Originaire de Conakry, ce guitariste et chanteur guinéen a reçu la musique en héritage au sein d’une famille de griots. Curieux, avide de découvertes et de différences, il a enrichi sa culture traditionnelle avec des sonorités d’ailleurs, vibrant sur les riffs de ses guitars heroes d’outre-Atlantique : George Benson, Jimi Hendrix, Carlos Santana… Aujourd’hui son blues-rock mandingue bigarré comme la pochette de son dernier disque porte bien l’empreinte de ses diverses influences : la kora se tisse à la batterie, le n’goni à la basse électrique. Installé en France depuis dix ans, parcourant le monde avec sa guitare en bandoulière, Moh ! Kouyaté a érigé le brassage culturel et l’ouverture d’esprit comme principes de vie. Pour Fé Toki, son deuxième album, ce djeli moderne prêche des messages d’amour et de partage, opposant sa réponse optimiste à un monde miné par la violence, l’égoïsme, le cynisme. Ce citoyen du monde comme il se définit lui-même ne craint pas de passer pour un doux rêveur utopiste, car il ne se contente pas des mots. Il a le projet d’ouvrir un centre culturel en Guinée, pour donner à la jeunesse les moyens d’apprendre le métier de la musique. « L’art est une éducation », assène-t-il. Une graine semée pour que les jeunes se réalisent dans leur pays et évitent de mettre leur vie en péril pour venir en Europe, en quête de ce qui leur manque. Cet « afro-parisien » plein d’énergie positive s’est confié au Point Afrique.
Le Point Afrique : Votre deuxième album s’intitule Fé Toki c’est-à-dire « ma vision » en langue soussou. Que souhaitez-vous exprimer ?
Moh ! Kouyaté : C’est un état des lieux, pour dire que la vérité est relative : ce qui est vrai à un endroit ne l’est pas forcément ailleurs. Alors il faut prendre les choses telles qu’elles sont, et s’accepter, car nos différences sont nos richesses. Tout l’album englobe cette idée. Il est issu de mes expériences de tournées dans le monde entier, de mes dix ans vécus en France, de mes rencontres. La musique est l’arme du futur. À travers elle, je fais passer des messages positifs. En acceptant de vivre ensemble, nous pouvons nous influencer positivement. On ne peut plus rester chacun dans son coin comme avant. Le monde bouge ! Pour changer d’oxygène, pour se cultiver, apprendre… on a tous besoin de l’autre. Regardez à Paris : les gens souffrent de solitude, de ne pas parler avec les autres, de simplement être écoutés. Personne n’a le temps, le système fait que tout le monde court. C’est très dur, car on ne communique pas. Or, le partage peut soulager ça. En Afrique, c’est tellement facile le contact, même si tu as des problèmes, il y a une solidarité et ça se passe mieux que rester seul avec sa douleur ! Cette chaleur humaine recharge la batterie.
La chanson « Tala » parle justement de partage…
Oui, un partage qui n’a pas été équitable… Alors il y a des frustrés. Quand un humain fuit la persécution, la guerre, la misère à la recherche d’un espoir, d’une vie meilleure, c’est le moment de partager. Mais on continue à fermer les frontières à ces gens qui veulent juste vivre dignement ! Voyez l’actualité : on vend encore des êtres humains en Libye, on torture… L’histoire se répète. Alors que l’humain est sacré. Il a transformé la planète, construit des villes, les hôpitaux, la loi, la démocratie… Il peut donc empêcher ces choses ignobles.
Vous êtes guinéen, installé depuis dix ans en France. Diriez-vous que vous avez une double culture ?
Je dirais même une multiculture ! À force de voyager et de rencontrer les autres, j’ai beaucoup appris. Même si c’est difficile aussi parfois pour moi, car je vis loin de mes proches, de ma Guinée natale, en même temps c’est ce qui me forge, m’inspire. J’ai consacré la chanson « Maouyama » à cette terre racine où je me ressource avec grand plaisir. En tant que djeli (griot), la musique est dans ma famille depuis le XIIe siècle, jusqu’à nos jours. Il y a eu cette transmission orale culturelle par la musique et les histoires. J’ai reçu cet héritage traditionnel par mon père, à travers la guitare. Mais je ne me suis pas limité à ça, ma curiosité me poussait vers les autres. Ce n’était pas facile dans un pays où il n’y a pas d’écoles de musique ni de moyens pour aller vers d’autres cultures. Mais avec la volonté et le travail, j’ai réussi à m’intéresser à d’autres styles, le jazz, le rock, et m’en imprégner. J’ai écouté la musique moderne guinéenne, les orchestres nationaux comme Bembeya Jazz National, le guitariste Ousmane Kouyaté… J’ai rencontré le bluesman Corey Harris avec qui j’ai tourné aux États-Unis : j’ai découvert qu’il y avait un monde au-delà de ma Guinée ! Tous ces voyages te forment, te donnent des idées, et font de moi, aujourd’hui, un citoyen du monde.
Comment investissez-vous votre fonction de griot moderne ?
Dans le passé, le rôle du djeli était de renforcer la cohésion sociale, transmettre les messages positifs. Nos ancêtres étaient ambassadeurs, conseillers auprès de sages, de rois. Aujourd’hui, je le fais d’une autre manière à travers ma musique, où il y a plusieurs styles, des sonorités qui peuvent toucher au-delà de la Guinée, de l’Afrique. Je porte mon message dans le monde entier. D’où certaines chansons expliquées en français et en anglais dans le livret du disque. Je m’inspire des valeurs de mes aînés et je compose avec mes différentes influences, selon ma vision du quotidien.
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