Nous vivons dans un monde dit «globalisé». Par la magie des progrès fulgurants des Nouvelles Technologies de l’information et de la Communication (NTIC) ce monde… virtuel nous enferme, progressivement, dans un univers irréel via les supports multiples («devices»en anglais) allant de l’ordinateur à la tablette et, de plus en plus au téléphone portable qui nous suit presque partout ! Ces objets, dits intelligents, et dont l’accès est de plus en plus facile et populaire, prennent une place de plus en plus prépondérante dans nos vies. Ils s’immiscent dans notre intimité et transforment nos veillées familiales en soirées individuelles autour du Wifi… Regardez autour de vous ! De manière plus pernicieuse, ces outils concourent à nous donner à voir le monde, tel que nous le dessinent les pourvoyeurs de contenus des sites internet et les concepteurs des algorithmes des réseaux sociaux. En fait, des esprits (malins ?) assiègent nos cerveaux et les (dés)orientent à leur guise… En effet, quasiment toute la superstructure de l’Internet, et de ses dérivés, se trouve dans les pays dominants de l’ordre actuel du monde. Les serveurs les plus puissants, hébergeant la majorité des sites internet, sont aux USA et dans quelques pays européens. La plupart de nos données personnelles y sont stockées et bien des fois utilisées à notre insu. Sans parler de la géolocalisation de nos appareils qui indique nos allées et venues en tous lieux et en tous temps ! Si l’Asie se donne les moyens d’une libération, sur ce plan comme sur d’autres, l’Afrique est largement en dehors de cette course à la conquête de l’indépendance numérique qui est, aujourd’hui, incontournable pour acquérir et/ou consolider l’indépendance tout court…
Engagés, par la force des choses, dans cette aventure, les pays pauvres et notamment africains, voient les barrières culturelles, voire psychologiques de leurs peuples, ébranlées par l’agression médiatique du mode de vie des pays émetteurs. Ces pays, dont les progrès technologiques et scientifiques, mais surtout économiques, ont atteint un niveau tel que les préoccupations de la majorité des citoyens ne sont plus de l’ordre de la nécessité, sont tournés vers la promotion, sans limites, des loisirs et la consommation de biens et services récréatifs. Ils sont à l’ère de ce qu’il est convenu d’appeler la civilisation des loisirs. L’offre suit la demande.
Et nous?
Dans l’état actuel de nos économies, ainsi que de l’arriération, en termes de confort et de niveau de vie de nos pays relativement au modèle dominant, nos populations à majorité jeunes sont livrées, sans filtres, à cette propagande effrénée. Une promotion tous azimuts des atours, des objets et du plaisir des sens, façon pays riches, déferle vers un public de pauvres, assiégé par des urgences liées à la survie tout court. En effet, toute cette cascade de messages venant des pays riches tend à valoriser le goût du luxe et …de la luxure (!) alors même que nous n’avons pas encore résolu des questions essentielles et pourtant élémentaires. Cela a pour conséquence de plonger nos sociétés dans une sorte de chaos mimétique indescriptible où chacun joue un rôle qui n’est pas le sien pour se donner une image en conformité avec le modèle dominant. Cela explique entre autres, du point de vue vestimentaire par exemple, l’invasion de la friperie qui inonde nos marchés, détruit nos filières textiles et définit nos comportements. Je pense aux pantalons mal vissés qui exposent au vent les fesses des jeunes gens pour faire…genre. Comme si les fesses étaient le siège de l’honorabilité…Siège certainement ! Mais pour l’honorabilité, il faut quand même monter plus haut … Ne nous égarons pas !
La friperie nous envahit donc. Pour des raisons strictement économiques aussi reconnaissons-le: les prix des habits, «griffés» même si fripés, qui ont servi plusieurs fois en Occident avant d’être collectés et passés au reconditionnement pour prendre la destination africaine sont imbattables. Et pour cause ! Nous payons juste le prix pour débarrasser les pays riches de leurs déchets. Autres rebuts : les cuisses de poulets et les ailes de dindes. Les produits presque avariés de l’Occident, allant des boîtes de conserves aux réfrigérateurs, dangereux pour la couche d’ozone, sont convoyés par containers entiers vers notre Continent. Je ne vous parle pas des véhicules de troisième âge qui enfument nos routes, contribuent à la dégradation de la santé publique et multiplient les accidents mortels.
Et c’est certainement pour s’évader de ce décor, violent à bien des égards, que les jeunes se créent un profil mensonger sur les réseaux sociaux et se dessinent un Monde un peu plus conforme à leurs rêves. L’actualité récente vient de révéler ce phénomène par l’arrestation d’un jeune dont la vie de «star» à travers son compte Facebook a fini par attirer l’attention. Il avait, semble-t-il, fini par faire de son monde virtuel une réalité par des prélèvements de plus en plus importants sur des comptes bancaires particuliers. Un Arsène Lupin tropical quoi ! En vérité, et on le constatera de plus en plus, il n’est que la première révélation des multiples déviations constatées dans l’usage des réseaux sociaux. Avec des effets pervers d’autant plus nuisibles que la pauvreté de nos pays est un terreau fertile pour la vénalité. Des réseaux de proxénètes, de prostitution et de vente de substances illicites, s’incrustent sur ces canaux de communication qui mettent les proies à la portée des loups. Bref, un des effets pernicieux de la mondialisation, et de son corollaire le développement exponentiel des NTIC, est de transformer les pays pauvres en spectateurs de la marche de certains pays vers de plus en plus de prospérité et de bien-être. Et, d’un autre côté, de faire de ces pays spectateurs le déversoir des rebuts de la société de consommation, de la friperie aux idées malsaines. Que de schizophrènes sur les réseaux sociaux ! Alors que l’on pourrait faire tant de choses utiles avec les NTIC !
La question qui nous est posée est donc: comment sortir de ce cercle vicieux?
Malheureusement nos pays, et notamment le Sénégal, sont captifs d’un vice de forme qu’il va falloir analyser : la Politique est devenue, en soi, une industrie ! Lucrative qui plus est. Elle ne se penche plus sur les voies et les moyens de changer la vie des gens. Elle se confine à interchanger les élites dirigeantes sans modifications structurelles des mécanismes hérités de la colonisation. Ceux-ci se révèlent pourtant incapables de supporter un vrai dessein de Liberté et de Grandeur. Ils servent davantage à garantir la pérennité du système et à sauvegarder des intérêts particuliers. Autrement dit : on prend toujours les mêmes et on recommence ! Sous des noms différents et selon des camouflages de moins en moins crédibles, les mécanismes coloniaux restent intacts quoique rouillés. Ça va finir par sauter ! D’une manière ou d’une autre.
Et pourtant des solutions existent pour relever tous les défis de notre sous-région. Encore faut-il déjà l’envisager sous ce rapport ! La mondialisation, au lieu d’être une contrainte, peut se révéler une opportunité de diversification de nos partenariats à la hauteur du marché ouest-africain. Elle nous ouvre la possibilité d’explorer une autre manière de voir le monde et d’y jouer un rôle. En matière de NTIC notamment, aucune nation n’a des siècles d’avance. Les progrès, pour fulgurants qu’ils soient, datent des vingt dernières années. Dans le contexte de la nouvelle économie qui est en train de transformer le monde, l’intelligence est le premier intrant. Nous n’en manquons pas. Il reste à mettre en place les conditions d’épanouissement des talents dans notre pays et sur le Continent. En commençant par notre sous-région. Cela relève de la volonté politique ! Avant même que de parler de se lancer dans la compétition économique mondiale pour mériter les appréciations, somme toutes dévalorisantes, des agences de notation, il y a des domaines où nous devrions orienter résolument la formation des jeunes et libérer leurs énergies créatrices. La première infrastructure d’un pays ce sont les hommes en charge de le construire. Il nous faut investir massivement dans les conditions d’éclosion de leurs talents. Sinon nous continuerons à faire appel aux autres et, certains d’entre eux s’autoriseront même à demander la fermeture chez nous d’établissements scolaires à succès. Au gré de leurs enjeux nationaux! Ne suivez pas mon regard… On dit chez nous : «celui qui vous prête des yeux peut s’autoriser à vous indiquer là où il faut regarder !»
Toutes ces questions, et tant d’autres encore, mériteraient d’être approfondies au cours du …dialogue national dont plus aucun politicien ne parle d’ailleurs. Je ne sais pas si vous l’avez remarqué. Comme c’est étrange ! Quitte à continuer à passer pour le rêveur, naïf de service, je ne me lasserai pas de rappeler cette promesse présidentielle ! Parce que la nation sénégalaise a besoin de se parler pour redéfinir une notion du progrès qui soit de son cru. Parce que nous avons besoin de nous entendre sur des fondamentaux à mettre en place pour les cinquante prochaines années. Parce que seule une Vision à long terme peut doter notre pays d’une perspective véritablement mobilisatrice.
Tout le reste ne sera que fuite en avant, ruses et tromperies, pour rouler les uns et les autres dans la farine. Jusqu’au jour où… Ma noppi sax !
Amadou Tidiane WONE