L’accalmie a brusquement pris les couleurs d’une calamité. La région de Ziguinchor a renoué avec les deuils, les pleurs et… les peurs. L’option du carnage est manifeste. Le choix d’un massacre porteur d’échos et d’ondes de choc a été délibérément et méthodiquement fait. Choisir de décimer et non de capturer ou de refouler un groupe de civils, sans armes, est une façon d’apposer une signature rouge de sang, au bas d’un message adressé à l’Etat et à son chef. Le retentissement médiatique en prime. Les planificateurs du sale coup ont bien planifié, les exécutants ont bien accompli l’ignoble besogne. Maintenant, la balle de l’affront et/ou les projectiles tirés par les assassins sont bel et bien dans le camp du gouvernement de la république.
Pour l’heure, le sang a coulé, les interrogations ont afflué et les enseignements ont abondé. L’interminable processus de paix a encore craché du feu, dans une Casamance qui est – depuis l’Accord de Cacheu signé le 31 mai 1991 – le cimetière de plusieurs arrangements de paix sans paix. Aujourd’hui, la mort des 13 personnes met un terme à une cessation des hostilités tellement prolongée qu’elle a été prise en compte et, surtout, mise en perspective par le Président Macky Sall, dans le sens de la restauration d’une paix consolidée puis définitive. Un vœu mis en exergue dans le message à la Nation du 31 décembre dernier. Un vœu vite pulvérisé par les évènements sanglants du week-end. Ce qui impose un questionnement du processus de paix initié, dès l’arrivée au pouvoir du Président Macky Sall, en mars 2012, et exige un double coup de projecteur sur la tragédie de Niaguis et sur ce conflit tristement trentenaire.
S’agissant du drame du 6 décembre, le temps de l’enquête peut vraiment être abrégé. On n’est pas en face de conjectures caractéristiques des enquêtes ordinaires. Ce carnage n’est pas le fruit amer d’une crapulerie brute, encore moins le résultat affolant d’un banditisme sans bornes. Des coupeurs de route ne mitraillent pas leurs victimes ; ils raflent les portefeuilles lourds de pognons. Cette action spectaculaire qui mixe sang et politique, ne peut être que l’œuvre d’une fraction du MFDC ou d’une bande de tueurs venus de l’extérieur du Sénégal, avec le soutien d’un pays étranger et la bénédiction morale ou logistique du MFDC. Une réalité qui induit la question que voici : pourquoi le processus de paix en Casamance alterne la paix furtive et la guerre sporadique ? Réponse sans ambages et accablante d’exactitude : parce que le déficit de savoir-faire engendre un excédent de pollutions azimuts, malgré le contexte très favorable que crée l’effacement de Yaya Jammeh.
Dans son allocution le Président de la république a renouvelé sa confiance aux facilitateurs dont le plus ancien et le plus emblématique dans la facilitation, est l’ancien ministre et longtemps maire de Ziguinchor, Robert Sagna. La même confiance est-elle accordée à l’ONG politico-religieuse Sant ‘Egidio indissociable de l’Etat souverain du Vatican ? A défaut d’avoir la réponse du chef de l’Etat, on peut faire l’inventaire révélateur des derniers agissements et propos d’un des responsables de Sant ‘Egidio, en l’occurrence, l’Italien Mauro Garofalo qui a revendiqué sur RFI, la libération de deux prisonniers, membres du MFDC. Une déclaration vite corrigée sur la même radio, par une source militaire sénégalaise. Ce n’est pas tout et c’est plus grave, car le porte-parole de Sant ‘Egidio nous a appris que : « des discussions sont en cours autour du statut de la Casamance ». Les députés sénégalais – visiblement moins informés qu’un obscur médiateur – apprécieront cette sortie aussi fâcheuse pour la dignité nationale que dangereuse pour l’unité nationale. Pareille et choquante indiscrétion montre que le processus de paix est hors de toute maitrise. Est-il acceptable que Sant’ Egidio (établie en Italie) parle du statut de la Casamance garde le silence sur celui de la Catalogne qui se détache démocratiquement du reste de l’Espagne ?
Le focus sur les facilitateurs et autres médiateurs ne dispense pas d’un gros plan sur la conjoncture et les belligérants. Douze mois après le changement de régime à Banjul, la Casamance est incontestablement placée sous les meilleurs auspices d’un retour à la paix définitive. Au nord de la zone militaire (secteur de Bignona), le chef guérillero Salif Sadio est stratégiquement privé de sa profondeur gambienne. Le sanctuaire étant sous le contrôle des armées du Sénégal via le mandat de la CEDEAO. Politiquement, il est orphelin de l’éloignement de son mentor Yaya Jammeh. Moralement, Salif Sadio n’est pas loin de l’effondrement. Il se lamente sur son sort d’adulte proche de la vieillesse, sans vie familiale. En temps de guerre, un ennemi qui a le moral aux talons, est un ennemi à moitié vaincu. Donc enclin à faire les concessions décisives sur le chemin de la paix.
A l’extrême-sud de la région, subsiste le maquis commandé par César Atoute Badiatte et adossé à la république de Guinée-Bissau. Ce foyer séparatiste et armé est, bien entendu, moins affecté par la nouvelle donne gambienne. Sa rivalité endémique avec le groupe de Salif Sadio, lui dicte une stratégie, en dents de scie, caractérisée par des pressions militaires sur le terrain, rapidement suivies par des compromis temporaires qui rendent très souvent optimistes les facilitateurs et le gouvernement sénégalais. Il s’y ajoute que César Atoute Badiatte exploite militairement la proximité de la frontière bissau-guinéenne et profite socialement de l’hospitalité naturelle que lui offrent des milliers de déplacés casamançais naturalisés dans ce pays voisin, après trente ans de vie éreintante de réfugiés.
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