Affaire Petrotim : L’État a-t-il décidé de saboter l’enquête ?

En lieu et place d’une enquête classique, minutieuse, ciblée, ouverte et encadrée à la fois, le procureur de la République a annoncé hier une partie de rodéo béante à tous les vents, sans délimitation dans le temps, livrée à de probables élucubrations fantaisistes qui ne feront que noyer le poisson dans une marée noire sans frontières. Or, l’affaire Petrotim semble déjà assez fortement documentée pour être élucidée dans les règles de l’art, sans populisme, avec des protagonistes de première main encore vivants. Mais voilà…L’État cherche peut-être autre chose.

On était bien curieux d’entendre le procureur de la République s’exprimer sur les affaires de corruption évoquées par la Bbc et mettant directement en cause Aliou Sall, frère cadet du Président de la République en exercice, Macky Sall. Curieux de voir avec quelle rigueur et solennité il prendrait en charge la mise en cause directe de l’une des personnalités les plus controversées de la République, aux prises avec de graves accusations issues d’une enquête journalistique, diffusée le 3 juin dernier.

À l’évidence, Serigne Bassirou Guèye a tenté de vendre à l’opinion l’image d’une justice décidée à faire la lumière, sur toute la ligne, d’une affaire de grande corruption que d’aucuns assimilent à du grand banditisme au cœur de l’État sénégalais. En s’adressant à la presse nationale et internationale, «Serigne Bass», comme l’appellent ses amis, a engagé sa propre réputation en promettant de «punir les coupables si les faits sont établis» et d’«aviser si les faits ne sont pas établis». Dans son appel à témoins, il a quasiment supplié «experts» et «connaisseurs» d’aller dire leurs vérités aux policiers de la Division des investigations criminelles (Dic) chargés de recueillir les paroles des uns et des autres. «C’est une enquête ouverte», a-t-il indiqué, prenant le soin de garantir lui-même qu’il n’y aura aucun filtre en ce qui concerne les dépositions.

À dire vrai, nous ne sommes pas prêts de sortir de l’auberge dans cette affaire qui pollue l’atmosphère de la “gouvernance particulière” qui caractérise le Sénégal depuis pas mal d’années. Pour élucider le dossier Petrotim, l’État a-t-il vraiment besoin de lancer un “Appel à témoins” alors que toutes les magouilles dénoncées en amont et en aval de l’attribution des blocs gaziers au groupe de Frank Timis l’ont été en son sein, par ses propres services, ses propres fonctionnaires, ses propres experts ? L’État a-t-il besoin de cette sorte de justice populaire et même populiste dans une affaire “privée” et dans un domaine où l’expertise et la technicité restent les premiers outils de compréhension et d’évaluation des actes posés par les uns et les autres ?

Justice populiste et exhibitionniste

Nous ne sommes pas loin de penser que l’État du Sénégal, le président de la République en premier lieu, n’a pas vraiment intérêt à clarifier des questions ultra-nébuleuses que le peuple sénégalais se pose. Sans simplifier l’affaire Petrotim, il est quand même légitime de penser que depuis 2011-2012, une documentation solide existe et est disponible pour toute bonne volonté désireuse d’en maîtriser les tenants et aboutissants. Les contrats et les décrets d’approbation, entre Abdoulaye Wade et Macky Sall, sont là. Les protagonistes essentiels, outre l’ancien chef d’État et son successeur, sont encore vivants : ils s’appellent Aly Ngouille Ndiaye (ancien ministre des Mines), Aliou Sall et Frank Timis (bénéficiaires présumés de leurs turpitudes présumées), Mamadou Faye et Ibrahima Mbodj (Petrosen) ; les «porteurs» du combat pour la préservation des ressources naturelles du pays, qu’ils soient politiques comme Abdoul Mbaye (ancien Premier ministre, directement concerné d’ailleurs), Mamadou Lamine Diallo, Thierno Alassane Sall (ancien ministre de l’Énergie démissionnaire), Birahime Seck  (Forum civil), Publiez ce que vous payez (Pcqvp), etc., tous actifs dans le registre de la gouvernance.

La matière et les matériaux semblent si abondants – et souvent pertinents – que le procureur de la République peut bien se passer de son fameux “appel à témoins”. Nafi Ngom Kéïta, présidente de l’Ofnac, limogée pour d’obscures raisons, répondrait volontiers à son appel ; de même que les inspecteurs généraux d’État (Ige) auteurs du Rapport de 2012 sur Petrosen et sur les conditions d’octroi de blocs d’hydrocarbures à Petrotim. Le premier directeur de cabinet du Président Macky Sall, en l’occurrence le Dr Abdou Aziz Mbaye, dont le nom apparaît sur l’ordre de mission estampillé «Secret» qui a déclenché les investigations de l’Ige dont le rapport est mis en circulation sur les réseaux sociaux…

Dans ce dossier Petrotim, l’État du Sénégal, partie prenante fondamentale en même temps que défendeur de la thèse d’une «affaire privée» – selon les mots du chef de l’État et de son garde des Sceaux – ne rassure que ceux qui veulent être rassurés. Mais pour l’opinion publique, il reste dans l’incapacité d’administrer une justice indépendante et libre de sa démarche. Le mode opératoire de l’”appel à témoins”, imaginé par on ne sait quel «cabinet noir», pour résoudre définitivement le «scandale Petrotim», sans préjuger de son issue, semble bien parti pour respecter les orientations définies et les résultats d’un pouvoir exécutif gravement discrédité et en quête de réhabilitation politique et morale. In fine !

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here