Né dans les rues du Bronx (New York) comme cri de révolte et d’expression, le breakdance s’est longtemps trémoussé dans l’ombre au Sénégal. Aujourd’hui, il est pratiqué sur des dalles dans des quartiers populaires, sur les escaliers du Monument de la Renaissance et sur des portes de magasins. Malgré leur passion et leur talent, ses adeptes, appelés les « bboys » et « bgirls », vivent dans un environnement où le manque d’infrastructures, de soutien institutionnel et de reconnaissance freine leur élan. Plus qu’une danse, le Breaking est un sport pour ces athlètes.
Sous les pieds du Monument de la Renaissance de Dakar, un « battle » (compétition de breakdance) électrisant nourrit les yeux des touristes venus découvrir le gigantisme de la statue. Entre les allers et retours des visiteurs, en un contre un, des adeptes du breakdance s’élancent dans un spectacle saisissant qui ne laisse aucun passant de marbre. Ils sont plusieurs à participer au festival Urban Nois, l’un des rendez-vous annuels au Sénégal, pour promouvoir la discipline. Agiles dans les gestes, les « Bboys » et « Bgirls » sont déchainés devant un public en liesse.
En ce mois de juin où la ville dakaroise entre petit à petit dans sa période de chaleur, la plupart des « breakers » qui participent à l’évènement confient que leur quotidien n’est pas de tout repos. L’un d’eux, l’enseignant Bruno Serge Goudiaby, 28 ans, est entré dans le monde du breakdance en 2017. De taille courte, vêtu d’un jogging et d’un tee-shirt, foulard noué à la tête, le bonhomme raconte avoir dû surpasser les moqueries pour pouvoir allier sa passion et son travail de fonctionnaire qui, aux yeux des gens, ne pouvait pas se conjuguer avec la pratique de la danse.
Formé par son cousin dans leur chambre, c’est une passion familiale qui l’a conduit à pratiquer cette discipline. « Mon cousin m’a fait découvrir le breakdance, et j’ai tout de suite aimé cette liberté d’expression, ce pouvoir du corps. On passait des heures à s’entraîner dans notre chambre », confie-t-il. Et depuis, contre vents et marées, il s’est promis de continuer à s’exercer pour son bien-être. Dans le vestiaire en plein air installé pour les besoins de l’événement, quelques visages féminins se sont immiscés dans le milieu des hommes.
L’une d’elles, Ndoumbé Ndiaye, 17 ans, surnommée Bgirl Ndoumbista, poursuit, elle aussi, son aventure avec détermination. Jeune danseuse prometteuse, elle symbolise l’une des exceptions féminines de ce « battle ». Locks sur la tête, swag de rappeur, Ndoumbé effectue des exercices d’étirement, en attendant son tour. Son coach Ibrahima Ndoye alias Bboy Ino voit en elle « une fierté porteuse d’espoir pour la suite ». Diplômé en communication à l’université Sine Saloum Elhadji Ibrahima Niass (Ussein), ce dernier est aussi une figure clé du breaking à Thiès. Coach, arbitre et danseur, il participe à la formation des jeunes thiessois.
Pour lui, « il est essentiel de structurer la pratique et de transmettre aux plus jeunes leur savoir ». Entre espoir, obstacles et réussite Cet athlète regrette que la plupart des « breakers » soient obligés de s’entraîner dans des espaces improvisés, comme les ronds-points, les devantures de magasins. « Le manque de financement et de reconnaissance freine le développement de ces talents qui pourraient beaucoup rapporter au pays. Souvent, ils n’ont même pas de lieux pour s’entraîner », déplore Ibrahima Ndoye. Au-delà de la technique, le breakdance véhicule des valeurs de solidarité, de dépassement de soi et d’expression personnelle, tonne-t-il.
Pour ce professionnel du métier, le breaking est un moyen d’affirmer son identité et de s’inscrire dans une dynamique positive, loin des tentations négatives. « Il y a parfois des jeunes qui restent oisifs dans les quartiers. On essaie de les récupérer pour les former, car ça peut les sortir du mauvais chemin. Faire du breaking, c’est comme leur redonner une seconde chance. Avec l’entrée du breakdance aux Jeux olympiques de Paris 2024, l’espoir a fait naître beaucoup de choses pour cette discipline », dit-il en secouant la tête. Au-delà du breakdance, Bboy Ino pratique également la danse contemporaine. Il souligne l’importance d’une politique publique dédiée au financement de ces disciplines. « Dans d’autres pays, jusqu’à 15 danseurs sont envoyés en compétition internationale, alors qu’ici au Sénégal, beaucoup manquent de moyens pour partir prester dans les tournois », explique-t-il. Selon lui, le développement de la discipline passe par le renforcement des centres culturels. « Nous insistons sur l’accompagnement des jeunes pour qu’ils aillent toujours plus loin. Cela passe par la construction de nouveaux centres », conclut-il.
En effet, beaucoup d’observateurs estiment que le manque d’accompagnement est le principal frein à l’éclosion des jeunes talents. Pour Koudous Onikeku, directeur artistique du Kio Dance Center et du John Randall Center for Yoruba Culture and History à Lagos (Nigeria), souvent invité durant des sessions de breaking au Sénégal, un coup de pouce aux breakers leur permettrait d’évoluer positivement. « Il y a des breakers expérimentés, des jeunes prometteurs, et des champions nationaux qui incarnent une bonne énergie ». Selon Koudous, le breaking n’est pas seulement une danse, mais un pont entre les cultures, un espace où les corps s’expriment en communion, et où la créativité s’épanouit dans un esprit de partage et de communion.
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