subordonnés. Le juge indique que Diendéré aurait cité deux noms : l’adjudant Jean-Florent Nion et le sergent-chef Roger Koussoubé. Pour le reste, le général affirme, selon l’ordonnance, «qu’il ne connaît pas nommément les autres éléments qui ont perpétré le coup», et «que pour l’opération, il n’y a pas eu de grande préparation ». Il aurait toutefois admis avoir été informé en amont des intentions d’une partie des hommes du RSP. Ils avaient «cette action en tête, il y a longtemps», aurait-il dit au juge, ajoutant qu’une délégation de la troupe était même venue le voir pour lui demander «de prendre ses responsabilités». Ce à quoi il aurait répondu que «cela n’était pas opportun», résume l’ordonnance.

Mais pour le juge Yameogo, «les nombreux témoignages concordants (…) battent en brèche (sic) la plupart (re-sic) des déclarations du général Diendéré Gilbert quant à la responsabilité véritable dans la conception, la planification et l’exécution du putsch».

Preuve probante

Au cours de l’instruction, plusieurs acteurs du coup d’Etat ont mis en avant le rôle de Diendéré. C’est le cas de l’adjudant-chef major Eloi Badiel, décrit par plusieurs sous-officiers du RSP comme étant l’organisateur en chef du putsch. Selon le juge, ce dernier a affirmé que le 16 septembre, vers 10h30 – soit quelques heures avant que les hommes du RSP interrompent le Conseil des ministres et enlèvent le président de la transition, Michel Kafando, le Premier ministre, Yacouba Isaac Zida et deux ministres, Augustin Loada et René Bagoro – «le sergent-chef Koussoube Roger est venu lui signifier qu’ils veulent faire un coup d’Etat sur instruction du général Diendéré Gilbert». D’après l’instruction, Koussoube fut l’un des membres du RSP les plus actifs durant le putsch, aux côtés de l’adjudant-chef Moussa Niebe (dit «Rambo») et des sergents chefs Mohamed Zerbo et Adama Diallo.

L’adjudant Jean-Florent Nion, qui fut tout aussi actif, a également pointé du doigt Diendéré. Alors qu’il se reposait dans un local du palais présidentiel, ce 16 septembre, Badiel et Koussoubé seraient venus le voir «vers 11 h» pour «lui dire que le général Diendéré Gilbert les a instruits de faire un coup d’Etat ce jour», résume le juge. Pour s’en assurer, Nion a affirmé avoir dans un premier temps envoyé un SMS à Diendéré, puis s’être déplacé jusqu’à sa maison. «Il est sorti prendre son véhicule et est allé voir le général à son domicile vers 11 heures, détaille le juge dans son ordonnance. Il était seul et l’a trouvé en tenue léopard type RSP. Il lui a dit que les jeunes avaient des mouvements inhabituels au Palais et de plus, le sergent-chef Koussoubé Roger lui a dit que sur ses instructions, il devait faire un coup d’Etat ce jour. Le général lui a répondu : ” C’est pas encore fait ? Je suis au courant ” (…) Au moment de repartir le général lui aurait dit ceci : ” On ne s’est pas vus “. D’après l’ordonnance, Nion a maintenu sa version lors de sa confrontation avec Diendéré.

Au-delà de ces témoignages, qui sont contestés par d’autres acteurs du putsch, le juge s’appuie, pour étayer ses accusations contre Diendéré, sur ce qu’il considère être une preuve probante : l’historique du document qui a été lu à la télévision dans la matinée du 17 septembre, par lequel le colonel Mamadou Bamba a proclamé le coup d’Etat au nom du Conseil national pour la démocratie (CND), présidé par Diendéré.

Vice de procédure selon la défense du général Diendéré

Selon l’ordonnance, ce document a été retrouvé dans l’ordinateur d’un entrepreneur, Abdoul Karim André Traoré. Son dernier enregistrement remontait au 14 septembre 2015, à 18h30, «donc bien avant le jour du putsch», précise le juge. Ce document «a été conçu par (Diendéré) le 14 septembre 2015 (…) car il s’attendait plus ou moins à une action de ce genre», même si «la date du 16 septembre 2015 n’était pas définie de façon claire», écrit le juge, dans un long chapitre résumant les déclarations du général.

François Yameogo a établi une liste de ceux qui «ont travaillé à la conception et la finalisation de la proclamation du CND». Outre Diendéré et l’homme d’affaires Abdoul Karim André Traoré, on y trouve un autre militaire, le colonel Abdoul Karim Traoré, un journaliste, Adama Ouédraogo Damiss, et un avocat, l’ancien bâtonnier Mamadou Traoré. Tous ont été inculpés et un temps incarcérés, à l’exception de l’homme d’affaires, qui a fui le pays.

Gérant d’un cabinet d’études, Perfectum Afrique, Abdoul Karim André Traoré est peu connu du grand public. Sur internet, les rares traces qu’il a laissées sont quelques interviews, dont une accordée à… Adama Ouédraogo Damiss, qui officiait alors au sein du quotidien L’Observateur Paalga. Selon une source judiciaire burkinabé, l’homme d’affaires pourrait se trouver aujourd’hui au Mali. Mais à Bamako, on assure à la présidence n’avoir pas eu vent de sa présence dans le pays.

Dans l’entourage de Me Mamadou Traoré, inculpé notamment d’atteinte à la sûreté de l’Etat, on s’étonne des conclusions du juge. «Cela ne ressort pas des pièces qui sont à notre disposition», affirme en off un de ses avocats. Me Mamadou Savadogo, l’avocat du colonel Traoré (qui fut notamment le point focal du Burkina dans le cadre des négociations inter-maliennes menées par l’Algérie), ne souhaite pas, pour sa part, commenter une instruction en cours. Quant à Me Mathieu Somé, qui défend le général Diendéré, il dénonce des vices dans la procédure, dont une perquisition à son domicile sans sa présence, ou encore l’expertise d’objets saisis sans qu’ils ne lui aient été présentés.

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